Il est d’usage désormais courant de résumer les principes régissant la réparation du dommage corporel sous l’adage suivant : « le dommage, tout le dommage, rien que le dommage ».
Cette formule consacre en droit positif français un principe de réparation intégrale, lequel met à la charge du responsable une obligation de réparer, de compenser l’intégralité du préjudice causé à la victime, ce quelque soit l’événement à l’origine de l’atteinte corporelle.
Cette dernière doit ainsi être replacée, dans la mesure du possible, dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit.
La Cour de cassation, en l’ensemble de ses formations, y compris la plus solennelle, n’a de cesse de rappeler ce postulat depuis la fin du XIXème siècle [1], ajoutant au surplus qu’il ne doit résulter pour la victime « ni perte ni profit » [2].
Celui qui est fondé à demander la réparation d’un dommage ne peut dès lors prétendre à un quelconque enrichissement aux dépens de celui qui en est à l’origine ou qui, substitué à lui, supporte la charge de l’indemnisation (l’assureur en règle générale ) [3].
La conséquence en est qu’un préjudice ne peut être indemnisé au delà de ce qu’il se révèle être en réalité [4]. Il se déduit en outre du principe de réparation intégrale qu’un même préjudice ne saurait faire l’objet d’une double prise en charge [5].
Le postulat ici décrit est aisément concevable lorsqu’il s’agit de réparer les conséquences matérielles ou patrimoniales d’un fait ( préjudice vestimentaire, frais de santé non intégralement remboursés, frais kilométriques pour se rendre aux rendez-vous médicaux en lien avec le fait générateur de dommage, pertes de revenus liées à un arrêt de travail prolongé... ). Le régleur (magistrats, assureurs, fonds de garantie divers... ) dispose en effet d’un éventail de moyens, pas toujours performants ceci dit, pour évaluer « in concreto » l’étendue du préjudice et se rapprocher au mieux de la réalité de ce dernier afin d’en chiffrer l’indemnisation.
Le sujet suscite en revanche bien plus de discussions lorsque c’est l’intégrité même de la personne, dans sa dimension physique, qui est remise en cause.
L’intérêt lésé est ici l’intégrité du corps, c’est à dire « le socle même de la personne... Ce corps n’est rien moins que son identité, son être » [6].
La réduction, ou a fortiori, la perte d’une capacité fonctionnelle ne peut à l’évidence être rétablie par une compensation financière, mais le mécanisme a au moins l’intérêt de permettre à la victime de disposer de moyens susceptibles de lui faire, si ce n’est oublier sa douleur, l’atténuer en accédant à des matériels, plaisirs ou artifices divers.
La réparation « sans perte ni profit » prend une signification encore toute particulière lorsqu’il s’agit d’aborder la question des préjudices extra-patrimoniaux.
On touche principalement ici aux conséquences morales du fait traumatique, des conséquences auxquelles sont évidemment exposées les victimes directes mais pas seulement. Le dommage initial subi personnellement par elles se « réfléchit », terme très usité en doctrine, sur d’autres personnes, en particulier les proches.
Ce sont, selon la terminologie consacrée, les victimes indirectes ou victimes « par ricochet ».
Outre les répercussions patrimoniales subies du fait de l’altération ou de l’anéantissement des capacités fonctionnelles de la victime directe, le surplus de leur préjudice propre, s’analyse donc en une douleur essentiellement d’ordre moral [7] dont la définition, la détermination, pose encore des difficultés, de même que la question de son indemnisation - mais il s’agit d’un autre débat.
Concrètement, l’indemnisation allouée à la victime directe ou indirecte d’un dommage corporel procède d’une logique individualisée.
Le préjudice est en réalité une addition de plusieurs petits préjudices que l’on nomme couramment « postes de préjudice », lesquels doivent être caractérisés (par un médecin commis amiablement ou judiciairement) et indemnisés individuellement (par l’assureur, le juge ou un fonds de garantie divers).
Aussi, la réparation « sans perte ni profit » du dommage corporel s’articule autour de la distinction entre les préjudices extra-patrimoniaux et les préjudices patrimoniaux, des préjudices que l’on retrouve aussi bien avant qu’après la consolidation (la consolidation correspond au jour où les lésions sont fixées à tel point que plus aucune thérapeutique n’est nécessaire si ce n’est pour éviter une aggravation).
[1] Civ. 2e, 28 oct. 1954, no 1767, Bull. civ. II, no 328, JCP 1955. II. 8765, note R. Savatier, RTD civ. 1955. 324, obs. H. Mazeaud et L. Mazeaud ; Civ. 2e, 14 févr. 1982, JCP 1982. II. 19894, note J.-F. Barbièri ; Crim. 12 avr. 1994, no 93-82.579 , Bull. crim. No 146 ; Crim. 20 août 1996, no 95-84.139 , Bull. crim. no 306 ; Crim. 15 juin 1997, no 96-82.264, Bull. crim. No 11 ; Soc. 23 nov. 2005, no 03-40.826 , Bull. civ. V, no 332.
[2] Civ. 2e, 23 janv. 2003, no 01-00.200, Bull. civ. II, no 20 ; Civ. 2e, 5 juill. 2001, no 99-18.712, Bull. civ. II no 135 ; Crim. 31 mai 2005, no 04-83.989, Bull. crim. no 165 ; Crim. 13 nov. 2007, no 07-80.995, Bull. crim. no 276.
[3] Gisèle MOR, Blandine HEURTON, Évaluation du préjudice corporel, Stratégies d’indemnisation / Méthodes d’évaluation, Delmas Édition, p.19.
[4] Civ. 1re, 25 mars 2003, no 00- 21.114 , Bull. civ. I, no 89 : matière contractuelle ; Civ. 2e, 12 juill. 2007, no 05-21.309 , Bull. civ. II, no 212 ; Civ. 1re, 9 nov. 2004, no 04-12.506, Bull. civ. I, no 264 ; Civ. 1re, 22 nov. 2007, no 06-14.174 , Bull. civ. I, no 368.
[5] Com. 11 mai 1999, no 98-11.392 , Bull. civ. II, no 101 ; Civ. 1re, 16 avr. 1996, no 94-14.400 , Bull. civ. I, no 186.
[6] PREVOST, États généraux du dommage corporel. Réparation intégrale : Mythe ou réalité ?, Colloque CNB 27 nov. 2009, Gaz. Pal. 9-10 avr. 2010, no 99 et 100.
[7] « Pretium doloris », du latin signifiant littéralement « prix de la douleur ».