Le Bail
La jouissance prolongée au-delà du terme
- Le locataire peut continuer à jouir du bien loué au-delà du terme extinctif tout en gardant sa qualité de locataire.
Cette situation peut d’abord résulter de la prolongation du bail : en cours d’exécution du contrat, les parties conviennent d’un nouveau terme qui vient se substituer à celui initialement prévu.
Ensuite, le locataire peut bénéficier de la reconduction du bail : la reconduction, à défaut de stipulation contraire ou d’un acte du bailleur exprimant son refus, est tacite. A la survenance du terme, un nouveau contrat naît, aux mêmes conditions que le précédent (notamment le montant du loyer) et sans interruption de la jouissance du bien mais il est alors à durée indéterminée.
Enfin, il peut y avoir renouvellement du bail. Ici encore, un nouveau contrat remplace le bail originaire et la jouissance n’est pas interrompue mais les conditions d’exécution peuvent être modifiées (ce qui suppose un nouvel accord entre les parties).
- Le locataire peut également conserver la jouissance du bien loué mais en tant que simple occupant. Ce changement de qualité peut résulter de la conclusion d’un nouveau contrat qui n’est plus un bail, tel qu’une convention d’occupation précaire.
Sur la convention d’occupation précaire :
Le bail se caractérise par le droit de jouissance conféré au preneur, que le bailleur doit respecter. S’il est convenu que ce droit pourra cesser à tout moment, sans préavis et sans indemnité, la jouissance du « preneur » est précaire, et se rapproche de celle d’un commodataire, elle n’est pas pour autant, gratuite. En marge du bail, la convention d’occupation précaire est jugée valable par les tribunaux et par la loi.
Par cette convention, le propriétaire n’entend pas s’engager comme un bailleur ; mais il donne provisoirement la jouissance d’un immeuble à titre onéreux. Les critères de ce contrat sont variables : faculté pour le bailleur de reprendre les locaux à tout moment sans préavis, modicité de la redevance[1], intermittence de l’utilisation convenue ; relations amicales entre les parties et gratuité de l’occupation ; usage du domaine public ; peu importe que l’occupation, en fait, ait duré longtemps.
Comme la convention d’occupation précaire n’est pas un bail, la tentation est grande de l’utiliser pour échapper aux statuts impératifs des baux commerciaux.
L’occupation par le preneur après la date fixée pour la résiliation du bail est une occupation sans droit ni titre ; le bailleur peut la faire cesser en recourant à l’expulsion, ordonnée en référés ; son exécution effective dépend du recours à la force publique, donc de l’autorité administrative.
Le bailleur peut exiger une indemnité d’occupation, qui a une double nature : contrepartie de la jouissance, comme le loyer, et réparation du préjudice subi ; l’indemnité peut être supérieure au loyer.
Illustration
Doc. 2 : Cass. Civ. 3ème, 18 janvier 1989
La Cour de cassation considère qu’« après avoir constaté l’importance de la différence existant entre le loyer mensuel de 1200 francs et l’indemnité d’occupation de 5000 francs par semaine, la cour d’appel, tenue de restituer aux faits et aux actes leur exacte qualification, a pu en déduire que, draconienne, cette indemnité constituait en réalité une pénalité excessive soumise à son pouvoir de modération ».
Selon cet arrêt, « si l’indemnité prévue en cas de maintien dans les lieux après expiration de la location a été prévue par le bail et est supérieure au loyer convenu (en l’espèce, elle était « draconienne »), elle est une pénalité excessive que le juge peut modérer (art. 1152, al. 2).
Doc. 3 : Cass. Civ. 3ème, 21 décembre 1988
Le renouvellement du bail a-t-il entraîné ou non le renouvellement du pacte de préférence ?
« En recherchant la commune intention des parties, la cour d’appel, qui a relevé par motifs propres et adoptés que le contrat originaire comportât un pacte de préférence valable pour la durée du bail et constaté, sans dénaturation, que les parties n’avaient pas repris les stipulations relatives à ce pacte dans l’avenant du 1er janvier 1983, a souverainement retenu que ledit pacte constituait une convention distincte du bail et était devenu caduc à l’expiration de la location ».
Le pacte de préférence est souvent associé à un autre contrat. C’est le cas en l’espèce. Le pacte de préférence a alors généralement pour durée celle du bail. Si le bail est renouvelé, en stipulant que « toutes les clauses et conditions du bail demeurant inchangées », les juges du fond peuvent souverainement décider que « les parties n’avaient pas repris les stipulations relatives au pacte de préférence… (et que) ledit pacte constituait une convention distincte du bail et était devenu caduc à l’expiration de la location ».
Commentaire de M. le Professeur Michel DAGOT :
En cas de silence dans le contrat originaire à propos de l’indivisibilité (ou de l’absence d’indivisibilité) et de silence dans le contrat de renouvellement, que faut-il en déduire ?
Il s’agit de rechercher la commune intention des parties, c’est à dire de leur intention commune lors du renouvellement du contrat de bail, bien plus que de leur intention commune lors de la conclusion du contrat de location originaire (puisque de nombreuses choses ont pu changer entre-temps).
L’arrêt de 1988 le souligne fortement, puisqu’il y est visé « la commune intention des parties ». Il faut y ajouter l’adverbe « souverainement ».
Par ailleurs, il faut voir dans cet arrêt une certaine hostilité au pacte de préférence, qui peut également expliquer la position rigide adoptée par la Cour de cassation : il constitue en soi une limitation des pouvoirs du propriétaire en tant que vendeur. Il ne lui interdit pas de vendre l’immeuble, mais il constitue certainement une limitation dans le droit de choisir l’acquéreur.
Pour conclure, il faut prendre acte de cette solution du droit positif. En clair, lors du renouvellement du bail commercial, il faut que les intéressés se posent la question et prennent clairement parti à ce sujet. A défaut, si donc le silence est conservé à ce sujet, la solution s’avérera nuisible aux intérêts du preneur à bail : ce dernier obtiendra, grâce à l’appui puissant du décret du 30 septembre 1953 (relatif au bail commercial), le renouvellement du bail commercial. Mais il n’obtiendra pas le renouvellement du pacte de préférence, à moins évidemment que le bailleur n’y consente.
Doc. 4 : Civ. 3ème, 23 juin 1998
« Si, à l'expiration des baux écrits, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par l'article relatif aux locations faites sans écrit. » Cela renvoie à l'article 1736 selon lequel : « Si le bail a été fait sans écrit, l'une des parties ne pourra donner congé à l'autre qu'en observant les délais fixés par l'usage des lieux. »
Commentaire :
Il se peut que la jouissance se poursuive au-delà du terme. Ou bien, le bailleur et le locataire ont donné leur accord exprès : c’est un renouvellement ; ou bien, l’accord est tacite : « le preneur reste et est laissé en possession » ; d’après l’article 1738, s’opère une tacite reconduction du bail expiré, qui n’est pas une prorogation ; c’est peut être un renouvellement.
Ce n’est pas une prorogation, car le bail expiré est éteint ; un nouveau contrat s’est formé, distinct du précédent, avec sa date et sa durée propres : il est un bail à durée indéterminée qui ne prendra fin que par l’effet d’un congé (art. 1738). Les sûretés qui garantissent le bail expiré sont éteintes et, sauf convention contraire, ne s’attachent pas au bail tacitement reconduit (art. 1740, pour le cautionnement). Il en est de même d’un pacte de préférence (cf. doc. 3).
C’est un renouvellement seulement partiel, car si le bail tacitement reconduit a une durée indéterminée (Cass. Civ. 3ème, 2 fév. 1985), il est, par ailleurs, censé conclu aux mêmes conditions (prix, destination, solidarité entre copreneurs, possibilité de céder ou de sous-louer) que le bail expiré (art. 1759, pour les baux à loyer).
Cette jurisprudence de 1998 n'est pas vraiment nouvelle, mais elle fournit l'occasion de reposer la question de la durée du bail tacitement reconduit. Le bail reconduit est un nouveau contrat (art. 1738, c. civ.). Mais quelle en est la durée ? S'agit-il d'une durée indéterminée, ou d'une durée « déterminée » dont le terme est « fixé par l'usage des lieux » (au moins pour les « baux à loyers » soumis au code civil : art. 1759) ? On prendra soin d'observer, au préalable, que l'article 1736 traite du délai de préavis pour adresser un congé, et non de la durée du bail. Il en résulte que la référence faite à « l'usage des lieux » n'a pas formellement le même rôle dans l'article 1736 (délai de préavis) et dans l'article 1759 (durée du bail).
En 1985, la Cour de cassation a formellement fait référence à la seconde solution en reprenant l'expression même de l'article 1759 (Cass. 3e civ., 12 févr. 1985, Bull. civ. III, n° 26).
Dans le présent arrêt commenté, la Cour de cassation se contente d'indiquer que « les stipulations du bail expiré ne peuvent influer sur la durée du bail renouvelé par tacite reconduction ».
Elle n'affirme ni que le nouveau contrat est à durée indéterminée, ni que son terme est fixé par l'usage des lieux. En réalité, la première solution est la plus opportune, même si toutes deux peuvent trouver une justification en droit. Poser que le bail reconduit a un terme qui résulte de l'usage des lieux laisse trop planer l'incertitude et, par conséquent, l'insécurité contractuelle. On peut souhaiter que la Cour de cassation lève utilement l'ambiguïté.
Doc. 5 : Civ. 3ème, 13 juin 2001
Le bailleur est-il tenu de garantir au locataire d'un local situé dans une galerie marchande le maintien de cette galerie ?
« En l'absence d'obligation particulière du bailleur liée à l'existence de la galerie marchande, notamment en ce qui concerne le maintien d'un environnement favorable, le bailleur n'était en conséquence tenu d'aucune autre obligation que celle de délivrance d'entretien et de jouissance paisible de la chose louée ».
La solution se situe dans le droit fil d'une jurisprudence de la Haute juridiction dont elle reprend les mêmes termes (Cass. 3e civ., 20 juin 1995)
La question était semblable dans l'affaire commentée où il s'agissait de la diminution de la clientèle par suite du départ de plusieurs autres locataires, mais aussi de la garantie du bailleur de maintenir la galerie marchande au cas de déplacement du centre commercial.
Les textes du code civil sur l'obligation de garantie du bailleur ne sont pas d'un grand secours en la matière et l'art. 1719, al. 3, c. civ. imposant l'obligation de faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ne saurait aller jusqu'à lui accorder une garantie du maintien du centre commercial, et donc d'un environnement favorable dû à la présence de tiers.
D'ailleurs il n'était pas reproché au bailleur un fait personnel ; le transfert du centre commercial ne lui était pas imputé ; on faisait simplement valoir que l'obligation d'adhérer au groupement d'intérêt économique regroupant les commerçants de la galerie marchande et l'existence de cette galerie constituaient une condition déterminante du contrat ; le bailleur devenant ainsi garant du maintien de cette galerie.
Or, un tel engagement ne résultait pas expressément du bail qui ne comportait pas une telle obligation. Pourtant, il n'était pas contestable que la galerie marchande constituait un « cadre » dont l'existence avait sans doute été déterminante dans l'esprit du preneur lors de la conclusion du bail ; mais à défaut de condition expresse en ce sens on ne peut guère considérer que le contrat se trouvait privé, en cours d'exécution, de cause.
Pourtant la Cour d'appel de Paris a eu l'occasion de ne pas retenir la même solution (CA Paris, 16e ch. A., 7 oct. 1998, D. 1998, IR p. 242) ; elle a estimé que l'obligation du bailleur d'un local commercial, situé dans le sous-sol d'une galerie marchande, « de garantir au locataire... la jouissance paisible des lieux loués, comporte celle, implicite mais indiscutable, de maîtrise de l'activité commerciale ; le choix de gestion avait entraîné une modification substantielle des facteurs de commercialité dont le locataire ne devait pas subir les conséquences étant ainsi privé de l'effet de synergie inhérent à une galerie commerciale que le bailleur avait obligation de lui assurer par la mise en œuvre d'une politique de location des locaux marchands au prix du marché » ; le bailleur devait donc sa garantie.
Ce n'est cependant pas ce qui a été décidé dans la présente affaire ni par la cour d'appel ni par la Cour de cassation. Les aléas dus aux modifications de l'environnement économique ne relèvent pas de la garantie du bailleur, sauf clause contraire expresse.
Doc. 6 : Civ. 3ème, 18 décembre 2002
Digicode, liberté de religion et effet horizontal de la Convention EDH.
C'est précisément sous le visa de cet article et de l'article 1134 du Code civil que la troisième chambre civile de la Cour de cassation a cassé un arrêt au cinglant motif que « ... les pratiques dictées par les convictions religieuses des preneurs n'entrent pas, sauf convention expresse, dans le champ contractuel du bail et ne font naître à la charge du bailleur aucune obligation spécifique ».
Si l'on a bien compris, seule une convention expresse pourrait permettre à l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'Homme de faire irruption dans le champ contractuel.
A défaut de convention expresse, il n'est pas convenable de laisser croire que la Convention européenne des droits de l'Homme, en l'occurrence son article 9, ne pourra pas s'introduire dans le champ contractuel. Tout dépend en réalité du point de savoir si les conditions de la diffusion de son effet dit horizontal sont réunies.
Il faut commencer par distinguer selon qu'il s'agit de diffusion de l'effet horizontal par la Cour européenne des droits de l'Homme elle-même ou par les juridictions nationales. Dans le premier cas, il s'agit de savoir si la responsabilité internationale de l'Etat peut être engagée parce qu'il n'a pas fait respecter un droit garanti par la Convention européenne des droits de l'Homme dans les relations interindividuelles. On parle alors d'effet horizontal indirect. Dans la seconde hypothèse, qui nous intéresse ici, la question se pose en des termes très différents car l'effet horizontal de la Convention se confond avec le problème de l'applicabilité directe en droit interne de la norme conventionnelle. Il s'agit alors d'un effet horizontal direct. Les conditions de l'applicabilité directe étant réunies, le juge interne peut se servir de la Convention dans les contentieux interindividuels sans être soumis aux mêmes règles que le juge européen (ibid.). Il peut notamment mettre en oeuvre un article de la Convention européenne des droits de l'Homme sans se livrer à une application du principe européen de proportionnalité qui le conduirait à placer une personne privée dans la position surprenante de pouvoir limiter le droit d'une autre personne privée au nom de l'intérêt général. C'est d'ailleurs ce que la troisième chambre civile de la Cour de cassation elle-même avait déjà fort bien compris puisque, par son arrêt Mel Yedei du 6 mars 1996, déjà relatif à un contrat de bail, elle avait catégoriquement affirmé, sans la moindre allusion à un quelconque équilibre à maintenir entre les intérêts du bailleur et ceux du locataire, que les clauses d'un bail d'habilitation ne peuvent, « en vertu de l'article 8-1 » de la Convention européenne des droits de l'Homme avoir pour effet de priver le preneur de la possibilité d'héberger ses proches.
Il importe de bien comprendre que, puisqu'il s'agit d'obligation positive, le rapport de proportionnalité ne doit pas être établi entre deux intérêts particuliers, mais entre un intérêt particulier et l'intérêt général. Confronter les intérêts particuliers en présence conduirait à conclure, un peu à la manière de la Cour d'appel de Paris, qu'il est plus facile pour un bailleur de procéder à la pose d'une serrure et à la confection de clés n'altérant pas l'équilibre du contrat que pour un locataire de déménager quand sa religion lui interdit de se servir d'un digicode.
Doc. 7 : Civ. 3ème, 15 décembre 2004
A propos de l’obligation de délivrer un logement décent
Dans cet arrêt, la Cour de cassation censure les juges du fond au visa de l’article 1719-1 du Code civil[2] et de certaines dispositions de la loi de 1989 et, pose un principe qui résulte de l’article précité du Code civil. Elle en déduit que l’exigence de la délivrance au preneur d’un logement décent impose son alimentation en eau courante.
Ce faisant, la Haute Juridiction applique à la lettre les textes visés. En effet, l'article 1719-1°) du code civil, dans sa rédaction résultant de l'article 187-I de la loi du 13 décembre 2000 précitée dite loi SRU prévoit que « le bailleur est obligé, par la nature du contrat et, sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière 1°) de délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent ». Et le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002, pris pour l'application de l'article 187 sur la décence de la loi précitée SRU, précise qu'un logement décent est un logement qui répond aux caractéristiques définies par le présent décret ; est qualifié de tel celui qui comporte notamment « une installation sanitaire intérieure au logement... alimentée en eau chaude et froide.. ». Bref la décence exige une alimentation en eau courante.
De plus, aux termes de l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989 modifiée précisément par la loi SRU, s'agissant de l'habitation principale, « le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent », le locataire pouvant demander au propriétaire une mise en conformité si le logement ne satisfait pas à certaines conditions de cet article 6 « sans qu'il soit porté atteinte à la validité du contrat en cours « (art. 20-1 loi 1989), l'article 40-1 de cette même loi spécifiant que les dispositions de l'article 20-1 sont applicables aux contrats en cours. C'est exactement le cas de l'affaire jugée, où le bail a été conclu en 1983, bien avant l'adoption des textes sur la décence (loi n° 2000-1208 du 13 déc. 2000 dite SRU et décret n° 2002-120 du 30 janv. 2002). Enfin, les dispositions précédentes, selon l'article 40-II toujours de la loi du 6 juillet 1989, sont applicables au logement dont le loyer est soumis à la loi du 1er septembre 1948 et plus exactement de son chapitre III, ce qui est encore exactement le cas pour l'espèce jugée.
Cet arrêt, au delà et en raison du corps du raisonnement de la Haute Juridiction, appelle une observation générale. Que de chemin parcouru par les pouvoirs publics depuis la décision du Conseil constitutionnel consacrant comme objectif à valeur constitutionnelle « la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent » ? (Décision n° 94-359 DC du 15 janv. 1995 sur la loi Diversité de l'habitat, JO 21 janv. 1995, p. 1166-1167). La doctrine rappelle que cet objectif assigné aux pouvoirs publics n'est pas invocable directement par les particuliers (V. L. Favoreu et al. Droit constitutionnel, précis Dalloz, 6e éd., 2003, n°1358 et s.). En ce sens, le dispositif de l'arrêt implique bien l'adoption par les pouvoirs publics de la loi dite SRU du 13 décembre 2000 et de son décret d'application précité (30 janv. 2002) et ce, malgré certains jugements en sens inverse (ordonnance de référé TGI de Saintes, Marchesseau c/ Suire, 28 mars 1995 faisant application comme attendu de cette décision du Conseil constitutionnel énonçant que le droit à disposer d'un logement décent est un objectif de valeur constitutionnel, RDI 1995, p. 579 avec notre note).
Doc. 8 : Civ. 3ème, 22 mars 2006
Une société d'habitation à loyer modéré martiniquaise avait donné un appartement en location à deux colocataires, Mme Zéline et M. Elisée. Nul ne sait quelle était la nature des relations entre ces deux personnes dont les noms s'accordaient si bien. Toujours est-il que les charmes de l'euphorie furent rompus par l'arrivée sous le toit commun de la fille majeure de Mme Zéline : un vent mauvais poussa M. Elisée à fuir cette promiscuité d'autant plus inattendue que le bail était équipé d'une clause d'habitation personnelle interdisant à chaque colocataire d'imposer à l'autre la présence de toute autre personne qu'un enfant mineur. De sa nouvelle retraite, il assigna la fille majeure pour obtenir son expulsion. La Cour d'appel de Fort-de-France accueillit cette demande et condamna l'expulsée et sa mère, qui avait volé à son secours en intervenant volontairement à l'instance.
La troisième Chambre civile a cassé cet arrêt au seul visa de l'article 8 § 1 de la Convention EDH en reprenant la formule de l'arrêt Mel Yedei suivant laquelle les clauses d'un bail d'habitation ne peuvent avoir pour effet de priver le preneur de la possibilité d'héberger ses proches et en constatant, de manière inédite, que la mère occupait personnellement le logement ; ce qui semble vouloir dire que le droit d'accorder l'hospitalité à ses proches est subordonné à la condition de rester sur place pour les accueillir.
Renforcement solennel du rôle exclusif dévolu à l'article 8 de la Convention EDH en matière de clause d'habitation personnelle par cet arrêt de la Cour de cassation. C'est en effet une consolidation éclatante de l'« effet horizontal » de cette disposition conventionnelle, c'est-à-dire de sa diffusion dans les relations entre particuliers puisque, à la différence de l'arrêt Mel Yedei, elle sert à justifier une cassation.
Il diffuse en effet l'article 8 dans un autre type de rapports entre particuliers : non plus seulement entre le locataire et le bailleur, comme dans l'affaire Mel Yedei, mais aussi entre les colocataires. Il en résulte une sorte de démultiplication de l'effet horizontal qui obligerait ce particulier qu'est le bailleur à faire respecter par cet autre particulier qu'est le locataire réfractaire à la promiscuité le droit au respect de la vie privée du troisième particulier qu'est le colocataire hospitalier voire celui de ce quatrième particulier qu'est la personne hébergée. La conséquence de cet effet horizontal démultiplié de l'article 8, c'est que sa diffusion dans une nouvelle zone de rapports privés va nécessairement se traduire par une concurrence entre plusieurs droits au respect de la vie privée de personnes qui sont situées exactement sur le même plan horizontal. En effet, si le bailleur peut être contrarié de la neutralisation de la clause d'habitation personnelle, il n'en sera pas affecté dans sa vie personnelle ni même dans ses intérêts patrimoniaux. A l'évidence, il en va tout autrement du colocataire. En la matière, avant d'écarter la clause d'habitation personnelle au nom de la protection de la vie privée de l'un, il faut nécessairement apprécier les conséquences qui en résulteront pour la vie privée de l'autre ou des autres. Il convient donc de se livrer à une pesée des intérêts en présence au moyen d'un principe de proportionnalité privatisé. Or, il ne s'en trouve pas la moindre trace dans le raisonnement de l'arrêt Zéline : la protection de la possibilité d'héberger ses proches est affirmée de manière générale sans définition de la notion de « proches » et sans même envisager que leur nombre pourrait avoir une incidence sur la solution. Il est vrai que, en l'occurrence, le contrôle de proportionnalité n'aurait pas pu conduire à dénier à Mme Zéline le droit de donner l'hospitalité. En effet, personne n'est plus « proche » qu'un descendant et il n'en avait été hébergé qu'un seul. Imagine-t-on que l'on aurait pu imposer au droit au respect de la vie privée du colocataire les mêmes restrictions face à des proches un peu moins proches comme la sœur du concubin de l'affaire Mel Yedei ?
La troisième chambre civile qui, comme on l'a vu, admet les plus subtiles nuances de l'effet horizontal de l'article 8 refuse donc catégoriquement d'admettre celui de l'article 9 qui, lui, est privé de toute influence contractuelle. Ce contraste entre la portée des deux articles de la Convention pourrait peut-être s'expliquer par l'urgence de protéger la laïcité contre les attaques de plus en plus vives qui la menacent. Ce serait sans doute oublier que la laïcité bien comprise ne consiste pas ignorer toutes les religions mais à accorder à toutes un égal respect lorsque, comme en l'espèce, leurs manifestations sont pacifiques.
Doc. 9 : Civ. 3ème, 13 nov. 1997
Cassation au visa des articles 1143 et 1134 du code civil et par un motif, reproduit dans un chapeau interne, transcrivant mot pour mot les termes de l'article 1143 : « Attendu que le créancier a le droit de demander que ce qui a été fait par contravention à l'engagement soit détruit ; qu'il peut se faire autoriser par justice à le détruire aux dépens du débiteur, sans préjudice des dommages-intérêts s'il y a lieu ».
Réparation : le préjudice ne serait plus une condition de la condamnation à des dommages-intérêts pour violation d'une obligation de ne pas faire.
L'arrêt est surprenant car on croyait jusque là que l'allocation de dommages-intérêts, comme d'ailleurs toute condamnation à réparation, est subordonnée à la preuve d'un préjudice de la victime. Peu importe à cet égard que celle-ci soit créancière d'une obligation contractuelle ou victime d'un délit ou d'un quasi délit. Peu importe également que l'obligation inexécutée ou le devoir transgressé soit de faire ou ne pas faire, de résultat ou de moyens, etc. On enseigne en effet traditionnellement que la mise en oeuvre de la responsabilité civile suppose l'existence d'un dommage réparable (V. G. Viney et P. Jourdain, Les conditions de la responsabilité, n° 247, et les auteurs cités). Et cela est particulièrement vrai pour justifier les condamnations indemnitaires qui expriment sa fonction essentielle de réparation (M.-E. Roujou de Boubée, Essai sur la notion de réparation, LGDJ, 1974, p. 69 et s. : « Par définition la réparation suppose un préjudice »).
Alors comment expliquer l'arrêt ?
Manifestement la Haute juridiction semble impressionnée par les termes de l'article 1143 du code civil, lesquels laissent entendre que la sanction qu'ils visent est indépendante de la preuve d'un préjudice lorsqu'il y a contravention à un engagement de ne pas faire.
L'inconvénient est que l'article 1143 était sans application à l'espèce. Ce texte ne vise en effet expressément que la demande de destruction de ce qui a été fait à tort. Même si la jurisprudence a sensiblement élargi sa portée pour y inclure les mesures d'anéantissement des actes juridiques (nullité, inopposabilité...), son domaine reste circonscrit aux condamnations en nature du débiteur. Dans ces hypothèses, la demande tend non pas à une indemnisation ou une à réparation, fut-ce en nature, mais, selon la jurisprudence, à une exécution forcée (Civ. 1re, 3 déc. 1962, Bull. civ. I, n° 511 ; D. 1963.302, note C. Blaevoet ; Civ. 3e, 18 janv. 1972, Bull. civ. III, n° 39 ; 19 mai 1981, ibid. n° 101 ; 13 oct. 1981, ibid. n° 152 ; D. 1982.IR.290, obs. C. Giverdon ; Civ. 3e, 25 janv. 1995, Bull. civ. III, n° 29 ; Resp. civ. et assur. 1995.comm.121). La force obligatoire du contrat justifie alors qu'il y soit fait droit indépendamment de tout préjudice. Et en toute hypothèse l'existence d'une disposition légale expresse fonde suffisamment la dispense de preuve d'un préjudice à l'appui de demandes de condamnation en nature. Or il n'y avait rien de tel en la cause où la bailleresse ne sollicitait semble-t-il que des « dommages-intérêts » et où en tout cas la solution est expressément appliquée à cette demande seule mentionnée dans l'arrêt. C'est ainsi à tort que ce texte a été appliqué en l'espèce.
Doc. 10 : Civ. 3ème, 3 décembre 2003
La Cour de cassation énonce d'abord que : « des dommages-intérêts ne peuvent être alloués que si le juge, au moment où il statue, constate qu'il est résulté un préjudice de la faute contractuelle ». Puis, la cour d'appel ayant relevé que les locaux donnés à bail avec déspécialisation à un nouveau preneur avaient nécessité un réaménagement spécifique complet et que le bailleur ne prétendait ni avoir réalisé des travaux ou contribué à l'aménagement du nouveau preneur ni dû consentir un bail à des conditions plus défavorables que si l'état des lieux avait été différent, la Haute juridiction estime qu'elle en a exactement déduit que la demande de dommages-intérêts devait être rejetée
Plusieurs arrêts récents de la Cour de cassation avaient éveillé l'attention des observateurs en admettant qu'une responsabilité contractuelle pût être engagée en l'absence de préjudice (Civ. 3e, 25 janv. 1995 ; 13 nov. 1997 ; 30 janv. 2002) Par important un arrêt émanant de sa troisième chambre civile, la Cour de cassation réalise une mise au point aussi nécessaire qu'opportune.
La Cour de cassation devait donc prendre position sur le maintien de cette jurisprudence qui avait suscité des commentaires très divers, entre critique, approbation et interrogation. Elle le fait de façon solennelle (en formation plénière de chambre) par un rejet du pourvoi. Revenant clairement sur sa position antérieure, elle énonce d'abord que : « des dommages-intérêts ne peuvent être alloués que si le juge, au moment où il statue, constate qu'il est résulté un préjudice de la faute contractuelle ». Puis, la cour d'appel ayant relevé que les locaux donnés à bail avec despécialisation à un nouveau preneur avaient nécessité un réaménagement spécifique complet et que le bailleur ne prétendait ni avoir réalisé des travaux ou contribué à l'aménagement du nouveau preneur ni dû consentir un bail à des conditions plus défavorables que si l'état des lieux avait été différent, la Haute juridiction estime qu'elle en a exactement déduit que la demande de dommages-intérêts devait être rejetée.
[1] Ex. : Cass. Civ. 3ème, 15, avril 1975, Bul. Civ. n° 118 : étudiants ne versant qu’une simple redevance mensuelle de 4,5 €, à tort qualifier de « loyer », ne représentant qu’une participation aux frais
[2] Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière :
1° De délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d'habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l'expulsion de l'occupant ;