La création du Parquet européen : une pierre ajoutée à l’édifice de la coopération judiciaire pénale

Publié le 20/06/2011 Vu 3 375 fois 0
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Lorsque la protection les intérêts financiers des Etats membres et la répression de la criminalité transfrontalière deviennent la nécessité de la création d’un organe de poursuite pénale à dimension européenne : le Parquet européen.

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La création du Parquet européen : une pierre ajoutée à l’édifice de la coopération judiciaire pénale

Le parquet européen ou comment une ancienne idée impulsée dés 1977 par Valéry Giscard d’Estaing prend enfin intérêt dans la sphère juridique européenne. Ghaled-Marzhan parle même d’une « utopie qui deviendrait réalité » [1] tant cette proposition d’un organe judiciaire pénal commun à tous les états membres n’emportait pas l’adhésion des chefs de l’état et des gouvernement des pays de la communauté européenne.

 

En 2000, cette idée fut reprise lors de la dernière conférence intergouvernementale de Nice, avec la proposition de la Commission européenne de conférer la garantie de la protection des intérêts financiers de la communauté à un procureur européen indépendant. Toutefois, cette création trouve ses limites dans un organe « Eurojust » dont la fonction est de renforcer la coopération judiciaire dans l’union européenne. Cette coopération qui sera consacrée par la traité de Maastrich en 1992 [2] en matière pénale, complétée par la suite par le Traité d’Amsterdam, signé en 1997 [3].

 

Ces quelques considérations faites et nécessaires à la compréhension de cette évolution découlant de la création d’un espace judiciaire européen à la réflexion de la création d’un parquet européen, notre étude va se concentrer principalement sur cet organe, cette institution. Mais qu’importe le titre, le seul fait que le Conseil d’état se penche dans une réflexion structurée sur sa création, attise toute ma curiosité et active mon oeil critique.

 

Toutefois, à la lecture de ces premières observations dont une certaine réticence à l’institution d’un parquet européen de certains états membres, une question se pose à l’évidence : pourquoi l’existence de ce rapport ? Voici notre point de départ : l’article 86 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (Traité FUE). Je vous l’accorde, pas uniquement. En effet, le Traité de Lisbonne du 1er Décembre 2009 [4] a profondément modifié le Traité FUE, et par voie de conséquence, l’article 86.

 

Précisément, les dispositions du 1er alinéa dudit article « 1. Pour combattre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union, le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à une procédure législative spéciale, peut instituer un Parquet européen à partir d'Eurojust. Le Conseil statue à l'unanimité, après approbation du Parlement européen. ». Précision faite que cet article est institué dans le Chapitre 4 du Traité FUE intitulé « coopération judiciaire en matière pénale ».

 

De part cet texte et de part l’initiative de l’Assemblée nationale en association avec le sénat, le Premier ministre a adressé une lettre de mission au Conseil d’Etat le 31 mai 2010 ayant pour teneur une demande d’étude sur la création d’un parquet européen et des impacts éventuels dans notre droit interne national. En effet, cette institution qui se dessinait comme un oasis dont l’existence se défilait à l’approche de sa concrétisation au delà de sa supposition, apparait aujourd’hui à proximité de notre sphère juridique, apportant une pierre massive dans l’édifice du droit pénal européen. Nonobstant, toutes les difficultés que cette institution va dégager découlant de la cohabitation avec les droits pénaux nationaux des états membres et d’une certaine atteinte à la souveraineté des pays qui est le socle de l’application du droit pénal, droit « sanctionnateur » du respect de l’Ordre public. Des interrogations de deux natures se dégagent alors de cette création d’un parquet européen : des questions d’ordre judiciaire mais aussi d’ordre politique.

 

Cette demande trouve sa source, dans le Livre vert [5] de la commission européenne de 2001 d’une part et d’autre part, de la proposition formulée par la Présidence espagnole qui a sollicité l’avis des états membres sur le sujet avant la fin de l’année 2011 (la France est donc le premier des états membres à rendre son avis) ainsi que la réflexion engagée par la Cour de Cassation à l’initiative du Procureur Général Jean Louis NADAL.

 

Le Conseil d’Etat, alors ici, pour la première fois saisi d’une demande de réflexion émanant du Premier ministre, va répondre en 138 pages, pas moins, à l’institution d’un parquet européen [6]. Contentons nous se rester sur notre terrain de prédilection et essayons de porter sur cette réflexion un regard uniquement juridique et pragmatique sans en déformer la substance donnée par le Conseil d’Etat qui a jugé pertinent d’établir cette réflexion en prenant à l’étude trois angles différents, une étude lourde et détaillée dont l’essentiel doit être libéré.

 

La lecture de son rapport me conduit à résumer ses 138 pages en trois considérations qui caractérisent le découpage initiale : définir son environnement pour justifier son utilité (I), définir sa forme pour délimiter ses compétences (II) et enfin définir son champs d’application pour évaluer son impact (III).

 

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I.   Au nom de la protection des intérêts financier de l'Union Européenne

 

Le nombre conséquents de pages de cette étude, soit 138, ne sont pas sans raison. En effet, l’article 86 du Traité FUE soulève plusieurs questions dont les réponses peuvent s’avérer délicates.

 

Toutefois, comme il l'est pertinemment précisé dans le dossier de presse relatif aux principales conclusions de l’étude du Conseil d’Etat « la réflexion sur l’institution d’un Parquet européen », le Conseil d’Etat qui n’a pas compétence pour se prononcer sur le bien fondé de ce projet, reste convaincu que « la création d’un véritable organe commun de poursuites » contribuerait à la progression dans « la voie du renforcement d’un espace judiciaire pénal européen ».

 

Néanmoins, si le bien fondé de cette institution doit être écarté, l’utilité de sa justification trouve évidence (B), celle-ci conduisant à établir, dans un premier temps : son environnement (A).

 

A.   D'un espace de justice au Ministère public européen

 

L’étude parle « de renforcement de l’espace judiciaire pénal européen », certes, mais comment se concrétise ce renforcement ? Par l’institution d’un Parquet européen, organe de poursuite pénale commun aux états membres et dont les compétences sont à dimension européennes.

 

La question congrue qui se pose alors, et ce, bien avant toutes considérations relatives aux raisons de cette institution est comment cette idée a-t-elle germée puis évoluée dans l’environnement juridique européen ?

 

Comme il l'est précisé « in supra », en 1977, le Président Valéry Giscard d’Estaing avait proposé la création d’un espace judiciaire européen au cours d’une réunion du Conseil européen à Bruxelles. Cette idée, à l’identique de la proposition faite par la France de la création d’une « Cour pénale européenne » ne recueillera pas les faveurs de l’ensemble des chefs des Etats de la communauté européenne. Les bases d’une coopération judiciaire pénale ne seront véritablement posées par la traité de Maastricht, ainsi complété par la Traité d’Amsterdam.

 

La réunion du Conseil de l’Europe à Tampere en Finlande en 1999 [6] représente la première étape essentielle à cette évolution. Au delà de la consécration de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, le Conseil de l’Europe décide de la création d’une unité Eurojust.

 

Eurojust est défini au point 46 des conclusions adoptées par les chefs de l’état et de gouvernement en ces termes : « Afin de renforcer la lutte contre les formes graves de criminalité organisée, le Conseil européen a décidé la création d'une unité (Eurojust) composée de procureurs, magistrats ou d'officiers de police ayant des compétences équivalentes détachés, par chaque État membre conformément à son système juridique. Eurojust aura pour mission de contribuer à une bonne coordination entre les autorités nationales chargées des poursuites et d'apporter son concours dans les enquêtes relatives aux affaires de criminalité organisée, notamment sur la base de l'analyse effectuée par Europol ; cette unité devra aussi coopérer étroitement avec le Réseau judiciaire européen, afin, notamment, de simplifier l'exécution des commissions rogatoires. Le Conseil européen demande au Conseil d'adopter l'instrument juridique nécessaire avant la fin de l'année 2001 ».

 

La création d’un procureur européen sera envisagée lors de la conférence intergouvernementale, un projet qui a fait l’objet d’une étude: « le Corpus Juris » [7]. Cette proposition n’a pas été retenue. Inversement, la création de l’unité nommée Eurojust va être retenue par les chefs d’Etat et de gouvernent. Celle-ci sera instituée par une décision adoptée par le Conseil de l’Union Européenne, le 28 février 2002. Elle a son siège à La Haye.

 

Une remarque s’impose, au regard de son large champ de compétence en matière d’infractions transnationales et des trois buts qui lui sont objectés ; la similitude avec les compétences d’un Parquet européen sont flagrantes, vous pourrez le constater à la lecture de cette étude. L’institution d’Eurojust éteint donc la nécessité d’un parquet européen, et d’autant plus, en prenant en compte, le rejet de la proposition d’un Procureur européen. En Eurojust, l’Union Européenne trouve la réponse pénale de la protection de ses intérêts.

 

Cependant, l’Union Européenne en constante recherche de réaction pénale contre les atteintes portées à ses intérêts et dans un but d’effectivité de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, maintient l’intérêt du projet de la création d’un Parquet européen et alimente d’autant plus les débats sur la question. Cette question qui demeure malgré tout, controversée. La première référence au Parquet européen est expressément mentionnée aux termes de l’article III-274 du Traité Constitutionnel [8].

 

Dans le même esprit de la construction d’un espace pénal européen, l’adoption du mandat d’arrêt européen constitue une pierre à cet édifice, même si, comme le rappelle le Conseil d’Etat, celui-ci fut adopté dans la précipitation après les attentats du 11 septembre 2001.

 

Le Traité d’Amsterdam de 1997 va consolider cette idée de création qu’un parquet européen en dégageant un concept plus restreint qu'« un espace de justice » mais un « espace judiciaire européen ». Cet espace judiciaire européen ayant pour vocation de renforcer et d’harmoniser la coopération judiciaire pénale européenne et de lutter contre une délinquance transnationale de plus en plus présente et fréquente. Cette idée sera soutenue par la publication du « Corpus Juris » en 1997. C’est dans ce corps de texte que l’idée de « ministère public européen » est invoquée de manière concrète. La proposition de sa création est prévue à l’article 18 qui le décrit comme « indivisible et solidaire ».

 

La deuxième étape importante à cette construction est le « Livre vert ». C’est un projet qui a été déposé en 2000 à la conférence intergouvernementale préalable à l’adoption du Traité de Nice. Ainsi, il ressortira pour ce qui nous intéresse, que « la commission a proposé pour répondre au phénomène de fraude aux finances de l’Europe, et de remédier au morcellement de l’espace pénal européen par l’institution d’un procureur européen » [9].

 

Dans le « Corpus juris » apparait pour la première fois le mot « ministère public européen », le Livre vert fait place au « procureur européen », il faudra attendre le Traité de Lisbonne pour faire référence au « Parquet européen ».

 

L’exposé de son environnement va permettre de comprendre la nécessité d’un parquet européen. Les motifs à la création du parquet européen deviennent les objectifs à sa mission : renforcer, protéger, harmoniser au non des intérêts de l’Union Européenne.

 

B.   De la protection approfondie des intérêts financiers au renforcement de la coopération pénale européenne

 

Parler d’exigence en matière d’institution d’un Parquet européen pourrait paraitre excessif mais invoquer « sa nécessité » n’est pas injustifié. Le Conseil d’Etat emploie ce terme précisément dans la première partie de son étude pour justifier la création de cet organe judiciaire pénal. Dans une approche « européenne », le Conseil d’Etat invoque la protection des intérêts financiers et dans une approche de citoyen, il argue des attentes du justiciable en matière de sécurité et de criminalité transfrontalière.

 

La notion de « protection des intérêts financiers » n’est pas nouvelle, c’est le Traité de Maastricht de 1992 qui va renforcer la défense des intérêts financiers propres de l’Union Européenne en disposant que son non respect constitue « une véritable infraction européenne ». Le Conseil d’Etat apporte une précision, il donne un caractère « approfondi » à la protection. Pourquoi ?

 

La raison est que la défense des intérêts financiers de l’Union Européenne ne prend pas naissance par l’institution d’un parquet européen. Cette défense déjà est assurée par l’Office de Lutte Anti-fraude (OLAF) créé le 28 avril 1999 afin d’assurer la mise en oeuvre des différentes conventions et protocoles relatifs à la lutte contre les fraudes ou corruption au sein de l’Union Européenne telle que la Convention relative à la protection des intérêts financiers [10] sera complétée par de nombreux textes.

 

L’OLAF est un office autonome investi de pouvoirs spécifiques. Aux termes de l’article 280 du Traité instituant la Communauté Européenne signé à Rome le 25 mars 1957, sa mission est de lutter contre les fraudes du budget de l’Union et la corruption. Il détient aussi de larges pouvoirs en matière d’enquête, malgré tout, n’en demeure pas moins, certaines lacunes et problèmes : « longueur excessive de l’enquête, imprécision des règles de procédure et coopération insuffisante des états membres ».

 

La palliation de ces lacunes trouve substance dans l’institution d’un parquet européen selon le Conseil d’Etat. Nonobstant que la défense les intérêts financiers étant le socle majeur à cette institution, le Conseil d’Etat prend en compte d’autres problématiques à la justification du Parquet européen.

 

Le Conseil d’Etat souligne deux points ayant un phénomène pénal commun : le développement de la criminalité transfrontalière qui ne cesse d’évoluer. Les moyens modernes de communication ne sont pas innocents à ce développement ainsi que la libre circulation au sein de l’Union Européenne.

 

Premier point - formulation scolaire, je vous l’accorde, mais efficace - la nécessité de renforcer la coopération pénale européenne. Ce renforcement est incontestable pour remédier à ses insuffisantes : manque de moyens coercitifs, lenteur de la procédure en matière de poursuite mais surtout hétérogénéité des réponses pénales au sein des états membres de l’Union européenne. Il est opportun que les actes criminels et délictuels accomplis dans le territoire de différentes Etats membres soient appréhendés dans leur ensemble.

 

Le Conseil d’Etat précise, comme le formule « le Livre vert » que « si l’harmonisation de la réponse pénale est susceptible d’être améliorée par l’institution d’un parquet européen, elle est, à l’inverse, et par construction, exclue de tout système intergouvernemental ». Le Parquet européen constituera donc le seul acteur en matière de poursuite pénale à échelle européenne.

 

Second point : la réponse pénale aux attentes du justiciable. Dans la forme, la réponse à la criminalité transfrontalière se concrétise par le renforcement de la coopération pénale mais dans le fond, par la considération « attentes du contribuable » ici, en tant que citoyens nationaux et citoyens européens. En effet, les fraudes contre les intérêts financiers sont à prendre au sérieux. Les chiffres relatifs aux incidents financiers dus aux fraudes sont concluants et l’impact sur les Etats membres et leurs citoyens n’est pas insignifiant.

 

Ses conséquences sont entendues par le Conseil d’Etat, ainsi que « opinion publique européenne qui réclame non seulement des solutions mais surtout des réactions». L’institution du Paquet européen contribuerait à la diminution de la délinquance dans le cadre de la crise financière mais aussi de la criminalité grave financière comme le blanchiment, la fausse monnaie, le trafic de stupéfiant, la cybercriminalité, et la contrefaçon.

 

Cette brève analyse du contexte de l’institution du Parquet européen et de la justification de ce dernier n’est que la base de la construction de notre étude. Continuons l’édifice en bâtissant les murs, c'est-à-dire juridiquement parlant : la forme. Mais pas seulement, un édifice sans meuble et vide. Il est donc nécessaire de lui octroyer une substance «matérielle» : ses compétences.

 

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II.   L’entre deux d’un parquet « réaliste » ou d’un parquet « extensif »

 

Le Conseil d’Etat va devoir faire preuve d’audace en définissant la forme et en déterminant les compétences de ce Parquet européen. En effet, l’article 86 du Traité FUE silencieux sur le sujet, se limite « renvoyer, à cet égard, à des règlements adoptés par le conseil à l’unanimité, après approbation du parlement européen ».

 

La position du Conseil d’Etat se restreint à des approches modérées d’identification de différentes solutions où deux modèles se dégagent principalement. Deux conceptions qui sont qualifiées dans le dossier de presse de « réalistes » et « extensives » (A). La lecture amène à penser que le Conseil d’Etat se positionne sensiblement sur la conception d’un Parquet européen réaliste. De cette éventualité, celui-ci après avoir répondu à la question de la forme de ce Parquet européen, répond à celle qui suit par conséquence : quelles seront les attributions de ce Parquet ? C’est la question de la détermination des compétences (B).

 

A.   Les contours structurels et fonctionnels du parquet européen

 

Le Conseil d’Etat envisage cette institution sous deux formes : un parquet décentralisé dit « réaliste » et un parquet centralisé dit « extensif ». En effet, le Conseil d’Etat ne peut procéder à l’établissement d’une structure type. Il peut seulement analyser les possibilités de configuration qui pourraient être pertinentes pour l’efficacité d’un Parquet dans ce contexte de criminalité européenne, et pour l'articulation avec le Parquet national français qui va devoir s’adapter avec cet organe indépendant européen. Sur ce sujet, le Conseil d’état le souligne lui-même, que sa position doit être modérée et objective, pour ne pas empiéter sur une compétence qui appartient aux institutions européennes.

 

Le premier mode d’organisation proposé par la Conseil d’Etat est un mode d’organisation collégial, qui se compose d’un représentant par Etat membre de l’Union : le Parquet réaliste. Ce concept retenu également dans le Livre vert reçoit les faveurs du Conseil d’Etat qui allègue les considérations relatives à la souveraineté de l’Etat membre et de leur monopole au respect de l’ordre public. De plus, cette position est cohérente au regard de la structure collégiale de l’Eurojust. Toutefois, l’effectivité de ce mode est soumis, d’une part, à la considération des impératifs de réactivité et d’efficacité de la répression et d’autres parts, à la détermination du processus décisionnels des organes d’enquête. Opter pour une structure unique composée d’un seul procureur Européen, permettrait l’effectivité de la réactivité face aux atteintes aux intérêts financiers de l’Union Européenne et de l’efficacité de la procédure d’où la qualification d’un Parquet dit « extensif ». Seulement, cette conception à l’opposé de la collégialité conduit à l’inconvénient qui fait l’avantage de celle-ci : l’atteinte à la souveraineté des Etats membres.

 

La compétence de ce Parquet européen centralisé se heurterait à la rapidité des services d’enquête nationaux. La création de son propre service d’enquête, serait pénalisé par le manque de proximité du lieu de commission et par voie de conséquence du lieu d’investigation. Notre état n’aurait qu’à plaider sa compétence territoriale pour évincer le Parquet européen.

 

Avantages et inconvénients établis, le Parquet européen serait alors constitué d’un organe collégial composé d’un représentant de chaque Etat membre pour la prise de décisions, et d’une structure composée de procureurs européens délégués, décentralisés dans les Etats membres afin de garantir une mise en oeuvre efficace. Le délégué national ayant l’avantage des connaissances du système juridique de l’Etat membre qu’il représente. Une coordination alors nécessaire entre les délégués nationaux ainsi que la direction sont à la charge du procureur européen.

 

La détermination des compétences est à ce point essentielle pour éviter toute incohérence dans le processus de la répression qui pourrait alors conduire à des vices de procédure et porter atteinte au but poursuivi et commun à tous : la protection des intérêts financiers de l’Union Européenne. La question de la similitude des fonctions entre procureurs nationaux et procureurs européens délégués peut être soulevée, de même qu’une concurrence dans les investigations de la répression pénale. Il sera opportun de préciser plus amplement le statut de ces procureurs européens et par là de même, leur compétence.

 

Précision faite dans le dossier de presse relative à la réflexion sur l’institution d’un Parquet européen que « ce mode est privilégié par le Conseil d’Etat ». Si l’article 86 du Traité FUE ne se prononce pas sur la forme d’un futur Parquet européen, il ne se prononce pas plus sur la compétence de ce Parquet européen, il se contente de se référer à quelques d’infractions et de renvoyer à l’adoption d’un règlement de droit pénal matériel pour la définition aux seules infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union Européenne ( article 86 du TFUE §2)

 

B.   Les contours de la compétence ratione materiae du Parquet européen

 

L’atteinte à la protection aux intérêts financiers de l’Union Européenne et la criminalité transfrontalière définis aux termes de l’article 86 ne sont pas exclusives des attributions susceptibles d’entrer dans le champ de compétence ratione materiae du Parquet européen. L’inconvénient est que la compétence n’est pas clairement délimitée, il n'existe aucune liste ni énumération d’infractions. A contrario, l'avantage résulte de la marge de manoeuvre sur la définition et la circonscription de cette compétence matérielle qui peut en ressortir. Cependant, le Conseil d’Etat ne se prive pas de rappeler qu’à la lecture de l’article 5§2 du Traité FUE, cette délimitation s’impose.

 

Cette exigence a une raison simple mais certaine, celle d’éviter les conflits positifs ou négatifs de compétences. Lorsqu’il y a conflit négatif de compétences, tous les organes susceptibles de poursuivre se déclarent incompétentes, inversement, lorsque le conflit est positif, ceux-ci se déclarent tous compétents. Sans oublier, l’atteinte au grand principe directeur du droit pénal : « nullum crimen, nulla poena, sine lege ». En effet, comment peux-t-on poursuivre un individu pour un comportement si celui-ci n’est pas textuellement et clairement incriminé ?

 

Une définition s’avère nécessaire et celle-ci va trouver son support dans l’article 1er de la Convention relative à la protection des intérêts financiers des communautés européennes « dite Convention PIF » établie par un acte du Conseil du 26 juillet 1995 qui dispose que « constitue une fraude en matière de dépenses: tout acte ou omission intentionnelle relative soit à l'utilisation ou à la présentation de déclarations ou de documents faux, inexacts ou incomplets ayant pour effet la perception ou la rétention indue de fonds provenant du budget général communautaire ou des budgets gérés par la CE ou pour son compte; soit à la non-communication d'une information en violation d'une obligation spécifique, ayant le même effet; soit au détournement de tels fonds à d'autres fins que celles pour lesquelles ils ont été initialement octroyés.

 

Une fraude en matière de recettes: tout acte ou omission intentionnelle relative soit à l'utilisation ou à la présentation de déclarations ou de documents faux, inexacts ou incomplets, ayant pour effet la diminution illégale de ressources du budget général communautaire ou des budgets gérés par la CE ou pour son compte; soit à la non-communication d'une information en violation d'une obligation spécifique, ayant le même effet; soit au détournement d'un avantage légalement obtenu, ayant le même effet. »

 

Cette définition de la fraude s’attache aux atteintes aux intérêts financiers en matière de dépenses et en matière de recettes uniquement. En droit pénal français, cette définition n’englobe que quatre qualifications d’infractions ayant pour conséquence d’exclure nombre d’infractions comme le précise la réflexion du Conseil d’Etat : « délits de corruption ou de trafic d’influence, de recel, de blanchiment du produit des infractions incriminés. »

 

Trois protocoles additionnels [12] vont étendre la définition posée par la Convention PIF aux actes de corruption passive et active, de blanchiment, de fraude dés lors qu’ils portent atteinte aux intérêts financiers ou au budget de l’Union Européenne.

 

Les auteurs du Corpus Juris avaient retenue une conception plus large et plus précise en établissant une liste énumérative de huit infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union Européenne. Le Livre vert retient une définition très proche de celle de la Convention PIF telle qu'amendée par ses protocoles, exception faite sur un point. En effet, la commission étend la compétence d’un Procureur européen aux fraudes en matière de TVA commises lors des échanges intercommunautaires.

 

Le Conseil d’Etat analyse ces différentes approches en prenant en compte toutes les difficultés pour définir les contours de la compétence matérielle du Parquet européen et de la notion de préjudice causé à l’Union Européenne. La précision et la clarté des infractions portant atteinte aux intérêts de l’Union Européenne est indispensable.

Cette imprécision du Traité FUE conduit à ces divergences de position concernant les attributions du Parquet européen. La compétence matérielle ne se limite pas à la protection des intérêts financiers de l’Union Européenne. Certaines des personnes auditionnées, à cet effet, ont fait le voeu d’une extension à la criminalité grave transfrontalière. Une compétence en cohérence avec le champ d'Eurojust. D’autres prennent la position d’un Parquet européen compétent « pour connaitre toutes infractions qui sont de nature à léser tout intérêt européen ». La tache s’avère complexe.

 

Quelques précisions sont apportés par le Conseil quant à la notion de « crimes graves » de l’article 86 § 4 du Traité FUE. L’exclusion de la seule référence aux articles 111-1 et 131-1 du code pénal étend cette notion à toute infraction de nature intentionnelle. Sous un angle européen, c’est la liste énumérée à l’article 83 § 1 du Traité FUE qui semble le plus adapté à la criminalité dans un contexte transfrontalier. Elle se rapproche des 32 infractions énumérées à l’article 2 de la décision-cadre du mandat européen ayant une étendue de champ de compétence moins étroite que la liste de la loi du 9 mars 2004.

 

Au-delà de la détermination du champ de compétence ratione materiae qui soulève des difficultés, se pose l’interrogation du caractère exclusif ou concurrent de cette compétence. Ainsi que des conséquences du choix qui va être déterminé dans les relations entre le Parquet européen et les Parquets des Etats membres.

 

Définir la forme, la structure « possible » du Parquet européen suscite des interrogations, certes, mais ce ne sont pas seules. Le Conseil d’Etat doit solutionner celles qui surgissent de l’implication du Parquet européen dans notre droit interne : c’est la question de la cohabitation entre les règles pénales internes et les règles spéciales régissant « le Parquet européen ».

 

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III.   De la cohabitation procédurale à la révision constitutionnelle : l’impact de l’implication du Parquet européen

 

La complexité que provoque l’impact de l’institution du Parquet européen dans notre droit national n’est pas sans importance. Elle conduit à répondre à des considérations procédurales liées tant à ses attributions qu’à ses relations avec le droit interne. Cependant, il serait vain de résumer toutes les solutions ou propositions concrètes qu’offrent cette étude du Conseil d’Etat. Elles ont un but commun qui est celui de trouver un mode de cohabitation permettant l’efficacité de la répression dans la sphère européenne par les compétences attribuées au Parquet européen sans porter atteinte à la souveraineté des Etats membres de l’Union Européenne (A). Toutefois, selon le Conseil d’Etat, l’implication de la création d’un Parquet européen n’emporte pas la conséquence d’une révision constitutionnelle (B) .

 

A.   La cohabitation envisagée face à la complexité des questions

 

La première interrogation qui, selon ma propre approche, est pertinente est celle des règles procédurales en matière d’enquête. En effet, chaque Etat pose ses propres règles de procédure en matière de répression en général, et distinctement en matière d’enquête. Comment procéder lorsque les éléments constitutifs d’une infraction dans l’espace européen sont commis dans différentes Etats membres ? La question de la création d’un socle de règles communes aux Etats membres par le Conseil ne manque pas d’audace. La divergence des règles procédurales en matière pénale au sein des différents Etats membres est à prendre en compte.

 

Le Conseil d’Etat parle d’une « vingt-huitième procédure », c'est-à-dire, différente des procédures des 27 Etats membres afin de mettre en oeuvre les pouvoirs coercitifs du Parquet européen. Il est nécessaire d’offrir une harmonisation des règles de procédure contre les individus poursuivis par le Parquet européen face à la disparité des règles nationales de procédure en matière de répression. Si cette procédure est appliquée à l’état pur, le caractère concurrent de la compétence et non exclusive peut se supputer et pourrait avoir l’inconvénient de différer l’institution du Parquet européen. Le Conseil d’Etat apporte une nuance en définissant une procédure commune pour certains actes des attributions du parquet, les plus coercitifs.

 

Faut-il alors déterminer la nature de ces pouvoirs coercitifs ? Le Conseil d’Etat tente de répondre à cette question.

 

Dans une première approche, le Parquet européen détiendrait les pouvoirs d’enquête identiques à ceux qui sont reconnus au Ministère public de chaque Etat membre, sous une forme énumérative pour éviter toute confusion. Mais aussi dans un souci d’effectivité, il faudrait aussi lui conférer le pouvoir d’accomplir, sous le contrôle du juge, tous les actes d’enquêtes coercitifs entrant dans le champ d’application de la criminalité organisée [13].

 

Cette qualifications des pouvoirs d’enquête du Parquet amène certaines interrogations, à savoir comment articuler les pouvoirs octroyer au Parquet et ceux déjà détenus par les délégués parquetiers européens de chaque état membre. La concurrence aurait pour conséquence des conflits positifs ou négatifs de compétence, l’exclusivité conduirait à porter atteinte à la souveraineté de chaque état membre. Dans l’hypothèse ou le parquet ne serait pas une formation collégiale mais unique, c'est-à-dire qu’il ne disposerait pas de délégués procureurs, il devra alors cohabiter avec les services d’enquêtes de police judiciaire de chaque Etat membre. Le Conseil d’Etat envisage aisément que la faculté de saisir ces dits services soit prévue dans le règlement relatif au Parquet européen : c’est la question des pouvoirs d’instruction.

 

Ce pouvoir d’instruction est entrevu sous deux aspects : Le Conseil d’Etat parle de « solution haute » pour son premier aspect et « basse » pour le second aspect. La différence entre les deux : le pouvoir du choix du service d’enquête. Dans la première solution, les investigations seront diligentées par un service d’enquête que le parquet aura prescrit lui-même, le rôle du Ministère public se limiterait à faire passer la demande. Cette solution a pour difficulté d’être inconciliable avec l’article 30 de la procédure pénale de droit français [14]. En effet, cette solution priverait le Ministère public de connaitre d’une enquête ayant pour conséquence une modification législative. Pourquoi cette modification? Le caractère concurrent des pouvoirs du Parquet européen et du Ministère public.

 

Dans la seconde solution, le parquet européen « serait contraint » nous précise le Conseil d’Etat, de demander au Parquet national d’ouvrir une enquête, à charge de ce dernier de choisir le service d’enquête compétent. L’inconvénient c’est la dépendance qui découle du Parquet européen à l’égard du parquet national ayant pour conséquence de restreindre les pouvoirs de ce dernier et à l’évidence de limiter même d’étouffer son efficacité.

 

Le Conseil d’Etat rajoute qu’il serait opportun pour rendre conciliable la « solution haute » de déterminer les services d’enquêtes compétents, c'est-à-dire, ceux susceptibles d’être prescrits par le Parquet européen.

 

Au regard de ces quelques solutions en réponse aux interrogations qui peuvent se présenter à la création mais surtout à l’implication d’un Parquet européen dans notre sphère juridique, il est aisé d’en conclure à la largesse des pouvoirs « supposés » du Parquet européen.

 

Pour autant, le Conseil d’Etat n’exclut pas le contrôle des actes coercitifs par un juge en envisageant son intervention sous plusieurs formes. Précision faite de l’article 66 de la Constitution interprété par la décision du 23 décembre 1993 [15] du Conseil Constitutionnel qui décide que l’atteinte portée aux libertés individuelles par les actes d’enquête oblige à l'autorisation préalable de l’autorité judiciaire.

 

Toutefois, si le Conseil d’Etat regarde minutieusement tous les points de difficultés qui peuvent émaner de l’implication du Parquet européen dans notre droit national, de sa cohabitation avec les règles de procédure pénales internes, de l’articulation entre les dispositions spécifiques au Parquet européen et celles de notre droit français, il dégage un point qui ne fait pas l’objet de proposition ou de solution : la question de la révision constitutionnelle.

 

B.   La base constitutionnelle claire à l’institution du Parquet européen :la révision du 4 février 2008 ( la réflexion du Conseil d’Etat)

 

Le droit pénal et la procédure pénale renvoient directement à la souveraineté, à l’ordre public et en vertu de l’article 34 de la Constitution de la Vème République, à la loi. Par voie de conséquence, la probabilité de voir surgir des difficultés de nature constitutionnelle dans plusieurs Etats membres est fortement présente.

 

Sur la question, le Conseil d’Etat rappelle la réforme constitutionnelle réalisée suite à la saisine du Conseil Constitutionnel, le jour même de la ratification du Traité de Lisbonne. Cette saisine donna lieu à la décision n°2007-560 DC du 20 décembre 2007 ou dans son considérant n°19, le Conseil a jugé nécessaire cette révision. Elle se concrétise par la modification de l’article 88-1 de la Constitution de la Vème République [16] qui prend la forme textuelle suivante :

« La République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007. »

Cette jurisprudence n’est pas une surprise, elle ne fait que se glisser dans les sillages d’une position constitutionnelle antérieure relative à l’application des principes constitutionnels au droit pénal et à la procédure pénale et particulièrement « le principe de la souveraineté nationale ». Le Conseil Constitutionnel s’était déjà prononcé sur la question de la cohabitation entre le principe de souveraineté nationale et l’implication de nouveaux instruments de coopération en matière judiciaire et policière instaurés par des Conventions internationales conclues par la France. Le Conseil d’Etat lui-même s’est antérieurement prononcé en donnant un avis sur l’atteinte portée à la souveraineté de l’état par les dispositions d’une décision cadre du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen.

 

La question de la souveraineté de l’Etat trouve donc son écueil dés lors que sont institués de nouveaux instruments de coopération judiciaire prévus par des Conventions européennes et internationales. La seconde question qui trouve fondement à ces considérations est de savoir si la jurisprudence du 20 décembre 2007 a matière à s’appliquer à l’institution du Parquet européen ?

 

Cette interrogation suscite des divergences : certains soutiennent que cette jurisprudence trouve ses limites dans l’article 86 du Traité FUE et que l’institution du parquet européen exige, dans ce sens, une révision constitutionnelle au nom du respect de la souveraineté nationale. D’autres prônent la loi constitutionnelle du 04 février 2008 en vertu de laquelle, l’atteinte excessive à la souveraineté due à l’implication du Parquet européen est acceptée ayant pour effet de purger toutes inconstutionnalité qui pourrait apparaitre dans le règlement régissant le statut du Parquet européen.

 

Le Conseil d’Etat pose une double réserve : la modification du champ d’application de l’article 86 Traité FUE et le respect de l’ensemble des principes constitutionnels. La révision constitutionnelle du 4 février 2008 donne la base constitutionnelle claire à l’institution du Parquet européen

 

 

Sonia JEAN

Master 1 Sciences criminelles et carrières judiciaires

Université Toulouse 1 Capitole

 

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