Les Émirats arabes unis (EAU) sont devenus, ces deux dernières décennies, le nouveau paradis des criminels du monde entier. Qu’ils proviennent des Balkans, de Russie, d’Europe de l’Ouest ou de Tchétchénie, un grand nombre de trafiquants et de parrains de la pègre semblent avoir trouvé refuge dans la fédération du Golfe arabe, en grande partie grâce au laxisme des autorités.
La nouvelle « Costa del Crime »
Il fut un temps, Marbella, en Espagne, était considérée comme le paradis des gangsters européens, où tous les grands noms du crime organisé se rassemblaient pour gérer leurs affaires illégales ou tout simplement se détendre au soleil. Mais la situation a changé sur la « Costa del Crime », comme l’avait surnommée à l’époque la presse espagnole. « Maintenant, la classe criminelle inférieure est ici », explique un mafioso auprès de Max Granger, qui a mené une enquête sur les milieux mafieux à Marbella. « Tandis que leurs patrons sont partis à Dubaï ».
Plusieurs enquêtes effectuées ces dernières années par les forces de police ou des journalistes ont bel et bien démontré que la criminalité internationale avait choisi Dubaï comme refuge. Ainsi, les caïds de la mafia des Balkans ont élu domicile aux Émirats arabes unis ces dernières années, à l’image d’Edin Gacanin, l’« Escobar européen », qui utilise Dubaï comme port d’attache depuis 2019. Accusé d’être à la tête d’un des plus gros réseaux de trafic de cocaïne au monde, il gère ses affaires internationales — approvisionnement en Amérique latine et livraison en Europe — depuis sa villa de luxe aux Émirats. Plus largement, Global Initiative estime que les deux tiers des chefs de la pègre albanaise se cachent dans la fédération arabe. Et ils ne sont sans doute pas les seuls.
En effet, selon un rapport publié par le Center for Advanced Defense Studies (C4ADS), des hommes d’affaires tchétchènes liés à Ramzan Kadyrov, le chef de la République tchétchène et proche de Poutine, le baron d’un réseau criminel irlandais ou encore le parrain de la mafia turque Sedat Peker auraient tous choisi de vivre dans la fédération émiratie. Une décision qui n’a rien d’étonnant : dans les Émirats arabes unis, les chances pour les grands noms du crime organisé d’être inquiétés par les autorités sont quasi inexistantes.
Comment les criminels marchandent leur liberté
Qu’ils soient à la tête de mafias d’Europe de l’Est ou des seigneurs de guerre proches de Vladimir Poutine, les criminels de la planète entière ont compris comment se procurer le silence des autorités émiraties. « Les grands criminels achètent leur sécurité en investissant de grosses sommes d’argent dans le pays, en dépensant beaucoup et en menant un train de vieux luxueux », résume un journaliste d’investigation albanais.
Le C4ADS est arrivé à la même conclusion, expliquant dans son rapport que « le marché immobilier de Dubaï est un refuge pour des kleptocrates internationaux, le crime organisé international et un large spectre d’autres acteurs illicites — de trafiquants de drogue aux oligarques russes ». En clair, les Émirats ferment les yeux sur les activités illégales et mafieuses de ses résidents, car ils apportent beaucoup d’argent à la fédération.
« C’est le seul endroit au monde où l’origine de vos fonds est rarement remise en question », explique un officier supérieur des services de renseignement européens. « Tous les groupes criminels haut de gamme se trouvent à Dubaï. C’est là qu’ils peuvent se mélanger, échanger leurs connaissances et faire des affaires sans trop s’inquiéter des problèmes de surveillance auxquels ils sont confrontés dans d’autres pays ».
En plus de pouvoir se cacher et de faire du business au soleil, les criminels profitent surtout du laxisme des Émirats pour blanchir leur argent sale. « Il y a énormément de choses dans lesquelles ils peuvent investir », ajoute l’officier des services de renseignement. « Les portefeuilles immobiliers rapportent beaucoup ». Selon le journal britannique The Independant, 81 propriétés d’une valeur de plus de 107 millions de dollars ont été identifiées comme étant en lien avec des personnes sous sanctions pénales à Dubaï.
Plus largement, la première ville des Émirats offre en réalité un niveau très élevé d’opacité et des failles dans l’application des lois, qui permettent donc aux barons du crime organisé de transformer l’argent de la drogue ou du trafic d’êtres humains en villas luxueuses.
Un laxisme émirati qui interroge
Que Dubaï soit devenue la nouvelle plaque tournante de la criminalité organisée internationale n’est pas une grande nouvelle pour les États-Unis ou l’Europe. Déjà en 2020, un rapport du think tank Carnegie Endowment for International Peace expliquait que « la prospérité de Dubaï repose en partie sur un flux constant de revenus illicites provenant de la corruption et du crime ». Une richesse qui a permis « d’alimenter le marché immobilier florissant de l’émirat, d’enrichir ses banquiers et ses élites ».
Bien sûr, les pays occidentaux haussent parfois le ton et réclament des comptes à la fédération arabe. En 2021, sur requête des États-Unis et de plusieurs pays européens, la police de Dubaï a arrêté 5 barons de la drogue. Mais, en juin 2023, l’Italie attendait toujours une réponse à sa demande d’extradition d’un de ses ressortissants appréhendés dans cette affaire. Sa période de détention provisoire aurait d’ailleurs expiré. Un dossier qui illustre bien que l’extradition de criminels étrangers est parfois difficile si les demandes des autorités judiciaires ne sont pas doublées d’une pression diplomatique.
En mars de l’année dernière, le Groupe d’action financière (GAFI) a placé les Émirats arabes unis sur sa « liste grise », affirmant que la fédération ne faisait pas assez d’efforts pour lutter contre les activités illégales et criminelles. L’ONG Transparency International a elle aussi confirmé dans un rapport que les EAU étaient devenus « une pièce maîtresse dans le puzzle mondial du blanchiment d’argent ».
Dubaï et les Émirats comptant beaucoup sur leur image internationale et leurs liens avec les pays occidentaux, les États-Unis en tête, ils se sont résolus à quelques concessions — du moins, en apparence. « Les autorités de Dubaï nous aident maintenant », reconnaît l’officier de renseignement européen, cité auparavant. « Mais les ressources qu’elles ont mises en place sont insuffisantes. Elles font le nécessaire, mais elles pourraient faire plus ». Coincés entre leur réputation internationale et l’appât du gain, les Émirats arabes unis devront tôt ou tard faire un choix. « Dubaï ne veut vraiment pas de cette étiquette de capitale de l’argent sale et les autorités s’efforcent donc de sévir », explique un expert en création d’entreprises installé à Dubaï depuis une décennie. « Mais l’argent finit par parler », conclut-il.