Mais quid en cas de cumul dans le même dossier d’une caution civile et d’une caution commerciale ? C’est l’intéressante question à laquelle a été confrontée la Cour d’appel de Besançon dans un arrêt du 8 février 2022 (n° RG 21/02062).
L’article 2288 du Code civil définit le cautionnement :
« Le cautionnement est le contrat par lequel une caution s'oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci. »
Il a, par principe un caractère civil.
Toutefois, il peut être commercial dans quatre cas précis :
- lorsqu’il est, par nature, un acte de commerce : c’est le cas du cautionnement donné contre rémunération par un établissement de crédit ;
- lorsqu’il est un aval d’un effet de commerce ;
- lorsqu’il est un acte de commerce par accessoire : c’est le cas du cautionnement donné par un commerçant pour les besoins de son commerce ;
- lorsqu’il est commercial car la caution a un intérêt patrimonial dans l’opération ou l’affaire commerciale qu’elle garantit : ce sont, par exemple, des cautionnements de sociétés commerciales donnés par les dirigeants ou les associés majoritaires ou les cautions qui contribuent à la création de la société et qui acceptent de remplacer le dirigeant en cas d’empêchement tout en étant habilitées par les statuts.
L’arrêt de la Cour d’appel de Besançon du 8 février 2022 (n° RG 21/02062), précise que :
« s’agissant d’un litige opposant des parties dont au moins l’une d’elles n’est ni commerçante, ni engagée commercialement, la compétence du tribunal judiciaire, juridiction de droit commun, prévaut sur celle du tribunal de commerce lequel ne peut connaître que des litiges entre commerçants et relatifs aux actes de commerce étant encore précisé que le nouvel article L. 110-1, dans sa rédaction issue de la réforme du droit des sûretés, n’est pas applicable à la cause. »
En l’espèce, dans l’arrêt de la Cour d’appel de Besançon du 8 février 2022 (n° RG 21/02062), deux personnes s’étaient portées caution pour un prêt, l’une en qualité d’ancienne commerçante, pour les besoins de son commerce, donc au titre de la « caution commerciale », et l’autre en tant que « caution classique », soit civile.
Lorsqu’un créancier assigne une caution civile et une caution commerciale, seul le Tribunal judiciaire est compétent puisque le cautionnement est par nature un acte civil et que la compétence du Tribunal judiciaire prime sur celle du Tribunal de commerce.
La solution n’est pas nouvelle. En effet, la Cour d’appel de Paris avait déjà pu reconnaître dans son arrêt du 4 décembre 2015 (RG n°15/11417) qu’un conjoint, étant solidairement caution d’un prêt professionnel, qui n’accomplit pas « de manière habituelle des actes de commerce au sens de l’article L.110-1 du Code du commerce » ne peut pas être caractérisé de caution commerciale :
« Attendu que le cautionnement, qui n'est pas visé par les dispositions de l'article L. 110-1 du code de commerce, est un acte civil par nature à moins que la caution, qu'elle ait ou non la qualité de commerçant, ait un intérêt patrimonial au paiement de la dette commerciale garantie, […]
Qu'il se déduit toutefois de l'ensemble des motifs sus retenus et notamment du régime matrimonial de M. et Mme X... que celle-ci n'a pas un intérêt patrimonial et personnel au paiement de la dette commerciale contractée par son époux auprès de la société YACCO ; que dès lors le tribunal de commerce n'a pas à connaître des demandes relative à l'acte de caution signé par Mme X..., personne physique non commerçante ».
De plus, la Cour d’appel de Fort-de-France dans son arrêt RG n°18/00018 du 3 décembre 2019 a précisé que :
« La compétence matérielle spéciale du Tribunal de Commerce telle qu'énoncée à l'article L 721-3 du code de commerce est d'ordre public et nul ne peut y déroger.
Par application des dispositions des articles 2287 et suivants du code civil, le cautionnement est par sa nature un contrat civil et ne devient un contrat commercial que lorsque la caution a un intérêt personnel dans l'affaire commerciale à l'occasion de laquelle il est intervenu.
Au vu des seuls éléments dont la cour peut connaître et des motivations du jugement du tribunal mixte de commerce de Fort de France du 3 octobre 2017, qui rappelle la qualité de caution de X… sans préciser si elle était gérante ou non de la SARL VLABIVI Transports ou si elle avait la qualité de commerçante, il ne ressort pas qu'il s'agisse d'un engagement commercial.
B… produit un jugement du tribunal de grande instance de Fort de France en date du 21 novembre 2017 prononçant l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à son égard en tant qu' infirmière libérale. Elle n'est pas commerçante et la cour ne pouvant examiner les pièces de la SA CAISSE D'EPARGNE CEPAC, il n'est pas justifié qu'elle soit l'auteur d'un acte de commerce qui pourrait la soumettre à la juridiction spéciale du Tribunal de Commerce.
Elle soutient d'ailleurs qu'elle s'est portée caution personnelle de la SARL VLABIVI, société de transport de son fils pour l'aider à acquérir un permis d'exploitation de transport public (rachat d'une licence de taxi) et financer son véhicule d'exploitation et se prévaut de l'absence d'intérêt effectif démontré dans une société de transport public.
Il convient en conséquence de faire droit à son exception d'incompétence, d'infirmer la décision attaquée et de renvoyer l'affaire devant le TGI de Fort-de-France, juridiction de droit commun.
[…]
Déclare le tribunal mixte de commerce de Fort de France incompétent pour connaître des demandes de la SA CAISSE D'EPARGNE CEPAC à l'encontre de X… ;
Renvoie l'affaire devant le TGI de Fort-de-France pour être jugée […] »
Ou encore la Cour d’appel de RENNES (Chambre 2, 18 mars 1992, BEUNET / BANQUE DE BRETAGNE, n° JurisData : 1992-045904) :
« Un prêt consenti à une personne désignée comme commerçant dans l'acte et effectivement inscrite au registre du commerce, constitue à l'égard de l'emprunteur un acte de commerce, justifiant normalement la compétence du tribunal de commerce.
Mais l'épouse engagée solidairement avec son mari bénéficiant de la présomption de non commercialité de l'article 4 du code de commerce et le prêt d'argent ne constituant pas l'un des actes réputés commerciaux par nature, par l'article 632 du code de commerce, il y a lieu de déclarer compétente pour le tout, la juridiction civile de droit commun, en raison du caractère solidaire de l'obligation des deux débiteurs. »
Dès lors, en cas de pluralité de cautions, lorsqu’un des défendeurs est assimilé à une caution commerciale et l’autre assimilée à une caution civile, le demandeur doit nécessairement se pourvoir devant la Juridiction de droit commun, à savoir le Tribunal judiciaire.
S’il ne le fait pas, il s’expose à ce qu’en défense soit soulevée l’incompétence de la Juridiction commerciale habituellement saisie, et perde ainsi de nombreux mois, ce qui peut représenter un intérêt non négligeable pour les cautions appelées à la cause.
La solution eut été néanmoins différente si l’acte de cautionnement avait été signé après le 1er janvier 2022. En effet, il est important de noter que le Code du commerce a été modifié par ordonnance le 15 septembre 2021 (n°2021-1192, article 28). Ainsi l’article L110-1 du Code du commerce précise que tous les contrats de caution conclus après la date d’entrée en vigueur de cette réforme, à savoir le 1er janvier 2022, doivent prendre en compte le fait que désormais :
« La loi répute actes de commerce : […] Entre toutes personnes, les cautionnements de dettes commerciales. »
La loi ne disposant que pour l’avenir, cette réforme du Code du commerce n’a pas pu être appliquée au litige porté devant la Cour d’appel de Besançon puisque l’emprunt bancaire visé a été conclu bien avant 2022.
En conclusion, la distinction entre caution civile et commerciale a une importance notable pour pouvoir saisir la juridiction compétente. Néanmoins, depuis le 1er janvier 2022 les cautionnements solidaires de dettes commerciales conclus entre toutes personnes sont réputés actes de commerce. Il faut donc porter une attention particulière à la date de conclusion des contrats de cautionnement.
Notre cabinet se tient à disposition pour toute précision.
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Audrey SOSIN,
Collaboratrice