La loi n° 85-877 du 5 juillet 1985[1], dite loi Badinter, a instauré en France un régime juridique complexe encadrant les accidents de la circulation. Selon l’article 1er de cette loi, celle-ci est rendue applicable « aux victimes d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l'exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres », et ce « même lorsqu'elles sont transportées en vertu d'un contrat ».
L’existence de cette loi constitue un réel avantage pour les victimes d’accidents de la circulation, qui se voient appliquer des règles très favorables, qui tendent à exclure toutes les causes d’exonération de responsabilité que le droit commun aurait pu offrir au conducteur d’un véhicule auteur d’un accident de la circulation, en pareille circonstance.
Ainsi, l’article 2 de la loi dispose que « les victimes, y compris les conducteurs, ne peuvent se voir opposer la force majeure ou le fait d'un tiers par le conducteur ou le gardien d'un véhicule mentionné à l'article 1er. »
S’agissant des piétons, l’article 3 distingue deux catégories de victimes. Celles dites « super-protégées », et celles simplement protégées. Les premières regroupent tous les individus victimes âgés de moins de 16 ans ou de plus de 70 ans, ainsi que toutes celles qui, quel que soit leur âge, sont titulaires d’un titre reconnaissant un taux d’incapacité permanente au moins égal à 80 %. Celles-ci sont, dans tous les cas, indemnisées de leur préjudice corporel, sauf en cas de recherche volontaire du dommage. La seconde catégorie de victimes regroupe tous les individus ne remplissant pas les conditions pour figurer dans le groupe des victimes dites « super-protégées ». Celles-ci peuvent se voir opposer leur faute inexcusable, à condition qu’elle soit la cause exclusive de l’accident.
La faute inexcusable est toutefois très strictement appréciée par la jurisprudence, la Cour de cassation la définissant comme « la faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience »[2]. Ainsi, pour la Cour de cassation, « ne caractérise pas l’existence d’une faute inexcusable » le fait pour des victimes d’avoir « volontairement, de nuit, décidé d’emprunter la route départementale au lieu de la piste cyclable pour rentrer plus vite […] », en circulant sur « des bicyclettes dépourvues de tout éclairage et sans aucun équipement lumineux ou réfléchissant »[3].
La Cour d’appel de Montpellier avait pourtant reconnu, en cette circonstance, la caractérisation d’une faute inexcusable, puisqu’en l’espèce, les victimes « avaient conscience du danger » lorsqu’elles s’y sont volontairement exposé.
On pourrait donc croire la faute inexcusable assimilable à la recherche volontaire du dommage. Si la Cour de cassation ne cherche pas particulièrement à caractériser un tel comportement pour reconnaître ce type de faute, elle caractérise toutefois comme tel des comportements qui s’en rapprochent fortement.
C’est ainsi que dans un arrêt du 28 mars 2019, la Cour de cassation a rejeté un pourvoi formulé à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de Montpelier, celle-ci ayant considéré comme inexcusable la faute commise par un piéton qui, se tenant dans un premier temps debout à côté de sa voiture, stationnée en bon état de marche, sur un refuge, s’est ensuite engagé, sans raison valable connue, sur la chaussée de l’autoroute, dans un virage sans visibilité[4]. Son comportement a irrémédiablement abouti à son décès, celle-ci ayant été fauchée par un camion qui roulait normalement sur la voie de circulation de droite et n’a pas pu bénéficier de la distance de freinage nécessaire pour l’éviter. Au vu des circonstances, il est peu probable que le dommage ait été volontairement recherché, même si l’on ne peut évidemment pas écarter avec certitude une telle hypothèse. C’est probablement ce qui a, ici, motivé la Cour de cassation à reconnaître la faute inexcusable, alors qu’elle l’a réfutée dans l’espèce précédente.
La question de l’appréciation jurisprudentielle de la faute inexcusable par la Cour de cassation est stratégique en matière d’accidents de la circulation, puisque lorsque cette faute est caractérisée, elle exonère totalement le conducteur du véhicule ayant causé l’accident. Dès lors, si la jurisprudence semble défavorable à son exonération lorsqu’il percute un piéton, elle a au moins l’avantage d’être relativement prévisible.
Karim Jakouloff
Docteur en Droit
Sources :
[1] Loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation.
[2] Ass. Plén., 10 novembre 1995, n° 94-13.912.
[3] Civ. 2e, 28 mars 2019, n° 18-14.125 et 18-15.855.
[4] Civ. 2e, 28 mars 2019, F-P+B, n° 18-15.168.
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