Le droit des assurances et, plus généralement, notre droit de la consommation, accorde une importance particulière à l’obligation précontractuelle d’information. Il est en effet primordial que tout profane s’engageant dans un contrat, qu’il soit de courte ou de longue durée, ait une idée précise de la nature des obligations qui pèseront sur lui.
Partant de cette idée, un certain nombre de dispositions légales sanctionnent fermement les professionnels acceptant l’engagement contractuel d’un profane sans s’assurer que celui-ci n’ait pas été personnellement et précisément informé d’un certain nombre d’éléments déterminants de son consentement.
C’est notamment le cas en matière de conclusion d’un contrat d’assurances. L’article L. 132-5-1 du Code des assurances dispose en son alinéa 1er que « toute personne physique qui a signé une proposition ou un contrat d'assurance sur la vie ou de capitalisation a la faculté d'y renoncer par lettre recommandée ou par envoi recommandé électronique, avec demande d'avis de réception, pendant le délai de trente jours calendaires révolus à compter du moment où elle est informée que le contrat est conclu ». Toutefois, l’article L. 132-5-2 du même code prévoit en son alinéa 4 que « le défaut de remise des documents et informations prévus [à l’alinéa 1er du même article] entraîne, pour les souscripteurs de bonne foi, la prorogation du délai de renonciation prévu à l'article L. 132-5-1 jusqu'au trentième jour calendaire révolu suivant la date de remise effective de ces documents, dans la limite de huit ans à compter de la date où le souscripteur est informé que le contrat est conclu. »
La lecture d’une telle disposition légale peut laisser penser qu’il serait normal qu’un professionnel de l’assurance fautif de ne pas avoir répondu à son obligation précontractuelle d’information soit systématiquement condamné à supporter le coût de la renonciation au contrat de l’assuré, quel qu’il soit. La Cour de cassation n’est pourtant pas de cet avis, limitant depuis plus de deux ans la faculté de renonciation de l’assuré par le recours à la notion d’abus de droit[1]. Selon elle, « si la faculté prorogée de renonciation prévue par [l’article L. 132-5-2 du Code des assurances] en l'absence de respect, par l'assureur, du formalisme informatif qu'il édicte, revêt un caractère discrétionnaire pour le preneur d'assurance, son exercice peut dégénérer en abus ».
Restait toutefois à déterminer le poids de cette limitation, face à un professionnel s’étant rendu coupable de négligence fautive dans le cadre de la conclusion du contrat. Une telle interrogation renvoie à la question de la caractérisation de l’abus de droit dans un domaine où la notion est encore relativement jeune.
La Cour de cassation nous apporte un nouvel éclairage sur ce point, dans un arrêt récent du 7 février 2019[2]. Dans ce litige, la juridiction d’appel validait la renonciation d’un assuré « non averti », notifiée à la compagnie d’assurance près de neuf ans après la souscription de son contrat, sur le fondement de l’ancien article L. 132-5-1 du Code des assurances. Selon les juges du fond, l’assuré, « insuffisamment informé, n’a pas été en mesure d’apprécier la portée de son engagement, de sorte qu’il ne peut être considéré comme ayant d’une part, agi de mauvaise foi, d’autre part, commis un abus de droit. »
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel, marquant son opposition à ce raisonnement, considérant qu’il aurait fallu « rechercher à la date d’exercice de la faculté de renonciation, au regard de la situation concrète de [l’assuré] de sa qualité d’assuré averti ou profane et des informations dont il disposait réellement, quelle était la finalité de l’exercice de son droit de renonciation et s’il n’en résultait pas l’existence d’un abus de droit. »
Il est donc certain, comme le rappelle la Cour de cassation, qu’avoir un juste motif de renonciation ne suffit pas à lever les doutes sur un éventuel abus de droit en matière de renonciation aux contrats d’assurance, en particulier lorsque celle-ci intervient plusieurs années après la conclusion du contrat dont l’exécution n’a jamais été contestée auparavant. Cet éloignement temporel jette la suspicion sur les motivations réelles de l’assuré renonçant.
Surtout, le statut d’assuré non averti, renvoyant à celui de consommateur ou de non professionnel en droit de la consommation, ne suffit pas en soi à écarter l’abus de droit en cas de manquement de l’assureur à son obligation précontractuelle d’information. C’est là un tempérament majeur à une disposition légale pensée tant pour sanctionner les professionnels négligents que pour protéger les cocontractants faibles.
Karim JAKOULOFF
Docteur en droit
Sources :
[1] Civ. 2e, 19 mai 2016, n° 15-12-767, n° 15-12.768, n° 15-18.690, n° 15-18.691, publiés au Bulletin ; D. 2016, p. 1797, note L. Perdrix ; RTD Civ. 2016, p. 605, obs. H. Barbier ; JCP G 2016, 811, note L. Mayaux et 916, note D. Noguéro ; RCA 2016, ét. 11, par Ph. Pierre ; RGDA 2016, p. 438, note J. Kullmann. V. aussi D. Noguéro, « La bonne foi comme condition de la prorogation du droit de renonciation en assurance-vie. Entre l’amont et l’aval », RRJ 4/2015, p. 1425.
[2] Civ. 2e, 7 février 2019, n° 17-27.223, à paraître.
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