Les faits permettant d’aboutir à cette conclusion étaient d’une simplicité édifiante. Une agence de recouvrement trop zélée avait entrepris le recouvrement de sommes impayées auprès d’un débiteur. Toutefois, celle-ci réclamait également, en plus de la dette principale, le paiement de frais supplémentaires qui ne devraient pas, en principe, être imputés au débiteur, en application de l’article L. 111-8 du Code des procédures civiles d’exécution.
Pour convaincre son débiteur de la nécessité de s’acquitter de ces frais, l’agence de recouvrement n’hésitait pas à lui adresser des mises en demeure portant sur ces sommes, assorties de propos comminatoires et de contenus juridiques sortis de leur contexte.
Suite à plusieurs plaintes déposées auprès de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), un tribunal a été saisi. Son jugement, favorable à l’agence de recouvrement, a été confirmé en appel. Selon les juges du fond, les dispositions des articles L. 121-1 et L. 121-2, 2° du Code de la consommation, qui définissent les circonstances dans lesquelles des pratiques commerciales trompeuses sont susceptibles d’être caractérisées, ne s’appliquent pas à l’activité d’une agence de recouvrement.
En effet, une agence de recouvrement n’aurait, selon les juges, pas d’activité commerciale à proprement parler, vis-à-vis des débiteurs. Elle ne ferait qu’exécuter un mandat que lui confient ses clients, par le biais de contrats de prestation de service, dont l’objet porte sur le recouvrement de créances. Ainsi, une relation commerciale existerait bien entre les créanciers et l’agence de recouvrement à laquelle ceux-ci ont fait appel, mais rien de tel ne pourrait être caractérisé au sein de la relation liant l’agence de recouvrement aux débiteurs.
La Cour de cassation s’oppose frontalement à cette idée. Reprenant l’esprit de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur, telle qu’interprétée par la Cour de justice de l’Union européenne le 20 juillet 2017[1], elle affirme que celle-ci s’applique « à toute mesure prise en relation non seulement avec la conclusion d’un contrat, mais aussi avec l’exécution de celui-ci, notamment aux mesures prises en vue d’obtenir le paiement du produit ».
Autrement dit, nul besoin qu’une prestation commerciale existe pour pouvoir recourir à la notion de pratique commerciale trompeuse. L’existence d’un contrat entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs suffit.
Cette solution est relativement prévisible lorsque l’on sait que la Cour de justice de l’Union européenne a elle-même admis que les organismes sociaux étaient, en tant que professionnels, susceptibles de se rendre coupables de pratiques commerciales déloyales[2].
Il est pourtant vrai qu’une telle conception extensive du champ d’application de la notion de pratique commerciale trompeuse n’est pas intuitive. En effet, la lecture de l’article L. 121-2, 2° du Code de la consommation, qui définit leur nature, semble davantage s’adresser aux professionnels fournissant des biens ou services aux tiers, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, si l’on s’intéresse à la relation entre l’agence de recouvrement et le débiteur. C’est pour cette raison que la Cour de cassation en arrive à devoir justifier sa décision, en estimant que la mise en demeure adressée aux débiteurs l’était en exécution d’un contrat de nature commerciale. Il s’agissait selon elle d’une mesure prise en vue d’obtenir le paiement du produit, donc rattachable à l’exécution d’un contrat commercial.
Si cette affirmation est juste, une appréciation objective des faits nous amène tout de même à douter qu’elle suffise réellement à expliquer la raison pour laquelle une mise en demeure adressée par une agence de recouvrement qui s’interpose dans une relation de nature commerciale entre créanciers et débiteurs pourrait caractériser une pratique commerciale.
Karim Jakouloff
Docteur en droit
Sources :
[1] CJUE, 20 juillet 2017, Gelvora UAB, aff. C-357/16.
[2] CJUE, 3 octobre 2013, n° C-59/12, BKK Mobil Oil Körperschaft des öffentlichen Rechts (Sté)c/ Zentrale zur Bekämpfung unlauteren Wettbewerbs (Sté), D. 2013, p 2334. V. K. Jakouloff, Les organismes sociaux sont des professionnels pouvant se rendre coupables de pratiques commerciales déloyales, Rev. UE 2014, n° 580, p. 436.
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