Le dépôt d’un projet de loi d’habilitation
Mener une réforme par voie d’ordonnance nécessite avant tout que le Gouvernement dépose, à l’Assemblée nationale, un projet de loi d’habilitation. Celui-ci lui permet alors de prendre, dans un délai strictement délimité, une ordonnance en vue de légiférer sur une question spécifique, en lieu et place du Parlement. Cette décision est prise sur le fondement de l’article 38 de notre Constitution.
La loi d’habilitation, votée dans le cadre du processus législatif ordinaire, doit comprendre un certain nombre de mentions, sans lesquelles le texte doit être déclaré inconstitutionnel. Ces mentions sont strictement définies et contrôlées par le Conseil constitutionnel.
Parmi elles, le texte doit notamment définir une durée d’habilitation, au-delà de laquelle le Gouvernement n’aura plus la possibilité de légiférer. Il doit également fixer un cadre précis à l’habilitation, duquel le Gouvernement ne pourra pas s’écarter. La loi d’habilitation peut donc être plus ou moins précise, selon la volonté du Parlement de cadrer fortement l’action du Gouvernement ou de lui laisser plus de champs. Elle doit l’être toutefois suffisamment, afin de ne pas laisser trop de latitude aux rédacteurs.
La désignation d’un ministère porteur et la rédaction de l’ordonnance
Une fois la loi d’habilitation promulguée par le Parlement et publiée, le cabinet du Premier ministre désigne, selon la nature du texte à rédiger, le ou les ministères dits porteurs du projet. Cette désignation se fait dans le respect des compétences de chacun. Ainsi, le ministère de la Justice, par exemple, ne peut être désigné porteur d’un projet d’ordonnance relatif à une réforme des finances publiques.
Le ministère porteur du projet va alors désigner en son sein une ou plusieurs équipes de rédacteurs, composées de juristes et de magistrats ayant les connaissances techniques pour traiter le sujet qui leur est soumis. Les rédacteurs s’entoureront le plus souvent, durant la phase d’écriture, de professionnels du terrain, d’universitaires et d’experts, afin de recueillir leurs avis consultatifs sur l’orientation que devra prendre le projet et d’éviter les écueils. Les partenaires sociaux pourront également, le cas échéant, être consultés.
Des réunions ministérielles sont régulièrement organisées entre le ou les équipes de rédacteurs et le cabinet du Premier Ministre, qui supervise l’ensemble du projet de rédaction. Elles ont pour but d’arbitrer d’éventuelles divergences d’opinions et de s’assurer que la volonté du Gouvernement, transcrite dans le texte de l’habilitation, est bien respectée.
La validation en Conseil d’Etat
Une fois le texte de l’ordonnance achevé et après obtention de nouveaux avis consultatifs, il est présenté au Conseil d’Etat. Celui-ci désigne, dans un premier temps, un rapporteur dont la mission est de porter à la connaissance des rédacteurs du projet ses observations et recommandations. Il doit ainsi déceler les éventuelles failles du projet et suggérer des modifications de forme ou de fond. Bien que là encore, le rapporteur n’ait qu’un avis consultatif sur le texte, les rédacteurs s’efforceront, dans un délai de quelques jours, d’amender le projet d’ordonnance, sous peine que celui-ci soit frappé d’un avis défavorable du rapporteur, puis rejeté lors de l’examen final.
Une fois l’avis du rapporteur communiqué, une section du Conseil d’Etat se réunit, en présence des rédacteurs du texte et du cabinet du ou des ministres porteurs du projet, afin que s’opère un débat contradictoire. Les magistrats du Conseil d’Etat vont alors analyser le texte article par article et faire état, le cas échéant, de leurs réserves et doutes. A l’issue de cette discussion, un avis final sera communiqué par la Haute Cour. S’il est vrai qu’en pratique, l’avis est toujours positif, quelles que soient les réserves émises par les Hauts Conseillers durant le débat, il est de coutume, pour le ministère porteur du projet, d’amender le texte afin de tenir compte des réserves et réticences émises. En effet, le ministère qui souhaiterait ici passer en force prendrait le risque que son texte se trouve rejeté par le Parlement ou sanctionné par le Conseil constitutionnel, dans le cadre d’un contrôle de constitutionnalité.
De plus, le Conseil d’Etat pourrait, par la suite, être saisi par les opposants au projet d’ordonnance, par voie contentieuse, en tant que juge administratif. Il est alors évident que si l’ordonnance, ayant alors force de loi, n’a pas été amendée pour tenir compte des réticences antérieurement formulées par les Conseillers, le contentieux risque fort d’aboutir à un jugement défavorable pour le Gouvernement.
De la promulgation à la ratification de l’ordonnance :
Le texte, retouché une ultime fois, doit être définitivement approuvé par le Premier Ministre avant que le ministre porteur du projet ne puisse le soumettre au Président de la République lors du Conseil des ministres. Ce dernier doit alors signer le projet d’ordonnance, ce qui n’est toutefois pas pour lui une obligation. Après signature, l’ordonnance sera promulguée et publiée.
Le débat ne s’achève toutefois pas encore à ce stade. En effet, un projet de loi de ratification de l’ordonnance doit encore être présenté au Parlement, avant l’expiration du délai de ratification prévu par la loi d’habilitation. Pour autant, il est tout à fait concevable que les débats au Parlement s’achèvent postérieurement à l’expiration de ce délai.
Seule la ratification de l’ordonnance par le Parlement lui confèrera valeur législative. Autrement, celle-ci n’aura qu’une simple valeur réglementaire. Or une ordonnance à valeur réglementaire ne peut notamment pas avoir pour effet de modifier un texte de loi, si bien que toutes les dispositions contra legem qu’elle contient doivent être réputées non-écrites. Elle demeure par ailleurs subordonnée aux recours administratifs, que la ratification rend caduque rétroactivement. A contrario, une ordonnance ratifiée ne peut que faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité, ce qui limite fortement les recours à son encontre.
Durant l’examen du projet de loi de ratification, le débat peut être centré sur la seule question de l’opportunité de ratifier ou de ne pas ratifier l’ordonnance. Dans ce cas, le projet de loi comportera un article unique, ratifiant l’ordonnance. Mais le Gouvernement peut aussi choisir de suggérer dans le projet de ratification des modifications de l’ordonnance, ou permettre aux Parlementaires d’exercer un droit de regard sur le contenu de l’ordonnance, qui pourrait alors s’en trouver totalement réécrite.
A la suite de la ratification, le Conseil constitutionnel, qui a déjà pu se prononcer sur la constitutionnalité de la loi de ratification, peut encore être amené à analyser la constitutionnalité de l’ordonnance.
Nous le voyons donc, le parcours de l’ordonnance apparaît hautement sécurisant d’un point de vue juridique, de nombreuses garanties étant prévues afin que la liberté rédactionnelle laissée au Gouvernement ne se mue pas en abus.
Karim Jakouloff
Docteur en droit
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