A l'occasion de l'affaire "Chattawak" (nombreux arrêts et en définitive Cass. Com., 29 juin 2010, pourvoi n°09-66773, dit "Chattawak II") le contrat de commission-affiliation a passé récemment, non sans difficulté, l'épreuve du feu et il est désormais admis que ce contrat n'est pas un artifice juridique destiné à camoufler une relation d'agence commerciale, mais bien un contrat de distribution original, situé à mi-chemin entre la franchise et la commission à la vente, utilisé principalement dans le secteur textile.
Pour distinguer ce contrat du contrat d'agence commerciale, la Cour de cassation avait rappelé en juin 2010 que le commissionnaire-affilié dispose d'une clientèle propre, qui lui permet d'être titulaire d'un fonds de commerce et donc d'un bail commercial. Plus précisément, la Cour jugeait que le fait d'être "titulaire d'un bail commercial était un élément essentiel pour déterminer si [l'affilié] avait la qualité de commerçant qu'un agent commercial ne peut posséder."
Par un arrêt du 3 novembre 2011, la Cour d'appel de Paris vient de faire une application de la jurisprudence Chattawak, en rendant une décision très didactique reprenant point par point les clauses du contrat d'affiliation qui étaient susceptibles d'entraîner la requalification du contrat en agence commerciale, pour finalement rejeter la demande en requalification du contrat.
A titre liminaire, on peut observer que l'affaire "Chattawak", comme l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 3 novembre 2011, concernent la distribution textile. Et cela n'est pas un hasard, car le textile est le terrain d'élection de la commission-affiliation. Dans ce secteur, la problématique du financement et de la gestion des stocks (notamment les réassorts pendant le pic d'activité et l'écoulement des invendus en fin de saison) est cruciale, notamment depuis la réduction des délais de paiement à 60 jours par la Loi LME du 4 août 2008 (l'accord dérogatoire qui permettait, dans le secteur textile, de mettre en place des accords de financement des stocks à plus de 60 jours prendra fin au 1er janvier 2012).
En l'espèce, la société JULIE distribuait des articles de lingerie et bonneterie sous la marque VALEGE, via deux contrats de commission-affiliation, à Toulon et Aix-en-Provence. A l'occasion d'un contentieux lié à l'inexécution et à la résiliation de ces contrats, le commissionnaire-affilié a sollicité du Tribunal de commerce de Paris qu'il requalifie ces contrats en agence commerciale, afin de pouvoir bénéficier de l'indemnité de fin de contrat propres aux agents.
Pour faire application de la jurisprudence de la Cour de cassation, la Cour d'appel de Paris rappelle, en exergue de son raisonnement, ce qui rapproche le contrat d'agence du contrat de commission : "tant le commissionnaire que l'agent commercial agissent pour le compte d'un commettant et [...] ils ne sont pas propriétaires du stock de marchandises à vendre, étant rémunérés, en contrepartie des opérations réalisées par leur intermédiaire, par des commissions."
Et il est vrai que la circonstance que l'affilié ne soit pas propriétaire des stocks est un point absolument clef pour appréhender la commission-affiliation, par opposition notamment au contrat de franchise.
La Cour s'empresse ensuite de préciser les différences fondamentales entre commission-affilaition et agence commericale : "d'une part, le commissionnaire agit pour le compte du commettant mais en son nom propre alors que l'agent commercial agit pour le compte de son mandant et au nom de celui ci, d'autre part, le commissionnaire est un commerçant indépendant qui dispose de sa propre clientèle et est propriétaire de son fonds de commerce alors que l'agent commercial n'a pas la qualité de commerçant et exerce une activité civile et n'est qu'un intermédiaire entre le donneur d'ordre et une clientèle qu'il démarche."
Et la Cour précise à cet égard un point essentiel : le commissionnaire ne perd pas cette qualité au prétexte que le client final sait qu'il n'agit pas pour son compte mais pour le compte d'une enseigne. Ce qui compte, nous dit la Cour, c'est que le client final ait bien conscience du fait qu'il contracte avec le commissionnaire, lequel facture le client final et encaisse les sommes en son nom propre. La facture remise au client en magasin atteste d'ailleurs de cette relation directe, car les données permettant d'identifier le commettant (adresse, RCS etc.) ne sont pas censées apparaître sur ce document (dans l'affaire Chattawak, il est vrai que l'adresse du commettant apparaissait sur la facture, et que cela avait été déterminant pour conduite la Cour d'appel de Paris à requalifier le contrat en agence commerciale - c'est une différence notable avec la présente espèce).
De même, ajoute la Cour d'appel, "le fait pour les consommateurs d'acheter les marchandises au regard d'une marque et de sa renommée est habituel dans les contrats de distribution et ne caractérise pas spécifiquement le contrat d'agent commercial."
En effet, la vente ou la revente d'un produit de marque notoire peut s'opérer de mille et une manières : achat-revente, agence commerciale (statutaire ou non ), commission à la vente, commission-affiliation, franchise, concession, distribution sélective, distribution exclusive etc. On sait que dans le luxe, la distribution sélective est un système qui a la préférence des grandes marques, tandis que dans le secteur automobile, c'est la concession qui est utilisée. En tout cas, l'agence commerciale n'est pas le seul système permettant de distribuer un produit de marque notoire, c'est évident.
La Cour juge également que l'autorisation de prélèvement accordée par le commissionnaire au commettant, qui permet à ce dernier d'accéder par prélèvements au compte bancaire sur lequel est encaissé le produit des ventes, n'est pas de nature à remettre en cause la qualité de commerçant indépendant reconnu au commissionnaire-affilié. Il s'agit là, pour la Cour d'appel de Paris, d'un revirement explicite par rapport à la position qu'elle avait adoptée avant juin 2010 dans l'affaire Chattawak, l'ouverture par le commissionnaire-affilié d'un compte bancaire au nom du commettant l'ayant déterminé, entre autres éléments, à requalifier le contrat.
En outre, la Cour juge que la circonstance qu'une clause d'exclusivité ait été consentie au commissionnaire-affilié n'est pas non-plus révélateur d'un contrat d'agence commercial. Du reste, l'exclusivité n'est pas une condition sine qua non de l'agence commerciale.
Enfin et surtout, la société JULIE avait elle-même reconnu qu'elle exploitait bien un fonds de commerce, proposant au Tribunal de commerce de Toulon, dans le cadre d'un projet de plan de continuation, de céder un de ses droits au bail et de mettre l'autre en location-gérance.
Cette décision, même s'il s'agit très clairement d'un arrêt d'espèce , vient renforcer la sécurité juridique des réseaux organisés autour de la commission-affiliation, car elle démontre que les juges du fond ont tiré les enseignements de la jurisprudence Chattawak, en retenant comme seuls critères pertinents (i) l'intervention du commisionnaire en son nom propre vis-à-vis de la clientèle et (ii) le rattachement de cette clientèle au commissionnaire, qui doit être propriétaire de son fonds.