En 2020, 3 décisions retiennent notre attention :
- Deux concernent les limites de la liberté d’expression,
- La troisième l’utilisation des messageries instantanées.
Le salarié dispose d’une liberté d’expression dans l’entreprise sauf abus de sa part consistant à employer des termes injurieux, diffamatoires ou excessifs, cet abus est d’autant plus sanctionné lorsque que ses propos sont rendus public.
I. La divergence et le comportement agressif ne valent pas nécessairement abus de la liberté d’expression : deux arrêts
1er arrêt : 15 janvier 2020, Cass. Soc. n°18-14177.
Un salarié Responsable Commercial Régional est licencié pour faute grave, l’employeur considérant qu’il avait dépassé son droit d’expression et de critique à l’égard des dirigeants.
Le salarié conteste en appel son licenciement, il est débouté par la Cour aux motifs qu’il aurait tenu des propos « inappropriés » à l’égard du supérieur hiérarchique « que si les courriels ne peuvent pas traduire le ton arrogant ou agressif employé (des) salariés se sont plaint de son attitude, un tel comportement répété étant nécessairement nuisible au bon fonctionnement de l’entreprise, que l’employeur justifie… du caractère déplacé des propos du salarié à l’égard de son supérieur hiérarchique…, "je ne sais pas comment vous pouvez écrire de tel calembredaine… vous êtes très mal informé… soyez plus visionnaire… on est dans la vente de produits techniques pas à la Redoute…". »
La Cour en concluait que « l’attitude du salarié si elle n’est pas constitutive d’une faute rendant possible son maintien dans l’entreprise… en l’absence de tout propos expressément agressifs ou arrogants, est néanmoins consécutive d’une cause réelle et sérieuse de licenciement ».
Si ce salarié était bien en opposition avec sa hiérarchie il n’apparait à aucun moment qu’il ait abusé de son droit d’expression.
Or, c’était le motif retenu par l’employeur et la Cour aurait dû en tirer toute conséquence en constatant que l’employeur qui avait la charge de la preuve de la faute ne prouvait pas d’abus de liberté d’expression du salarié.
Et la cour suprême casse l'arrêt d'appel :
« En se déterminant ainsi, alors que, sauf abus, le salarié jouit dans l’entreprise et en dehors de celle-ci de sa liberté d’expression, sans caractériser en quoi les courriels rédigés par le salarié comportaient des termes injurieux, diffamatoires ou excessifs, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ».
2ème arrêt : Cass Soc. 15 mai 2019 n°17-20615.
Un Cadre Directeur Général est licencié pour faute grave compte tenu de « sa divergence fréquente avec ses enjeux stratégiques » qu’il a exprimé dans « un document de travail… remis au consultant désigné par la direction… » qui « expose de manière très nette (sa) position négative… sur la stratégie menée… le salarié a exprimé publiquement et de manière excessive ses divergences avec son PDG… que si les autres documents retrouvés dans son ordinateur… n’ont pas fait l’objet d’une division publique… ses écrits… confirment clairement cette divergence profonde envers sa direction… ».
La Cour de Cassation sanctionne la cour d’appel qui n’a pas caractérisé d’abus de la liberté d’expression du salarié alors même que les autres documents figurant dans l’ordinateur du salarié n’ont pas été diffusés :
« Qu’en statuant ainsi, alors que le document remis par le salarié au consultant, qui était chargé de mener une réflexion sur la stratégie du groupe et d’interroger les cadres, ne comportait pas de termes injurieux, diffamatoires ou excessifs, et que les autres documents retrouvés dans l’ordinateur n’avaient pas fait l’objet d’une diffusion publique ».
On retiendra donc que même des relations épidermiques entre le salarié et son employeur ne caractérisent pas un abus de la liberté d’expression à défaut de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, sauf critiques rendues publiques par le salarié qui seront appréciées plus restrictivement par les juges.
II. Les propos échangés entre salariés par messagerie instantanée relèvent du secret des correspondances (Cass. 23 octobre 2019 n°17-28448).
Une secrétaire licenciée pour faute grave par un employeur s’appuyant sur les propos échangés par celle-ci avec une collègue de travail via la messagerie instantanée installée sur son poste de travail.
L’employeur considérait que ces messages instantanés étaient présumés avoir un caractère professionnel faute d’avoir été identifiés comme personnels par la salariée.
L’employeur en concluait que non seulement qu’il pouvait prendre connaissance de ses messages et en second lieu les utiliser comme preuve à l’appui des autres faits reprochés à la salariée.
La Cour d’Appel ne suit pas l’employeur constat au contraire « qu’à l’évidence un tel compte de messagerie est personnel et distinct de la messagerie professionnelle sans qu’il soit besoin d’une mention "personnel" ou encore "conversation personnelle" ».
Ce que confirme la Cour de Cassation qui précise :
« Que les messages électroniques litigieux, échangés au moyen d’une messagerie instantanée, provenaient d’une boîte à lettre électronique personnelle distincte de la messagerie professionnelle dont la salariée disposait pour les besoins de son activité, la cour d’appel en a exactement déduit qu’ils étaient couverts par le secret des correspondances. »
Bien qu’intégrée au poste de travail de la salariée, l’utilisation de cette messagerie instantanée de type « hangouts » dans Gmail est nécessairement personnelle sans que le salarié ait besoin d’apposer la mention personnelle comme il est exigé pour les mails échangés par le salarié sur son poste de travail.
Cette précision était utile et il est louable tant à la Cour d’Appel qu’à la Cour de Cassation d’avoir précisément levé toute ambiguïté sur le sujet.
Vous connaissez maintenant les apports des décisions les plus récentes rendues en 2019 et 2020 sur la liberté d’expression et l’usage des messageries instantanées.