Du nomadisme il y a 9 000 ans à la sédentarisation puis à la mobilité de la classe ouvrière au 19ème siècle, 6,2 millions de salariés travaillant à l’étranger ont été répertoriés en 2018, mobilité ralentie depuis deux ans par la pandémie Covid 19 (Sources : Thèse de M. Henrik De Brier : la mobilité du salarié, Université d’Avignon en 2015 et Insee Focus 10/12/2020)
La clause de mobilité est une des clauses les plus répandues dans les contrats de travail des salariés : elle consiste à prévoir à l’avance que votre lieu de travail puisse être modifié en cours d’exécution de votre contrat.
C’est l’employeur qui décide de son application conformément à son pouvoir de direction dès lors que :
- sa mise en œuvre est nécessaire à l’intérêt de l’entreprise,
- il agit de manière loyale et non abusive,
- la zone géographique de mobilité est délimitée.
Si votre contrat de travail stipule une clause de mobilité, le changement de votre lieu de travail ne constitue pas une modification de votre contrat de travail requérant votre accord, sauf si vous êtes salarié protégé (disposant d’un mandat syndical, de fonction représentative du personnel etc.), aucun changement de vos conditions de travail ne pouvant être dès lors être mis en œuvre sans votre l’accord (Salariés protégés, connaissez vos droits en 2020).
Les difficultés surgissent lorsque les conditions d’application de la clause de mobilité font défaut. Vous êtes alors en droit de refuser votre mobilité imposée.
Voici un tour d’horizon des décisions les plus récentes relatives aux clauses de mobilité en 2022.
1 - La clause de mobilité signée frauduleuse n’est pas opposable au salarié (Cass. Soc. 5 janv. 2022 n°20-17599)
Dans cette affaire une salariée dont le contrat est repris par un nouvel employeur dans le cadre d’une cession d’entreprise signe avec elle une clause de mobilité.
Elle est licenciée l’année suivante et reproche au nouvel employeur de lui avoir fait signer une clause de mobilité avant même le transfert d’activité entre la société cédante et celle cessionnaire.
Lorsqu’une entreprise fait l’objet d’une cession, tous les contrats de travail doivent être repris sans modification des clauses (article L1224-1 du Code du travail).
Or, le nouvel employeur avait fait signer à la salariée une clause de mobilité avant même le transfert d’activité contournant ainsi de manière déloyale l’application d’ordre public du texte précité.
La Cour d’Appel juge cette manœuvre déloyale comme destinée à éviter la poursuite du contrat de travail aux conditions en vigueur chez le cédant. La clause est jugée inopposable à la salariée et la société ne peut s’en prévaloir pour reprocher à la salariée une absence injustifiée sur le lieu de mutation.
2 - Et à l’inverse : une clause de mobilité non signée peut être imposée à l’employeur (CA de Paris, Pôle 6 ch. 8 13 janv. 2022 RG n°18/08990)
Un Agent de surveillance affecté dans l’Yonne et dans l’Aube refuse une mutation sur Paris et fait l’objet d’un licenciement pour faute grave pour absence injustifiée à son nouveau poste qu’il conteste.
Selon lui, si son contrat de travail prévoyait une mobilité notamment en région Ile de France et départements limitrophes, cette clause de mobilité aurait été modifiée par un nouvel avenant mentionnant son affectation dans les départements 89 et 10 ou départements limitrophes.
L’avenant n’étant pas signé, l’employeur lui conteste toute valeur contractuelle.
Mais le contrat de travail de droit commun n’est soumis à aucune condition de forme pour être valide. En d’autre terme la seule absence de signature ne dénie pas à l’avenant toute validité si les parties ont eu l’intention réelle de l’appliquer.
Les juges procèdent à cette recherche de manière pragmatique et constatent que l’employeur a remis l’avenant au salarié, que cet avenant a été appliqué durant toute les années suivantes et enfin que l’emploi, la catégorie, l’échelon et le coefficient prévus par l’avenant sont mentionnés sur les bulletins de salaire du salarié.
C’était donc bien d’un commun accord que les parties ont substitué l’avenant non signé à la clause de mobilité du contrat de travail signé, de telle sorte que l’employeur ne pouvait exiger du salarié qu’il exécute son contrat de travail à Paris.
3 - Et si la clause de mobilité est imprécise ? (2 décisions)
- 1er arrêt : La clause est inopposable au salarié (CA de Bordeaux chambre sociale section B 28 janvier 2021 RG n°18/02732)
Préciser la zone géographique d’application de la clause de mobilité est une exigence pour que l’employeur ne puisse pas seul en étendre la portée.
L’imprécision de la clause de mobilité fait l’objet d’un contentieux régulier :
Une société soumise à un plan de sauvegarde obtient l’avis favorable du comité d’entreprise pour modifier le lieu de travail de plusieurs salariés.
L’un d’entre eux Chef d’équipe refuse l’application de la clause de mobilité pour des raisons privées et familiales, il obtient gain de cause en appel car la clause de mobilité ne définit pas de manière assez précise la zone géographique : « pour des raisons touchant à l’organisation et au bon fonctionnement de l’entreprise, vous pouvez être affecté à l’un des quelconques autres établissements de l’entreprise et être amené à vous y rendre fréquemment ».
Or, les juges constatent que :
« les établissements de l’entreprise ne sont pas cités et il n’est pas possible de déterminer si cette clause vise les seuls établissements ouverts à la date de la signature du contrat ou l’ensemble des établissements actuels et à venir.
L’absence d’étendue géographique dans la clause de mobilité confère ainsi à l’employeur le pouvoir d’étendre unilatéralement à la portée de l’obligation de mobilité de sorte que cette clause est illicite ».
- 2ème arrêt : La clause est inopposable mais la mutation est validée (CA Rennes 8ème Ch prud’hommes 21 mai 2021 RG n°18/07615)
Une salariée vendeuse refuse sa mutation du magasin de Lorient à celui de Quimper, elle est licenciée pour refus de mutation résultant de ses obligations contractuelles.
La clause de mobilité est jugée nulle car elle ne comporte aucune précision sur sa zone géographique d’application et qu’elle ne précise pas ce que recouvre « les besoins du service » mentionnés dans la clause « conférant (à l’employeur) le pouvoir d’étendre unilatéralement la portée de cette clause ».
Néanmoins, les juges vont rechercher si cette mutation constitue une modification ou un simple changement des conditions de travail (la modification exigeant l’accord express du salarié contrairement au simple changement des conditions de travail qu’il ne peut refuser).
Le changement du lieu de travail de Quimper à Lorient ne représentant que 30 min de temps de déplacement en plus, il constituait donc un simple changement des conditions de travail que la salariée ne pouvait pas refuser. Son refus de mutation est donc injustifié.
4 - Et si la mutation entraîne une modification de la rémunération du salarié ? (CA de Toulouse 4ème Ch. Section 1 7 janv. 2022 RG n°19/05444)
Les juges protègent en priorité la rémunération du salarié (ainsi en matière de rémunération variable : Salariés, obtenez votre prime d’objectifs en 2022).
Les Juges traquent donc toute incidence de la clause de mobilité sur la rémunération du salarié comme dans cette décision : « tout salarié peut s’opposer à un changement de lieu de travail en application d’une clause de mobilité si la nouvelle affectation implique une modification indirecte de sa rémunération ».
Ici le salarié s’opposait à l’application d’une clause de mobilité en évoquant aussi à la fois un délai de prévenance insuffisant (la proposition datait du 4 avril pour une prise de poste au 2 avril) et un non respect du formalisme : la convention collective exigeait une proposition écrite précise faisant défaut.
C’est par le biais de l’incidence du nouveau lieu de travail sur la rémunération du salarié que les juges valident le refus de mutation du salarié :
« Si la clause de mobilité a pour objet un changement d’affection géographique, elle concerne aussi un emploi et sa rémunération qui peut être impactée de façon non négligeable et durable lorsqu’elle comporte une part variable.
Aussi est-il nécessaire que l’employeur communique tout élément appréciation sur ce point ce qu’il ne démontre pas en l’espèce à défaut de document sur le chiffre d’affaires de magasins constituant l’assiette de calcul et pouvant entrainer une hausse ou une baisse du salaire.
Lorsque dans le cadre de la mise en œuvre de la clause de mobilité, la rémunération est liée au chiffre d’affaires, le salarié peut invoquer une modification de son contrat touchant sa rémunération, ce qui suppose son accord express… la société X n’a pas agi de bonne foi dans de la mise œuvre de la clause de mobilité ».
Voir également cette décision (CAd e Paris Pôle 6 - Ch.11 18 janv. 2022 RG n°19/10445) : La société n’établissait pas que le poste de mutation imposé était alors le seul disponible alors qu’il allongeait le temps de trajet du salarié de plus d’1 h30 et qu’étaient établis une différence notable entre le magasin où le salarié était muté nettement inférieur en gamme, prestige, surface, en comparaison avec les magasins qu’il avait jusque-là dirigés.
5 - Employeurs, attention à la rédaction de vos clauses de mobilité ! (CA de Paris Pôle 6 Ch. 7 2 déc. 2021 RG n°19/06633)
La clause de mobilité d’un Chef d’équipe précisait qu’il acceptait : « expressément tout changement de lieu de travail nécessité par l’intérêt du fonctionnement de l’entreprise… dans le département du 75 et les départements limitrophes. Le nouveau lieu de travail devra respecter des distances et des temps de transport raisonnables… ».
Le salarié est alors affecté dans deux départements 78 et 95 qui ne sont pas limitrophes : « seuls les départements de la petite couronne (92, 93 et 94) correspondant à ce qualificatif… et le nouveau lieu de travail doit respecter les distances et des temps de transport raisonnables par rapport à l’affectation initiale ».
La Cour valide donc le refus du salarié d’application de la clause de mobilité considérant selon les termes de la clause que l’employeur a agi de manière déloyale à son égard.
6 - L’atteinte excessive à la vie personnelle du salarié (CA de Rennes 8ème ch. Prud’homme 24 déc. 21 RG n°21/00382)
C’est un des motifs régulièrement invoqués par le salarié qui refuse la clause de mobilité.
L’arrêt cité ici fort clair concernant deux salariés ne nécessite pas plus d’explication :
« Si l’employeur a effectivement dans le cadre de son pouvoir de direction… la faculté d’imposer une modification des horaires de travail et de changer l’affectation (du salarié) ces modifications ne peuvent intervenir que dans la mesure où elles sont proportionnées au but recherché et ne portent pas une atteinte excessive aux droits des salariés à une vie personnelle et familiale.
Or, il est établit que l’affectation proposée (aux deux salariés) entraînait non seulement un passage d’un horaire de nuit de 3 h à 11 ou 12h, à un horaire exclusivement de jour de 6 h à 15 h mais une affectation sur des sites d’une distance pour l’un de 210 km et pour l’autre de 170 km, imposant de fait une absence du domicile familial toute la semaine, la nature itinérante de la fonction (…) s’opposant à toute perspective de déplacement de leur cellule familiale, constituée pour (l’un des deux salarié) de sa conjointe et de 3 enfants de 13, 9 et 6 ans (…).
(…) La mise en œuvre de la clause de mobilité (…) entraînait des conséquences disproportionnées et portait une atteinte excessive aux droits des deux salariés à une vie personnelle et familiale ».
Nous verrons dans un prochain article les difficultés et les solutions judiciaires données au contentieux des clauses de non concurrence en 2022.