Le principe est le suivant : le salarié bénéficie d’une liberté d'expression dans la vie professionnelle à la condition qu'elle ne dégénère pas en abus.
Les restrictions à cette liberté doivent être « justifiées par la tâche à accomplir et être proportionnées au but recherché » selon les juges.
Analysons les derniers arrêts rendus en la matière :
1/Liberté d’expression et messagerie informatique: la distinction entre messagerie personnelle et professionnelle
- Protection renforcée du contenu de la messagerie personnelle :
Le contenu de la messagerie personnelle du salarié relève de sa vie privée et ne peut être utilisé par l’employeur comme motif de licenciement. A contrario si les messages ne sont pas identifiés comme personnels, l’employeur y a accès et le salarié pourra être sanctionné (Cour de cassation 15 décembre 2010 n° 08-42486) :
C’est ce qu’a constaté à ses dépens un salarié responsable des ventes a été licencié le 29 janvier 2001 pour faute grave, pour avoir notamment envoyé sur sa messagerie non identifiée comme personnelle des courriels à caractère pornographique :
« Attendu que les courriers adressés par le salarié à l'aide de l'outil informatique mis à sa disposition par l'employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel en sorte que l'employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l'intéressé, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels ;
Et attendu que la cour d'appel ayant constaté que les courriers figurant sur la boîte électronique professionnelle du salarié ne portaient aucune mention comme étant personnels, elle en a légitimement déduit qu'ils pouvaient être régulièrement ouverts par l'employeur ; que le moyen n'est pas fondé ».
- Protection relative de la messagerie professionnelle :
Tout dépend du contenu des messages :
*Les messages à caractère privé diffusé sur la messagerie professionnelle peuvent être lus par l’employeur ils ne peuvent toutefois pas être utilisés par l’employeur pour légitimer une sanction du salarié (Cour de cassation Ch. Soc. 5 juillet 2011 n° 10-17284)
Un salarié responsable d’assurances de dommages a été licencié pour faute au motif qu’il a échangé sur sa messagerie professionnelle des messages érotiques avec sa compagne également salariée de la même société. L’arrêt précise que ces messages et photographies étaient pour la plupart à l’initiative de la salariée et que le salarié s’était contenté de les conserver sans les diffuser :
« Mais attendu que le salarié a droit, même au temps et au lieu du travail, au respect de l'intimité de sa vie privée ; que si l'employeur peut toujours consulter les fichiers qui n'ont pas été identifiés comme personnels par le salarié, il ne peut les utiliser pour le sanctionner s'ils s'avèrent relever de sa vie privée ».
* Les messages dont le contenu « est en rapport avec l’activité professionnelle » peuvent caractériser un abus de la liberté d’expression et être sanctionnés par l’employeur :
Deux arrêts sont rendus le même jour avec la même motivation :
Le 1er arrêt concerne un salarié chef de site est licencié pour faute grave, manquements professionnels et comportement agressif et irrespectueux envers l’employeur compte tenu d’un échange de courriels provocateurs avec une autre salariée de l'entreprise.
Après avoir solennellement rappelé le principe du respect de la vie privée et du secret des correspondances privées, la Cour indique (Cour de cassation chambre sociale 2 février 2011 n° 09-72449) :
« Qu'en statuant ainsi par des motifs inopérants, alors qu'elle avait relevé que le courriel litigieux était en rapport avec l'activité professionnelle du salarié, ce dont il ressortait qu'il ne revêtait pas un caractère privé et pouvait être retenu au soutien d'une procédure disciplinaire, la cour d'appel a violé le texte et le principe susvisés ».
La encore le contenu insultant des courriels en rapport avec l’activité professionnelle marque la limite de la liberté d’expression.
Le second qui concerne également un courriel au contenu insultant en rapport avec l’activité professionnelle envoyé par un salarié à une autre salariée ;
L’employeur n’en prendra connaissance que par l’information qui lui sera donnée par la salariée destinataire du message :
Un salarié téléacheteur est licencié pour faute grave : « avoir, dans un courriel adressé à sa compagne, insulté sa hiérarchie et annoncé son absence à son poste de travail l'après-midi, malgré une précédente sanction disciplinaire pour absence injustifiée »
La Cour confirme le bien fondé du licenciement aux motifs suivants (Cour de cassation chambre sociale 2 février 2011 n° 09-72313):
« Mais attendu, …que la cour d'appel… a relevé que le courriel litigieux avait été malencontreusement transmis par le salarié en copie à une salariée de l'entreprise, a constaté que l'employeur en avait eu connaissance par le fait même de l'intéressé ;
Attendu, ensuite, que le message, envoyé par le salarié aux temps et lieu du travail, qui était en rapport avec son activité professionnelle, ne revêtait pas un caractère privé et pouvait être retenu au soutien d'une procédure disciplinaire à son encontre ;
Attendu, enfin, que la cour d'appel, qui a relevé que le salarié avait ainsi insulté son employeur…a pu…retenir que le comportement du salarié justifiait la rupture immédiate de son contrat ».
2/une 1ère jurisprudence sur Facebook en droit du travail qui restreint le droit à la liberté d’expression :
(Conseil de prud’hommes de Boulogne Billancourt jugements des 19 novembre 2010 n°10/00853).
Des salariés avaient appelé sur leur page Facebook à « la rebellion contre la hiérarchie ». Considérant que ces propos portaient atteinte à son image l’employeur a licencié les salariés pour faute. Les salariés ont contesté leur licenciement devant le conseil de prud’hommes de Boulogne Billancourt.
Les juges devaient apprécier si des propos échangés par des salariés sur Facebook relevaient du domaine privé et n’était donc pas sanctionnable comme faute professionnelle, ou s’ils étaient entrés dans la sphère publique, et étaient donc soumis à l’appréciation de l’employeur dans le cadre de la relation de travail.
La difficulté est que sur Facebook il existe plusieurs niveaux de contact, puisque la page Facebook de l’utilisateur est accessible aux amis et aux amis des amis…
Les écrits des salariés restaient-ils du domaine privé ?
Non selon les juges prud’homaux qui ont considéré que les propos étaient accessibles à d’autres personnes que les interlocuteurs directs malgré que ces propos aient été écrits en dehors du temps de travail et sur les ordinateurs personnels des salariés.
Dans cette affaire les propos avaient d’ailleurs été retransmis par d’autres salariés qui avaient pris connaissance des échanges qu’ils jugeaient choquants et les avaient retransmis à l’employeur.
Cette décision réduit donc la liberté d’expression des salariés.
Les salariés ayant fait appel des jugements rendus, il reste à attendre la décision de la Cour d’appel saisie de ce litige pour savoir si cette vision restrictive de la liberté d’expression est confirmée.
3/Liberté d’expression et respect de la vie privée de l’employeur :
La Cour de cassation vient très récemment de rappeler que l’employeur a aussi droit au respect de sa vie privée.
Un employé de maison gardien est licencié pour manquement à son obligation de loyauté et de discrétion et divulgation d’informations désobligeantes à l’égard de son employeur.
La Cour de cassation condamne le comportement du salarié pour abus de liberté d’expression au motif qu’il a critiqué des actes relevant de la vie privée de l’employeur : (Cour de cassation chambre sociale 21 septembre 2011 n°09-72054) :
« Mais attendu qu'ayant constaté que dans une lettre adressée à un ancien mandataire social en litige avec le représentant de la société, le salarié avait mis en cause la moralité de ce dernier dans des actes relevant de sa vie privée, la cour d'appel a fait ressortir qu'il avait ainsi abusé de sa liberté d'expression ».
4/Liberté d’expression et manquements du salarié à ses obligations professionnelles :
- Tromperies et non respect de l’obligation de discrétion
Un salarié qui divulgue des informations confidentielles de la société, dans un but certes louable (venir en aide à une personne réfugiée), mais à l’insu de son employeur abuse de sa liberté d’expression.
Le salarié animateur linguistique dans une association est ici sanctionné pour sa déloyauté (il a agi à l’insu de son employeur) et ses manquements professionnels (il a divulgué des documents confidentiels) (Cour de cassation chambre sociale 6 avril 2011 n°09-72520) :
« Mais attendu que la cour d'appel relève que la démarche d'ordre privée entreprise par le salarié en faveur d'une personne réfugiée n'avait été possible qu'en divulguant à des tiers des informations confidentielles qu'il avait recueillies dans le cadre de ses fonctions et en agissant à l'insu de l'association qui l'employait tout en faisant état de sa qualité professionnelle ;
- Négligence professionnelle et non respect de l’obligation de discrétion
Un salarié directeur adjoint d’une agence d'urbanisme est licencié pour faute grave, dénigrement, négligence professionnelle et utilisation lors d'un débat public de documents et de matériels appartenant à l'employeur sans son autorisation.
La Cour rappelle que le salarié ne peut être sanctionné pour avoir participé à un débat public qui relève de sa vie privée.
Ceci étant dit, la Cour considère que le salarié doit néanmoins être sanctionné parce qu’il a utilisé des documents confidentiels de l’entreprise dans un débat public sans respect de son obligation de discrétion (Cour de cassation chambre sociale 2 mars 2011 n° 09-68890) :
« Mais attendu…d’autre part que, si ne peut constituer une faute du salarié un fait relevant de sa vie privée, tel n'est pas le cas d'un manquement à son obligation de discrétion commis à l'occasion d'un débat public ;
que l'arrêt ayant relevé que le directeur adjoint de l'AUPA avait diffusé des documents à l'en-tête de l'agence lors d'un café-débat auquel il participait à titre privé alors qu'il était tenu à une obligation contractuelle de réserve et de discrétion relative aux informations, études et décisions dont il avait connaissance à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, a pu considérer que l'ensemble de ces faits étaient constitutifs d'une faute grave…».
5/ Liberté d’expression et immixtion de la vie privée du salarié dans la vie de l’entreprise
Un salarié d'agent d'entretien pour une société HLM est licencié « au motif de violences exercées sur la fille de locataires de la société d'HLM entraînant un trouble dans les relations professionnelles avec les locataires ».
Un fait tiré de la vie privée du salarié ne peut justifier son licenciement sauf si ce fait a des conséquences dans la vie professionnelle.
Dans ce cas particulier il s’agissait de sanctionner le salarié, mis en garde à vue et condamné pour violences à l’égard de son amie dans un appartement que lui louait son employeur qui avait dû la reloger en urgence.
La cour conclut en toute logique « que si, en principe, il ne peut être procédé à un licenciement pour un fait tiré de la vie privée du salarié, il en va autrement lorsque le comportement de celui-ci a créé un trouble caractérisé au sein de l'entreprise » (Cour de cassation chambre sociale 14 septembre 2010 n° 09-65675).