En droit
Lorsqu'un salarié engagé par une société mère a été mis à la disposition d'une filiale étrangère et qu'un contrat de travail a été conclu avec cette dernière, la société mère assure son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procure un nouvel emploi compatible avec l'importance de ses précédentes fonctions en son sein.
Si la société mère entend néanmoins licencier ce salarié, les dispositions du présent titre sont applicables.
Le temps passé par le salarié au service de la filiale est alors pris en compte pour le calcul du préavis et de l'indemnité de licenciement (C. trav. art. L. 1231-5).
L'employeur doit-il envisager le reclassement du salarié à l'intérieur du groupe auquel il appartient ?
La question reste posée et relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.
« Mais attendu que le moyen ne tend qu’à remettre en cause l’appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve par la cour d’appel, qui, ayant constaté, d’une part, que le salarié expatrié avait fait l’objet d’une mesure de rapatriement en France sans bénéficier d’une offre de réintégration sérieuse, précise et compatible avec l’importance de ses précédentes fonctions au sein de la société mère, d’autre part, qu’aucun accord exprès de l’intéressé sur ce nouveau poste n’était intervenu, en a déduit, (...), que la prise d’acte de la rupture était justifiée »[1].
Certaines conventions collectives répondent par la négative alors même que leur autorité est inférieure à celle de la loi ; c’est notamment lle cas de la CCN des ingénieurs et Cadres de la Métallurgie du 13 mars 1972.
C’est aussi parfois prévu dans le contrat de travail initial conclu entre une société mère française et le salarié qu'elle emploie.
La Cour d'appel de Grenoble a considéré que l'employeur était tenu de rapatrier le salarié licencié au sein de la société mère française et que "le salarié était en droit de refuser un nouveau détachement à l'étranger" [2].
EXPOSÉ DES FAITS
Par contrat à durée indéterminée du 1er juillet 2007 soumis à la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie, elle a engagé I. X en qualité de directeur général de la société Y en Turquie.
Ce contrat conférait au salarié le statut d'expatrié.
Un contrat de travail a été établi avec la société Y Celle-ci notifiait à I. X son licenciement le 24 novembre 2010.
Par lettre du 27 avril 2011, I. X prenait acte de la rupture du contrat de travail le liant à la société Y. pour manquement aux obligations de rapatriement et de reclassement auxquelles était tenu son employeur.
Le 4 juillet 2011, il saisissait le conseil de prud'hommes de Grenoble pour voir juger que sa prise d'acte de rupture de son contrat de travail produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement du 6 décembre 2012, le conseil des prud'hommes de Grenoble a :
- dit que les griefs invoqués par I. X à l'appui de la prise d'acte de rupture de son contrat de travail ne sont pas avérés ; que cette prise d'acte n'est donc pas imputable à la société Y et produit l'effet d'une démission ;
- débouté la société Y de sa demande reconventionnelle ;
- condamné I. X aux dépens.
Par lettre enregistrée le 11 décembre 2012 au Greffe de la Cour, I. X a interjeté appel de cette décision.
MOTIFS DE LA DÉCISION RENDUE PAR LA COUR D'APPEL, LE 05 MARS 2015
1- sur la prise d'acte de la rupture du contrat de travail.
I. X invoque à l'appui de sa prise d'acte de la rupture du contrat de travail les faits suivants :
- manquement de l'employeur à son obligation de rapatriement ;
- manquement à l'obligation de reclassement ;
- défaut de paiement de la rémunération prévue au contrat.
* sur le manquement à l'obligation de rapatriement.
Aux termes de l'article L 1231-5 du code du travail, lorsqu'un salarié engagé par une société mère a été mis à la disposition d'une filiale étrangère et qu'un contrat de travail a été conclu avec cette dernière, la société mère assure son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procure un nouvel emploi compatible avec l'importance de ses précédentes fonctions en son sein.
Alors que dès le 15 novembre 2010, la société Y informait son salarié que son rapatriement serait effectif à la date de fin de préavis fixée au 1er février 2011, force est de constater qu'au moment de la prise d'acte, soit le 27 avril 2011, aucune mesure concrète visant à organiser ce rapatriement n'avait encore été envisagée par l'employeur et ce, en dépit des relances effectuées par le salarié les 26 janvier et 8 mars 2011.
L'exécution de l'obligation de rapatriement n'est pas subordonnée aux résultats de la recherche d'un poste de reclassement à laquelle l'employeur est par ailleurs tenu.
Dès la fin du préavis et dès lors que la présence de I. X dans le pays étranger n'était plus requise, la société Y devait assurer son rapatriement.
Le manquement invoqué est donc bien établi.
* sur le manquement à l'obligation de reclassement.
La société Y a fait parvenir à I. X une offre d'emploi en qualité de directeur constructeur en Russie. Même si cette offre est datée du 21 avril 2011, elle n'établit pas qu'elle la lui a adressée avant sa prise d'acte du 27 avril 2011.
Or, la prise d'acte entraîne la rupture immédiate du contrat de travail et la proposition de reclassement était en tout état de cause tardive.
De surcroît, la proposition de reclassement faite à I. X consistait en un poste de directeur-constructeur à Nijni-Novgorod en Russie sous la subordination hiérarchique du 'Managing Director Russe'.
Outre le fait que le poste offert était est de moindre importance que celui qu'il occupait en Turquie où il exerçait, ainsi que l'indiquait son contrat de travail, ses fonctions de 'Directeur général de Y TURQUIE sous la responsabilité hiérarchique de M. Z, Président sans autre intermédiaire' le poste était en plus, situé à l'étranger et le salarié était en droit de refuser un nouveau détachement à l'étranger.
Il en résulte que la société Y n'a pas satisfait à son obligation de reclassement de son salarié.
* sur le non-paiement de la rémunération.
Le contrat de travail d'I. X du 1er juillet 2007 passé avec la société Y fixait sa rémunération annuelle brute à xxxxx euros et si le paiement de cette rémunération était réparti entre la société mère à hauteur de xxxx euros nets et la filiale pour le complément, il n'était nulle part indiqué que ce complément était subordonné au maintien du contrat de travail passé avec la filiale turque.
Il en résulte qu'en cas de rupture de la relation de travail par la filiale turque, la société Y était tenue de verser à son salarié l'intégralité de la rémunération prévue par son contrat de travail jusqu'à son rapatriement et son reclassement au sein de la société Y ou en cas de refus des propositions de reclassement, jusqu'à son licenciement.
Or, il n'est pas contesté que la société Y n'a pas payé, après le licenciement de d'I. X et jusqu'à sa prise d'acte, la part de rémunération dont elle avait prévu qu'elle serait payée par la filiale turque.
Le salarié a été ainsi privé de plus des deux tiers de son salaire : il convient d'ores et déjà de condamner la société Y à payer à I. X le rappel des salaires dus pour la période allant du 1er février 2011 au 27 avril 2011.
La gravité des manquements de la société Y à ses obligations de rapatriement, de reclassement et de paiement d'une partie du salaire n'est pas discutable et justifie largement la prise d'acte par le salarié de la rupture de son contrat de travail.
Cette prise d'acte produira dès lors les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
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Restant à votre disposition pour toutes précisions.
Claudia CANINI
Avocat à la Cour
[1] Cass. Soc. 21 nov. 2012, n°10-17.978
[2] CA Grenoble, Chambre sociale, Section B