L'expertise sous l'angle de la preuve

Publié le 13/05/2024 Vu 1 804 fois 0
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Cet article parle de l'expertise amiable et judiciaire sous l'angle de la preuve.

Cet article parle de l'expertise amiable et judiciaire sous l'angle de la preuve.

L'expertise sous l'angle de la preuve

                                  

Aujourd’hui, je vous propose un nouvel article sur la preuve.

Selon l’article 9 du code de procédure civile « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ».

Ce texte de loi fait référence à la preuve qui est un élément central au résultat d’une procédure judiciaire.

Il existe plusieurs moyens pour établir la véracité des faits. Le justiciable a le choix parmi la liste non exhaustive suivante :

  • L’acte authentique rédigé par un notaire
  • L’acte sous-seing privé rédigé par des parties à un contrat
  • Le témoignage c’est-à-dire l’exposé écrit ou oral d’une personne ayant assisté aux faits
  • L’aveu c’est-à-dire l’exposé écrit ou oral dans lequel la personne reconnait les faits
  • Le constat d’huissier à savoir le document rédigé par un commissaire de justice dans lequel il recueille les éléments visuels et matériels des faits.

J’aurais probablement l’occasion d’exposer un peu plus en détail ces modes de preuve. Mais le contenu de cet article ne se rapportera qu’à l’expertise.

L’expertise peut être définie comme un support matériel qui permet de démontrer la véracité d’un fait dans le but de faire valoir une prétention devant le Juge et d’obtenir gain de cause.  

C’est aussi la réunion des parties au litige autour d’un technicien chargé d’établir un rapport d’expertise dans lequel il décrit, analyse et propose une solution aux fins de régler le litige. La réunion d’expertise sert à constater et identifier les faits, déterminer la cause et les responsabilités des faits et chiffrer le cout des réparations.

Une expertise peut être organisée en dehors de toute procédure judiciaire, dans ce cas, il s’agit de l’expertise à l’amiable (I). Une expertise peut également être ordonnée par le juge, et ici il s’agit de l’expertise judiciaire (II)

I. L’expertise amiable

L’expertise amiable est organisée entre les parties en l’absence d’une décision de justice l’ordonnant. Elle est initiée soit par l’une des parties au litige a) soit par les deux parties b).

a) L’expertise amiable initiée par l’une des parties.

Lorsqu’un justiciable est confronté à un litige, il peut conserver les faits en ayant recours à un expert qu’il choisira. Le plus souvent, c’est la protection juridique, l’assurance qui permet d’obtenir des informations juridiques et une solution amiable dans un litige, qui conseille et initie l’expertise à l’amiable. Elle désigne un expert qu’elle rémunère et ce dernier convoque toutes les parties sur le lieu du litige afin de recueillir les informations et de faire une analyse technique et matérielle de l’affaire.

Le caractère amiable de cette expertise peut être remis en cause si la partie adverse n’est pas convoquée ou si elle est convoquée mais refuse d’assister aux opérations d’expertise. Ce refus de participer aux opérations d’expertise s’explique en partie par la partialité de l’expert non désigné de manière judiciaire ou par les deux parties.

Dans ce cas de figure, l’expertise est non contradictoire. Le rapport d’expertise rendu dans ces conditions ne peut constituer l’unique moyen de preuve. Le demandeur qui entend fonder ses prétentions sur les conclusions d’un rapport d’expertise amiable non contradictoire devra prendre soin de se ménager des éléments de preuve complémentaires au soutien de sa demande qui peuvent être des témoignages, un constat d’huissier voire une expertise judiciaire.

En effet, la Chambre mixte de la Cour de cassation est venue préciser dans un arrêt du 28 septembre 2012 que si le juge ne peut refuser d’examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut fonder sa décision exclusivement sur une expertise réalisée à la demande de l’une des parties. Cour de cassation chambre mixte, 28 septembre 2012, n° 11-18.710.

En l’espèce, l’une des parties avait produit dans la procédure un rapport d’expertise non contradictoire et se fondait exclusivement sur l’article 16 du code de procédure civile pour rendre contradictoire ce rapport.

L’article 16 du code de procédure civile précité dispose : « Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.

Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations. »

L’expertise à l’amiable est dit contradictoire quand bien même elle est initiée par une seule des parties. Le caractère contradictoire de cette expertise est déterminé ici par la participation de l’autre partie aux opérations d’expertise. Toutefois, ce caractère contradictoire de l’expertise n’apporte aucune sécurité à la partie qui a désigné l’expert. Toute comme pour l’expertise non contradictoire, la Haute juridiction exige d’autres moyens de preuve lorsqu’une partie au procès ne cherche qu’à se prévaloir du rapport d’expertise issu de l’expertise à l’amiable contradictoire.

En effet, dans un arrêt en date du 15 décembre 2022, la Cour de cassation considère qu’ : « Il résulte de ce texte que, si le juge ne peut refuser d’examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties. Pour condamner la société Martinon et son assureur à payer certaines sommes, l’arrêt relève que le rapport d’expertise contradictoire réalisé à la demande de l’assureur de la société retient comme cause du sinistre le défaut de protection du mur par la société Martinon après démolition de l’appentis, que le procès-verbal de constats annexé à ce rapport mentionnant cette conclusion a été signé par l’expert mandaté par l’assureur de la société Martinon, et en déduit que celui-ci reconnaît ainsi la responsabilité de son assurée. En statuant ainsi, en se fondant exclusivement sur un avis technique et son annexe réalisés à la demande d’une partie, sans vérifier s’il était corroboré par d’autres éléments de preuve, la cour d’appel a violé le texte susvisé. » Cour de cassation, deuxième chambre civile, 15 décembre 2022 Pourvoi n° 21-17.957

Il est donc risqué de s’appuyer que sur une expertise à l’amiable initiée par une seule partie et cela peu importe que cette expertise soit contradictoire ou pas. Le rapport issu de ce type d’expertise doit être doublé d’un autre moyen de preuve pour être efficace et espérer avoir gain de cause.

b) L’expertise amiable initiée par les parties.

Les parties à un litige peuvent d’un commun accord décider de recourir à une expertise amiable. L’expert sera alors désigné et rémunéré par les deux parties.

Si ce rapport issu de cette expertise est soumis aux débats contradictoires, il ne pourra pas être rejeté par l’une des parties au motif qu’il n’est pas contradictoire ou encore que l’expert ait été désigné uniquement par l’autre partie.

Le rapport d’expertise à l’amiable se prête bien dans certains litiges. Par exemple lorsque les propriétaires souhaitent établir des bornes entre leurs propriétés de manière amiable, ils peuvent engager une procédure de bornage amiable. Cela implique de faire appel à un géomètre-expert pour effectuer les mesures nécessaires, établir les plans et matérialiser les bornes.

Dans ce cas de figure, si le rapport d’expertise à l’amiable est signé par les parties, les limites proposées par l’expert deviennent définitives puisqu’il s’agit d’une procédure contradictoire.

En effet, l’expert doit respecter le principe du contradictoire. Ce principe qui s’applique à toute procédure judiciaire signifie que chacune des parties au litige a le droit d’être informé des faits, des arguments et pièces invoqués par son adversaire afin d’être en capacité de les contester.

Dans l’hypothèse où les parties refusent de signer le rapport, l’expert dresse un procès-verbal de carence. La partie la plus diligence pourra saisir le juge afin de solliciter une expertise judiciaire.

II. L’expertise judiciaire

Une expertise judiciaire est une mesure d’instruction ordonnée par le juge dès lors qu’il ne dispose pas d’éléments suffisants pour statuer ou que les faits nécessitent un éclairage technique dont il ne dispose pas de compétence.

Cette expertise peut être ordonnée à la demande d’une ou plusieurs parties au procès ou d’office par le juge.

Le code de procédure civile prévoit plusieurs textes qui fondent cette demande :

Article 143 : « Les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible. »

Article 144 : « Les mesures d’instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d’éléments suffisants pour statuer »

Article 145 : « S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. »

Article 263 : « L’expertise n’a lieu d’être ordonnée que dans le cas où des constatations ou une consultation ne pourraient suffire à éclairer le juge.

Ce rapport a pour but d’éclairer le juge sur des questions techniques. »

L’expert désigné par le juge est choisi sur une liste officielle établie par la Cour d’appel. Il doit respecter les principes du contradictoire, les règles de procédure et le droit de la défense. Sa mission décrite dans l’ordonnance le désignant est exécutée sous la surveillance du Juge. Tout ceci constitue le gage de neutralité, d’impartialité, d’indépendant et de compétente technique.

Une fois désigné, l’expert convoque toutes les parties sur le lieu du litige, se fait remettre toutes les pièces utiles à son expertise,  les entend et procède à l’analyse des faits. Il communique son pré rapport aux parties afin de leur permettre de faire des dires dans lesquels elles peuvent formuler des observations ou poser des questions. 

Il doit remettre au juge un rapport écrit définitif ainsi qu’aux parties. Ce rapport expose ses constatations, ses analyses et ses conclusions.

Le rapport a une valeur probante mais n’est pas contraignant pour le juge, qui reste libre d’en apprécier la pertinence et la crédibilité. Bien que contradictoire, le rapport d’expertise peut être soumis à la critique lors des débats au fond pendant le procès.  

En conclusion, l’expertise est un moyen de preuve efficace car elle a l’avantage d’apporter des informations complètes qui permettront aux parties d’assurer leur défense et au juge de se prononcer. De toutes les formes d’expertise, il faut privilégier l’expertise judiciaire. Mais celle-ci à l’inconvénient d’être coûteuse. En l’absence de moyen financier, il faut alors privilégier l’expertise à l’amiable à condition de l’accompagner avec d’autres moyens de preuve.

Me Mabika Sauze

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