Le pouvoir de résiliation pour motif intérêt général dont dispose la personne publique, constitutif d’une « règle applicable aux contrats administratifs » (CE 2 mai 1958, Distillerie de Magnac-Laval, rec. p. 246 ; CE, Ass., 2 février 1987, Société TV6, req. n° s 81131 82432 82437 82443 et CE, 31 juillet 1996, Société des téléphériques du Massif du Mont-Blanc, req. n° 126594), ne peut faire l’objet d’une renonciation contractuelle (CE, 6 mai 1985, Association Eurolat, req. n°s 41589 et 41699 et CE, 3 octobre 2013, Société Espace Habitat Construction, req. n° 349099).
En contrepartie de l’exercice de ce pouvoir, le cocontractant de la personne publique aura droit, en principe, à une indemnisation ayant vocation à compenser « tant la perte subie que le gain manqué » (CE, 16 février 1996, Syndicat intercommunal de l’arrondissement de Pithiviers, req. n°82880).
Il s’agit ici d’un régime de responsabilité sans faute de l’administration (CE 18 novembre 1988, Ville d’Amiens C. Société d’exploitation du parc de stationnement de la gare routière d’Amiens, req. n°s 61871 et 76 231).
L’étendue et les modalités de l’indemnisation en cas de résiliation anticipée du contrat pour motif d’intérêt général ou pour non renouvellement de celui-ci peuvent faire l’objet d’un aménagement contractuel (v. respectivement : CE, 4 mai 2011, CCI de Nîmes, Uzès, Bagnols, Le Vigan, req. n° 334280 et CE, 22 juin 2012, CCIM, req. n° 348676).
Toutefois, la personne publique étant soumise au principe d’ordre public d’interdiction de consentir des libéralités (CE, 19 mars 1971, Sieur Mergui, req. n° 79962), l’indemnisation contractuellement prévue ne pourra donc être, à son détriment, manifestement disproportionnée par rapport aux préjudices subis par son cocontractant personne privée (CE, 4 mai 2011, CCI de Nîmes, Uzès, Bagnols, Le Vigan, req. n°334280).
A l’inverse, dès lors que la personne privée n’est pas visée par une telle interdiction, le contrat pourra valablement prévoir :
- une indemnisation inférieure au montant du préjudice qu’elle subit – (CE, 4 mai 2011, CCI de Nîmes, Uzès, Bagnols, Le Vigan, req. n°334280) ;
- l’exclusion de toute indemnisation de son préjudice (CE, 19 décembre 2012, Société AB Trans, req. n° 350341).
La décision Société Leasecom du Conseil d’Etat rendue le 3 mars 2017 (req. n° 392446) constitue un rappel de l’impossibilité pour le contrat de prévoir une indemnité de résiliation qui serait, au détriment de la personne publique, manifestement disproportionnée au montant du préjudice subi par le cocontractant du fait de la résiliation.
Le Conseil d’Etat y dit également pour droit que « si, dans le cadre d’un litige indemnitaire, l’une des parties ou le juge soulève, avant la clôture de l’instruction, un moyen tiré de l’illicéité de la clause du contrat relative aux modalités d’indemnisation du cocontractant en cas de résiliation anticipée, il appartient à ce dernier de demander au juge la condamnation de la personne publique à l’indemniser du préjudice qu’il estime avoir subi du fait de la résiliation du contrat sur le fondement des règles générales applicables, dans le silence du contrat, à l’indemnisation du cocontractant en cas de résiliation du contrat pour un motif d’intérêt général ».
Bien évidemment, dans l’hypothèse où l’illicéité de la clause d’indemnisation est soulevée d’office par le juge, l’article R. 611-7 du code de justice administrative lui impose d’en informer les parties et de fixer un délai dans lequel elles pourront présenter leurs observations.
Ainsi que le précise le Conseil d’Etat, c’est à ce moment-là que « le cocontractant de la personne publique peut, dans ses observations en réponse soumises au contradictoire, fonder sa demande de réparation sur [l]es règles générales applicables aux contrats administratifs ».
Si le requérant se borne en effet simplement à contester l’illicéité de la clause d’indemnisation ainsi soulevée et que le juge la retient in fine – comme ce fut le cas dans l’affaire Société Leasecom –, il ne pourra être indemnisé sur le fondement des règles applicables aux contrats administratifs une fois la clause écartée.
Pour le dire autrement, il n’appartient pas au juge de se placer de son propre chef sur le terrain des règles générales d’indemnisation lorsque seules les stipulations contractuelles indemnitaires illicites sont invoquées.
De sorte que le requérant qui invoque une clause indemnitaire dont on lui oppose l’illicéité aura tout intérêt à défendre la licéité de celle-ci et, subsidiairement, à demander l’indemnisation de ses préjudices sur le fondement des règles générales applicables aux contrats administratifs.
Guillaume Blanchard
Avocat au Barreau de Paris