I- Analyse de l'arrêt
A) Les faits
En l’éspèce ; une société d'avocats française s’était faite assistée par une société d'avocats bruxelloise pour le projet d'achat d'hôtels à Anvers de leurs client ,lequel n’a finalement pas réglé les frais et honoraires de la société d'avocats belge.
Cette société a réclamé le paiement à la société d'avocats française, qui a refusé au motif que son client a été mis en relation et n’a pas souscrit d’engagement ducroire.
Le bâtonnier de l'ordre des avocats de Bruxelles a saisi son homologue parisien, lequel confirme à l'absence d'engagement ducroire, si bien que le cabinet Belge a assigné en paiement la société d'avocats française …
Pour la cour d'appel de Paris la société d'avocats française doit garantir le paiement des honoraires impayés du client. Elle la condamne à 45.762,147 €.
En cassation, la société d’avocats condamnée, soutient qu’il ne s’est agi pour elle que de mettre en rapport son client avec un confrère belge, sans lui avoir confié de mandat particulier, si bien qu’il n’y a pas d' engagement ducroire, qui suppose dans les relations entre un avocat et ses confrères, que l'avocat ait lui-même mandaté en son nom propre, son confrère.
Elle ne peut garantir le paiement des honoraires du cabinet belge.
De plus, à supposée une obligation ducroire, elle ne concernait pas les frais et émoluments taxables, si bien que subsidiairement doivent être exclus de l'assiette de la condamnation, les frais et émoluments taxable dus par le client au cabinet belge.
Rejet du pourvoi parce que le cabinet français a confié au cabinet belge une mission consistant à conseiller son client à l'occasion d'un projet d'investissement immobilier en Belgique, tout en proposant son assistance pour la mise en place de la structure d'acquisition et l'optimisation tant fiscale que sociale de l'opération côté français.
Le cabinet français avait également sollicité la communication de certains documents relatifs à l'acquisition envisagée
B ) La clause ducroire étendue aux avocats
1°- classiquement pour l’agent commercial
Cette clause envisagée pour les agents commerciaux en général rend solidaire des dettes des clients créés pour le compte de son mandant
Cette clause fait obligation à l'agent commercial de ne finaliser une vente que si le client offre des garanties de solvabilité.
En principe l'existence d'un engagement ducroire, supposerait dans les relations entre un avocat et ses confrères, que l'avocat ait lui-même mandaté en son nom propre, son confrère.
Pourtant ce n’est pas si simple
2°-Pour la cour de cassation : le fait de confier l’affaire revient à un engagement ducroire
- Le visa
article 5.7 « Responsabilité Pécuniaire » du code de la déontologie des avocats européens
Ce texte vise la responsabilité pécuniaire des avocats en ces termes.
"Dans les relations professionnelles entre avocats de barreaux de différents Etats
membres, l’avocat qui, ne se bornant pas à recommander un confrère ou à l’introduire
auprès d’un client, confie une affaire à un correspondant ou le consulte, est personnellement
tenu, même en cas de défaillance du client, au paiement des honoraires,frais et débours dus au conseil étranger. Cependant, les avocats concernés peuvent, au début de leurs relations, convenir de dispositions particulières à ce sujet.
En outre, l’avocat peut, à tout instant, limiter son engagement personnel au montant
des honoraires, frais et débours engagés avant la notification à son confrère étranger
de sa décision de décliner sa responsabilité pour l’avenir"
article 11.5 du règlement intérieur national de la profession d'avocat (RIN)
11.5 Partage d’honoraires
Avocat correspondant "L’avocat qui, ne se bornant pas à mettre en relation un client avec un autre avocat, confie un dossier à un confrère ou le consulte, est personnellement tenu au paiement des honoraires, frais et débours dus à ce confrère correspondant, au titre des prestations accomplies à sa demande par celui-ci. Les avocats concernés peuvent néanmoins, dès l’origine et par écrit, convenir du contraire. En outre, le premier avocat peut, à tout instant, limiter, par écrit, son engagement au montant des sommes dues, au jour où il exclut sa responsabilité pour l’avenir. Sauf stipulation contraire, les dispositions de l’alinéa ci-dessus s’appliquent dans les rapports entre un avocat et tout autre correspondant qui est consulté ou auquel est confiée une mission…. " |
article 21 du règlement intérieur national de la profession d'avocat
"Le Conseil des barreaux européens a adopté à Strasbourg le 28 octobre 1988 et révisé à Lyon le 28 novembre 1998, Dublin le 6 décembre 2002 et Porto le 19 mai 2006 le Code de déontologie dont le texte suit.
Ses règles concernent les avocats de l’Union européenne, tels que définis par la directive 77/249/CEE et la directive 98/5/CE.
Les avocats français doivent en appliquer les dispositions dans leurs activités judiciaires et juridiques dans l’Union européenne dans leurs relations avec les autres avocats de l’Union européenne, qu’elles aient lieu à l’intérieur des frontières de l’Union européenne ou hors celles-ci, sous réserve que lesdits avocats appartiennent à un Barreau qui a formellement accepté d’être lié par ce Code.
Dans ces relations, les règles fixées par l’article 21.5.3 du Code européen de déontologie ci-après, et relatives à la correspondance entre confrères ne ressortissant pas de barreaux du même Etat membre de l’Union européenne, s’appliquent à l’exclusion de toutes autres.
Il en est ainsi si la correspondance est échangée entre deux avocats de nationalité française appartenant, l’un à un barreau français, l’autre, exclusivement, à un autre barreau non français de l’Union européenne."
- Conclusion
La Cour de Cassation rappelle que les juges du fond ont noté qu’une mission avait été conférée par les avocats français.
Il ne s’agit pas de se « borner à recommander » au client le cabinet belge. En outre les juges du droit vérifient que, malgré la faculté qui leur était offerte, les avocats parisiens n’avaient pas limité leur engagement.
L’ avocat qui, ne se borne pas à recommander un confrère ou à l'introduire auprès d'un client, mais confie une affaire à un correspondant ou le consulte, est personnellement tenu, même en cas de défaillance du client, au paiement des honoraires, frais et débours dus au conseil d'un Etat membre.
Le cabinet français ne s'est pas bornée à mettre son client en relation avec le cabinet belge, mais lui a confié l'affaire. Donc il est tenu au paiement des honoraires et frais impayés.
Si l'article 5.7 du code de déontologie des avocats européens, permet de limiter son engagement pour exclure de la garantie due à l'avocat correspondant les frais et débours facturés au client défaillant, rien de tel.
La demande d'exclusion des frais et émoluments taxables est donc rejetée.
II- Présentation de 1ère Civ, 14 novembre 2013, pourvoi n° 12-28763,
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 octobre 2012), que la société d'avocats Huet et associés (la société Huet) a sollicité le concours de la société d'avocats Monard d'Hulst Bruxelles pour l'assistance de M. X..., son client, lors d'un projet d'achat d'hôtels à Anvers ; que ce dernier n'ayant pas réglé les honoraires et frais facturés, celle-ci en a demandé paiement à la société Huet, qui a refusé ; que la société Monard d'Hulst Bruxelles s'est adressée au bâtonnier de l'ordre des avocats de Bruxelles, qui a saisi son homologue parisien, lequel a conclu à l'absence d'engagement ducroire, puis a assigné la société Huet en paiement de ces honoraires et frais ;
Attendu que la société Huet fait grief à l'arrêt de la condamner au paiement d'une certaine somme, alors, selon le moyen :
1°/ que l'engagement ducroire suppose, dans les relations entre un avocat et l'un de ses confrères consulté dans un dossier, que l'avocat ait lui-même mandaté son correspondant et contracté en son nom propre, la simple mise en relation d'un client avec un avocat correspondant ne l'engageant pas personnellement au paiement des honoraires, frais et débours dus à celui-ci ; qu'il ressortait tant de la télécopie du 16 octobre 2005 que de celle du 24 octobre 2005, que la société Huet n'avait jamais confié à la société Monard d'Hulst une quelconque mission mais s'était bornée à mettre celle-ci en relation avec M. X..., devenu client de la société Monard d'Hulst, à recommander le cabinet bruxellois à son client, à qui elle avait soumis le budget prévisionnel d'honoraires pour acceptation, et, à transmettre l'accord de M. X... à la société Monard d'Hulst ; qu'en affirmant que le cabinet Huet ne s'était pas contenté de mettre M. X... en relation avec son homologue belge mais lui avait confié l'affaire à traiter en Belgique, la cour d'appel a violé les articles 11.5 du règlement intérieur national adopté par le Conseil national des barreaux et 5.7 du code de déontologie des avocats européens rendu applicable aux avocats des barreaux français par l'article 21 du règlement intérieur national ;
2°/ qu'en affirmant que le cabinet Huet ne s'était pas contenté de mettre M. X... en relation avec son homologue belge mais lui avait confié l'affaire à traiter en Belgique, la cour d'appel a violé en outre l'article 1134 du code civil ;
3°/ que la société Huet faisait valoir que son rôle s'était limité à introduire la société Monard d'Hulst auprès de son client, M. X..., sans lui confier de mission, ni lui offrir sa garantie en qualité de ducroire ; qu'en se contentant de citer certains passages des télécopies de la société Huet des 16 et 24 octobre 2005, sans caractériser l'existence d'une prétendue mission qui aurait été confiée personnellement à la société Monard d'Hulst par la société Huet, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 11.5 du règlement intérieur national et 5.7 du code de déontologie des avocats européens ;
4°/ que l'obligation ducroire suppose l'existence d'un mandat entre l'avocat et son correspondant, excluant tout rapport entre le client et le correspondant ; que la société Huet faisait valoir que M. X... avait établi une relation directe avec la société Monard d'Hulst en vue de l'acquisition des trois hôtels à Anvers- laquelle avait indiqué qu'elle assisterait volontiers le client - et qu'elle n'avait jamais interféré dans la relation développée entre M. X... et la société Monard d'Hulst, ce dont il résultait que son rôle s'était limité à introduire le cabinet bruxellois auprès de son client ; qu'en se fondant, pour condamner la société Huet à payer à la société Monard d'Hulst la somme de 45 762,17 euros en principal, sur la circonstance que celle-ci n'établissait pas ni n'alléguait avoir convenu avec le cabinet Monard d'Hulst Bruxelles de dispositions particulières ou contraires, ni limité son engagement au regard des dispositions tant de l'article 11.5 du règlement intérieur national que de l'article 5.7 du code de déontologie des avocats européens, la cour d'appel qui a statué par des motifs inopérants, impropres à établir l'existence d'un mandat entre les deux cabinets d'avocats et d'un engagement ducroire de la part de la société Huet, a privé sa décision de base légale au regard des articles 11.5 du règlement intérieur national et 5.7 du code de déontologie des avocats européens ;
5°/ que la société Huet faisait valoir qu'il ressortait de l'article 11.5 du règlement intérieur national que l'obligation ducroire ne concernait pas les frais et émoluments taxables et demandait à la cour d'appel, à titre subsidiaire, d'exclure en tout état de cause de l'assiette de la condamnation, les frais et émoluments taxables ; qu'en ne répondant pas à ces conclusions déterminantes de nature à modifier l'assiette de la condamnation de la société Huet, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu, d'abord, qu'après avoir exactement énoncé que selon les articles 5.7 du code de déontologie des avocats européens, applicable aux avocats des barreaux français conformément à l'article 21 du règlement intérieur national, et 11.5 dudit règlement, un avocat qui, ne se bornant pas à recommander un confrère ou à l'introduire auprès d'un client, confie une affaire à un correspondant ou le consulte, est personnellement tenu, même en cas de défaillance du client, au paiement des honoraires, frais et débours dus au conseil d'un Etat membre, la cour d'appel, appréciant souverainement la portée des éléments de preuve, a relevé que la société Huet avait confié à la société Monard d'Hulst Bruxelles une mission consistant à conseiller son client à l'occasion d'un projet d'investissement immobilier en Belgique, tout en proposant son assistance pour la mise en place de la structure d'acquisition et l'optimisation tant fiscale que sociale de l'opération côté français, qu'elle avait transmis un calendrier du déroulement des différents audits et diverses pièces nécessaires à la mission, et avait sollicité la communication de certains documents relatifs à l'acquisition envisagée ; que de ces constatations et appréciations, elle a exactement déduit que la société Huet, qui ne s'était pas bornée à mettre son client en relation avec la société Monard d'Hulst mais lui avait confié l'affaire à traiter en Belgique, était tenue, conformément au code professionnel applicable entre avocats des pays membres de l'Union européenne, au paiement des honoraires et frais dus à cette dernière ;
Attendu, ensuite, qu'ayant constaté que la société Huet n'avait pas usé de la faculté offerte par le code de déontologie des avocats européens de convenir de dispositions particulières contraires ou de limiter son engagement, la cour d'appel a implicitement mais nécessairement rejeté la demande d'exclusion des frais et émoluments taxables, lesquels figurent au nombre des frais et débours visés par l'article 5.7 du code de déontologie des avocats européens ;
D'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa troisième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Demeurant à votre entière disposition pour toutes précisions en cliquant sur http://www.conseil-juridique.net/sabine-haddad/avocat-1372.htm
Sabine HADDAD