Dans le régime de la communauté universelle, tous les biens, présents et à venir, des époux sont communs, quelle que soit la date d'acquisition (avant ou après le mariage), leur origine (acquisition, donation, succession etc.) et leur mode de financement.
Le risque pour les enfants issus d’une première union est évident surtout lorsque ce régime est complété par un avantage inscrit dans une « clause d'attribution intégrale au conjoint survivant » des biens en cas de décès.
Cette stipulation a pour conséquence de faire passer tous les biens du conjoint décédé dans le patrimoine du second conjoint, sans payer de droits de succession, patrimoine qui inclura aussi les biens que les enfants de la première union avaient vocation à recevoir…
En un mot, il n’y a pas de succession, tout passe chez le nouveau conjoint.
Ce changement de régime matrimonial, portant atteinte aux droits successoraux des enfants du premier lit, la loi a pallié à cela en leur permettant d’assigner le conjoint en justice en cas de décès de leur parent remarié par:
-une action en retranchement, afin de récupérer la part qui excède la quotité disponible envisagée par l’article 1527 du code civil.
C'est l'action en réduction des enfants du premier lit.
- parallèlement ou en même temps, ils pourront agir en annulation de changement de régime matrimonial 2ème Civ, 20 mai 2010, pourvoi N° 09-15432
I- LES CONDITIONS DE L'ACTION
A) Une action concevable après le décès du parent remarié
Cette action en retranchement est suspendue jusqu’au décès de l’époux auteur de l’avantage. Elle interviendra lors du partage successoral pour les héritiers du premier lit.
B) Un remariage sous régime de communauté universelle avec clause d’attribution intégrale des biens au conjoint survivant
Cette clause est un avantage matrimonial qui autorise à transférer l'ensemble de tous les biens du décédé au conjoint survivant.
Il n'y a pas d'ouverture de succession, et rien à partager puisque le conjoint devient instantanément propriétaire de l'ensemble.
Aucun droit de succession, ni de donation n'est dû dans ce cas
C) La réserve héréditaire des enfants doit être atteinte
Les enfants d'un premier mariage, ont leur réserve acquise (part minimale d’héritage octroyée par la loi) . Le parent remarié ne pourra donc transmettre à son nouveau conjoint que part de son patrimoine qui excède la part minimale d'héritage des enfants ( la quotité disponible)
D) Les enfants légitimes et adoptés par adoption plénière du conjoint sont recevables à cette action
Exemple refus en cas d’adoption simple 1ère Civ,11 février 2009, pourvoi N°07-21421
II LE DELAI DE L'ACTION ET SON ABOUTISSEMENT
A) Délai
L’article 921 du Code civil prévoit que le délai de prescription de l’action en réduction est fixé à cinq ans à compter de l’ouverture de la succession, ou à deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l’atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder dix ans à compter du décès.
B) Comment apprécier le retranchement ?
En principe, l’avantage est exprimé d’après son état et sa valeur au jour du décès opérant dissolution du régime matrimonial puisque c’est à cette date qu’il se concrétise article 922 du code civil.
L’ enfant du premier mariage a de ce fait droit de réclamer ses droits sur la communauté liquidée et dans la succession de son père.
Pour calculer l’avantage et ensuite vérifier s’il excède ou non la quotité disponible entre époux, on considère que l’avantage matrimonial est égal à la différence que fait ressortir l’opération de comparaison entre les résultats obtenus en liquidant la communauté suivant les stipulations du contrat de mariage et ceux obtenus en appliquant les règles du régime légal.
Une fois l’avantage au profit d’un des conjoints déterminé, on recherchera si celui-ci excède le montant de la quotité entre époux conformément à l’article 1094-1 du code civil, afin que seul l’excédent soit soumis au retranchement, ce qui revient à réintégrer pour partie l’avantage matrimonial. dans l’actif successoral.
La quotité entre époux étant de 1 / 4 en propriété et 3 / 4 en usufruit.
En cas de réduction, celle-ci s’opère en valeur si le conjoint est appelé à la succession conformément aux art.866 et 868 du code civil.
Ce dernier peut demander des délais de paiement. Elle se fera en nature lorsque le conjoint renonce à la succession ou s’il a été privé expressément de ses droits par le de cujus, la réduction s’opère alors en nature.
Si l’avantage est inférieur à la quotité disponible entre époux et que le conjoint est également gratifié par donation ou legs, il reçoit le complément de son avantage au titre des libéralités entre époux.
( A noter qu'en cas d’avantage en usufruit et du fait que la quotité disponible entre époux peut porter sur l’usufruit de la totalité, l’action en retranchement sera paralysée chaque fois que l’avantage matrimonial est stipulé en usufruit.
En effet , si l’usufruit provient d’une libéralité, sa conversion en rente viagère, peut être demandée par l'enfant, ce qui n’est pas possible lorsque l’usufruit provient, comme ici, d’un contrat de mariage.)
C) L’aboutissement de l'action
1°- En cas d’atteinte à leur réserve, les enfants issus de la première union vont pouvoir formuler deux demandes.
-- s'opposer à ce que les biens possédés par leur parent avant son remariage tombent dans la communauté , puis
-- demander leur part minimale d'héritage sur les biens communs constitués pendant le mariage et faire réduire à la quotité disponible entre époux (variable selon le nombre d'enfants) l'avantage résultant de la clause d'attribution intégrale
Prenons un exemple concret :
Monsieur X a deux biens immobiliers, lorsqu’il se remarie avec Melle Z sous le régime de la communauté universelle avec clause d'attribution intégrale.
Lorsqu’il décède, ses enfants pourront exiger que:
-- les biens immobiliers soient exclus des biens communs et leur soient attribués, ainsi que
--les 2/3 (réserve) au moins des biens communs restants, constitués pendant le mariage.
Les enfants acquitteront alors les droits de succession sur ce qui leur est restitué, alors que le conjoint survivant recueillera ce qu'il aurait pu recevoir par une donation au dernier vivant ou un testament, en franchise d'impôt.
2°- La possibilité de faire annuler le contrat de mariage dans les 5 ans à défaut d’avoir consenti, ou à défaut d’information
D) Le renoncement anticipé à cette action
Rien n’empêcherait les enfants de consentir à ce que le nouveau conjoint de leur parent décédé recueille au-delà de la quotité disponible en renonçant à cette action de façon anticipée, en tant qu’ héritier réservataire et en accord avec leur parent remarié.
Un ou plusieurs héritiers pourront, dans un même acte notarié en présence de deux notaires et à huis clos, ainsi renoncer à exercer l'action en réduction contre une libéralité faite à une personne déterminée, qui porterait atteinte à leur réserve ou, pour les enfants d'un premier lit, à l'exercice de leur action en retranchement.
Article 930 du code civil
La renonciation est établie par acte authentique spécifique reçu par deux notaires. Elle est signée séparément par chaque renonçant en présence des seuls notaires. Elle mentionne précisément ses conséquences juridiques futures pour chaque renonçant.
La renonciation est nulle lorsqu'elle n'a pas été établie dans les conditions fixées au précédent alinéa, ou lorsque le consentement du renonçant a été vicié par l'erreur, le dol ou la violence.
La renonciation peut être faite dans le même acte par plusieurs héritiers réservataires.
Article 930-2 du code civil
La renonciation ne produit aucun effet s'il n'a pas été porté atteinte à la réserve héréditaire du renonçant.
Si l'atteinte à la réserve héréditaire n'a été exercée que partiellement, la renonciation ne produit d'effets qu'à hauteur de l'atteinte à la réserve du renonçant résultant de la libéralité consentie.
Si l'atteinte à la réserve porte sur une fraction supérieure à celle prévue dans la renonciation, l'excédent est sujet à réduction.
La renonciation relative à la réduction d'une libéralité portant sur un bien déterminé est caduque si la libéralité attentatoire à la réserve ne porte pas sur ce bien. Il en va de même si la libéralité n'a pas été faite au profit de la ou des personnes déterminées. »
Cependant, si les enfants sont amenés à diligenter une action en réduction, la part qui excèderait la quotité disponible sera alors soumise aux droits de succession entre les mains du conjoint survivant.
Demeurant à votre entière disposition pour toutes précisions en cliquant sur http://www.conseil-juridique.net/sabine-haddad/avocat-1372.htm
Sabine HADDAD
Avocate au barreau de Paris