L'annulation ou/et la réparation de l'acte litigieux commis par un incapable suppose que la procédure soit entamée par la victime ou ses héritiers devant les juridictions civiles à savoir le:
- tribunal de grande instance: pour tout préjudice supérieur à 10.000 euros avec présence d'un avocat obligatoire.
- tribunal d’instance en cas de préjudice allant de 4001 à 10.000 euros
- juge de proximité: pour le préjudice jusqu'à 4.000 euros.
J'aborderai les recours civils et non pénal ( tel que l'abus de faiblesse ou l'abus de confiance sur personne vulnérable.)
I- Fondements juridiques des actions en annulation ou en réduction des actes souscrits par le majeur protégé
A) L'annulation des actes pour trouble mental
L'article 414-1 du code civil dispose: « Pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit. C'est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte. »
Ainsi, des actes juridiques accomplis par une personne soumise à un trouble menta au moment de la signature, peuvent être annulés
ce trouble pourra être lié à l'âge, la maladie, une absorption régulière de produits stupéfiants ou d’alcool,une infirmité...
En cas de contestation, c'est au juge de décider si la personne était ou non en pleine possession de ses facultés mentales lors de la rédaction de l'acte.
L'autorisation donnée par le juge des tutelles de vendre la résidence d'un majeur protégé ne fait pas obstacle à l'action en annulation, pour insanité d'esprit, de la promesse synallagmatique de vente passée sur l'immeuble concerné. Cass 1re Civ, 20 octobre 2010, pourvoi N° 09-13.635
La nullité sera encourue si le majeur protégé n'avait pas toutes ses facultés mentales au moment de la signature de celui-ci.
B) L'annulation fondée sur les vices du consentement
L'existence d'un trouble mental au moment de l'acte devra être établie article 414-1 du code civil
article 901 du Code civil « ...La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l’erreur, le dol ou la violence ».
L'erreur: article 1110 du code civil
La violence (article 1111 du code civil) : obtenue par violence physique, mais aussi morale, ( pressions) telles des menaces, chantage.
Le dol (article 1116 du code civil ) : tromperie commise sciemment avec des , manœuvres frauduleuses, sorte d'escroquerie civile , mensonge
C) Les actions spécifiques aux majeurs placés sous un régime de protection.
1°- L'action en rescision pour lésion : une annulation aboutie en cas de placement sous un régime de protection
Elle vise des situations de grave déséquilibre ou de disproportions au détriment du majeur protégé qui aura contracté à des conditions désavantageuses.
Ainsi une cession onéreuse d'un bien du majeur en deça du prix.
2°-L'action en réduction pour excès en cas de placement du majeur sous un régime de protection de la Loi
Il faut entendre par là une sauvegarde de justice, une curatelle ou une tutelle :article 435 du code civil.
L’action en réduction pour excès suppose que le majeur protégé ai souscrit un acte inutile ou disproportionné au regard de ses facultés financières.
Le cas classique sera l'acquisition d'un bien à un prix trop onéreux.
Le tribunal pourra alors réduire le montant de l'opération.
II- Les actions en nullité liées aux libéralités
L’article 901 du Code civil « Pour faire une libéralité, il faut être sain d’esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l’erreur, le dol ou la violence ».
La loi N° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, entrée en vigueur 1er janvier 2009, est venue modifier l'ensemble du dispositif de protection des personnes vulnérables, en fixant, en particulier les conditions dans lesquelles les personnes placées sous mesure de protection peuvent tester ou consentir des donations….
l'insanité d'esprit pourra viser des codiciles, des avenants à des contrats d'assurance-vie, des donations ou des testaments signés par un majeur souffrant d'une altération de ses capacités physiques.
A) Qui peut agir et sous quel délai ?
Le testateur de son vivant et à tout moment, expressément, par un acte notarié déclarant caduques les précédentes dispositions, ou par un nouveau testament annulant explicitement le précédent, ou bien tacitement en cédant le bien, en détruisant le testament, ou en rédigeant un testament postérieur incompatible en ses termes avec le précédent.
L’article 414-2 alinéa 1 du code civil dispose:
De son vivant, l'action en nullité n'appartient qu'à l'intéressé.
Au décès du testateur ,seuls les héritiers légaux ou les légataires universels qui recueillent la totalité des biens, peuvent invoquer la nullité pour insanité d’esprit, contrairement au légataire particulier qui ne recueille qu’un part des biens cette impossibilité est de mise, même si le défunt l’a qualifié part erreur de légataire universel. 1 ère Civ, 17 février 2010, n°pourvoi 08-21927
Article 414-2 alinéa 2
.....Après sa mort, les actes faits par lui, autres que la donation entre vifs et le testament, ne peuvent être attaqués par ses héritiers, pour insanité d'esprit, que dans les cas suivants :
1° Si l'acte porte en lui-même la preuve d'un trouble mental ;
2° S'il a été fait alors que l'intéressé était placé sous sauvegarde de justice ;
3° Si une action a été introduite avant son décès aux fins d'ouverture d'une curatelle ou d'une tutelle ou si effet a été donné au mandat de protection future.
L'action en nullité s'éteint par le délai de cinq ans prévu à l'article 1304
Aux visas des articles 901 et 1304 du code civil, a été jugé que l’action en nullité pour insanité d’esprit des donations entre vifs ou des testaments pour insanité d’esprit se prescrit par cinq ans et est soumise à la prescription abrégée de l’article 1304 du Code civil 1ère Civ 11 janvier 2005, n°pourvoi 01-13133
B) La preuve de l'insanité d'esprit dans toute sa difficulté en cas de testament authentique
1ère Civ, 6 janvier 2010, pourvoi n° 08-20646
Attendu qu’ayant relevé, d’une part, que les mentions du testament, écrit de la main du notaire, en présence de deux témoins, sous la dictée du testateur auquel il avait été lu et qui avait déclaré le bien comprendre et qu’il exprimait ses volontés, révélaient la cohérence de la pensée du testateur, d’autre part, que les constatations du notaire et des témoins n’étaient pas contrebattues par les certificats médicaux produits, la cour d’appel, qui n’a pas inversé la charge de la preuve et qui n’était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a souverainement estimé qu’il n’était pas établi l’insanité d’esprit d’Armand X... à la date du testament ; que le moyen ne peut être accueilli ;
C) La preuve de l'insanité d'esprit facilitée par un placement sous tutelle ou curatelle.
article 470 du code civil : La personne en curatelle peut librement tester sous réserve des dispositions de l'article 901.Elle ne peut faire de donation qu'avec l'assistance du curateur.
Le curateur est réputé en opposition d'intérêts avec la personne protégée lorsqu'il est bénéficiaire de la donation.
article 476, alinéa 2 : du code civil, La personne en tutelle peut, avec l'autorisation du juge ou du conseil de famille s'il a été constitué, être assistée ou au besoin représentée par le tuteur pour faire des donations.
Elle ne peut faire seule son testament après l'ouverture de la tutelle qu'avec l'autorisation du juge ou du conseil de famille s'il a été constitué, à peine de nullité de l'acte. Le tuteur ne peut ni l'assister ni la représenter à cette occasion.
Toutefois, elle peut seule révoquer le testament fait avant ou après l'ouverture de la tutelle.
Le testament fait antérieurement à l'ouverture de la tutelle reste valable à moins qu'il ne soit établi que, depuis cette ouverture, la cause qui avait déterminé le testateur à disposer a disparu.
D) L' insanité relevée au moment de la mise en place de la mesure de protection du majeur
1ère Civ 6 janvier 2010, pourvoi n° 08-14002.
Considère qu’une personne est insane d’esprit au moment de la signature de divers actes testament, donation, au motif que « selon les rapports médicaux de son médecin traitant et de l'expert psychiatre désigné dans le cadre de la procédure de protection d'incapable majeur, le testateur présentait une altération de ses capacités physiques et intellectuelles de type maladie d'Alzheimer, à compter de l'année 2000 », date de réalisation des transmissions litigieuses à titre gratuit.
Les actes qui ont précédé l’ouverture d’une tutelle d’un majeur peuvent être annulés si la cause qui a déterminé la tutelle existait notoirement à l’époque ou ils ont été commis.
1ère Civ 24 mai 2007, pourvoi n° 06-16957
Attendu que la nullité des actes faits par un majeur en tutelle antérieurement à l'ouverture de cette mesure de protection ne suppose pas la preuve de l'insanité d'esprit au moment où l'acte a été passé mais est seulement subordonnée à la condition que la cause ayant déterminé l'ouverture de la tutelle ait existé à l'époque où l'acte a été fait ;
E) La preuve de l'insanité d'esprit à l'appui d’une grave maladie ou d'un faisceau d'indice
L'étude de la Jurisprudence récente est explicite dans l'attente des Tribunaux, quand pourra t-on considérer que le discernement est annihilé ?
Les moyens seront appréciés souverainement par les tribunaux, principalement pour interpréter un testament olographe.
Des témoignages, pièces médicales, constatations de médecins relatives à la maladie mentale ex Alzheimer, ou autre ex SIDA…, une incohérence relevée dans des courriers, la forme du testament sont tant d'exemples. Ceux-ci serviront à établir des préseomptions , un faisceau d’indices soumis aux juges et destiné à orienter le Tribunal : écriture, fautes de grammaires, de syntaxes, ou d’orthographes fréquentes, pièces médicales, témoignages…
F) La Jurisprudence
1) de la Cour de cassation
2ème Civ,21 janvier 2010, pourvoi n° 07-13552 (second moyen subsidiaire)
…Il ne résulte pas des éléments versées aux débats que les facultés mentales d'Odette Y... (troubles cognitifs alzheimer argués,) aient été altérées au moment de la rédaction du testament, au point qu'elle ait perdu ses facultés de discernement ; que la preuve de l'insanité d'esprit n'est pas rapportée ;
1 ère Civ, 1 juillet 2009, pourvoi n°08-13402
Si, pour l’annulation d’un acte du vivant du souscripteur, la preuve de l’insanité d’esprit peut être rapportée par tous moyens, il n’en est pas de même lorsque l’individu est décédé.
Dans ce cas, si l’acte n’est ni une donation, ni un testament et dans l’hypothèse où la personne n’a pas fait l’objet de son vivant d’une mesure de protection, il faut rapporter la preuve du trouble mental à partir du seul contenu de l’acte.
un acte portant modification des bénéficiaires d’un contrat d’assurance vie ne peut faire l’objet d’une nullité, après le décès de son auteur : - dés lors qu’il ne constitue pas une donation indirecte , - et que la preuve du trouble mental n’est pas rapportée par son seul contenu .
1ère Civ, 8 avril 2009,pourvoi n°08-12073
…c'est à ceux qui agissent en nullité pour insanité d'esprit de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte ; que le moyen, en ses deux dernières branches, ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine de la cour d'appel, qui, par motifs propres et adoptés, a relevé qu'aucune des pièces produites par M. Pierre X... ne procédait à une description de l'état de Louise B... au moment de la signature du testament, lesdites pièces se bornant à rapporter des constatations soit antérieures de six mois soit postérieures de huit mois à l'acte, et a estimé que ce dernier ne rapportait pas la preuve dont il avait la charge, alors qu'un certificat médical procédant à une description de l'état de Louise B... en septembre 1998 attestait qu'un médecin lui avait fait pratiquer un test tout à fait satisfaisant compte tenu de son âge, et que le notaire, ayant reçu l'acte, indiquait, dans celui-ci, que Louise B... lui avait paru saine d'esprit ; qu'elle a ainsi, sans inverser la charge de la preuve et sans qu'elle ait à procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, légalement fondé sa décision ;
2) de la cour d'Appel
Quelques illustrations sont données au lecteur à titre indicatif, parmi pléthore d'arrêts.
Cour d'appel de Douai, 24 janvier 2011, a annulé un testament pour insanité d'esprit au motif que les attestations émanant de divers médecins ont décelé une psychose maniaco-dépressive pour laquelle le testateur était soigné et le fait qu'il démontrait un épisode aigu dans sa crise maniaque.
Cour d’Appel de Bordeaux 8 septembre 2009, 1re Chambre civ, sect. B, R.G. n° 08/00385
La preuve de l'insanité d'esprit de la de cujus au moment de la rédaction de l'acte n'est pas rapportée. En effet cette preuve ne peut résulter du seul fait que la défunte a faussement imputé à sa fille des détournements de fonds. Le certificat médical produit, fait état de troubles de mémoire semblant s'aggraver rapidement mais qui n'entravaient pas de façon importante la vie quotidienne et d'un état dépressif. Par ailleurs, la mise sous tutelle de la testatrice n'est intervenue qu'après un accident cérébral survenu postérieurement à la rédaction du testament.
Cour d’appel de Bordeaux 18 juin 2008, pourvoi n° 06/02107
la plénitude des facultés intellectuelles de la testatrice, malade de corps, est attestée dans une énonciation du testament, par les témoins instrumentaires et par le notaire qui précise que le testament lui a été dicté par la testatrice à laquelle il a l'a relu et qui a déclaré bien le comprendre et y persister,
- que le dossier médical de la testatrice, hospitalisée depuis le 22 JANVIER 2002 mentionne, à la date du 28 JANVIER 2002, jour du testament fait entre 16 heures et 16 heures 45, suivant l'énonciation de l'acte : " Matin : " matinée calme "- Après-midi : " A. M. calme "- Nuit : " Discours confus-Dort peu " ;
Attendu que la cohérence de la pensée exprimée dans le testament, les constatations du notaire et des témoins et les mentions du dossier médical permettent à la Cour de retenir la validité du testament, contre laquelle l'appelant auquel incombe cette charge n'apporte pas la preuve de l'insanité d'esprit de la testatrice au moment de l'acte ;
Cour d’appel de Paris 17 avril 2008, jurisdata n°361400
«l’insanité d’esprit comprend, au sens de l’article 901 du Code civil, toutes les variétés d’affections mentales par l’effet desquelles l’intelligence du disposant a été obnubilée ou sa faculté de discernement déréglées. Le rapport d’expertise, confirmé par les témoignages des proches, font état d’un état de santé très dégradé de l’auteur du testament à la date de sa rédaction. L’auteur du testament souffrait d’un cancer, doublé d’un état dépressif important. La perception et les fonctions cognitives et affectivo-émotionnelles étaient largement perturbées à la date de la rédaction du testament. Par l’effet de cette profonde de dépression, des violentes douleurs qu’il subissait, de sa perte d’autonomie, de cet affaiblissement général majeur au plan physique et psychique dans un contexte de refus de soins, l’auteur du testament n’était plus sain d’esprit à la date de la rédaction du testament ».
Cour d'appel d'Agen 25 mars 2008,1ere chambre, RG°06/01648
La charge de la preuve de l'insanité d'esprit du testateur incombe à celui qui agit en annulation du testament;
...en l'état les documents versés aux débats ne sont pas suffisants pour confirmer l'état d'insanité d'esprit de Rosalie X... au moment de la confection du testament et par l'effet de laquelle son intelligence aurait été obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée ; Les praticiens qui l'ont examinée à différentes époques n'ont pas évoqué chez cette femme l'existence d'une affection mentale ayant aboli son discernement.
Demeurant à votre disposition pour toutes précisions.
Maître HADDAD Sabine
Avocate au barreau de Paris