L'AVOCATE VOUS FAIT JUGE
Copyright Sabine HADDAD - Edition : décembre 2013-ISBN: 978-1-291-48466-3
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La nullité dans l'incompétence.
Soulever l'incompétence d'un Tribunal, ne revient pas à traiter les Juges d'incapables, de nuls. C'est un moyen procédural en vue de solliciter l'attribution d'une juridiction différente.
L'incompétence d'attribution permet de contester l'ordre, le degré ou la nature de la juridiction choisie, alors que l'incompétence territoriale consiste à dire que l'affaire est jugée au mauvais endroit. Le principe voudrait que ce soit le Tribunal du lieu du domicile du défendeur, qui est compétent même si de nombreuses exceptions existent.
Plusieurs moyens de défense peuvent être soulevés, comme nous l'avons déjà vu en matière pénale.
Certains sont paralysants : Les fins de non-recevoir pour voir déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, de qualité, d'intérêt, du fait de la prescription, de la chose jugée, d'autres sont anesthésiants : les exceptions de procédures ; l'incompétence, l'irrespect des conditions de forme ou définitifs : les défenses au fond pour contester le bien-fondé d'une demande.
Il y a juste la façon, la manière, de l'exprimer parfois.
Un jour, je suis amenée à assister un salarié devant la formation de conciliation du Conseil de prud'hommes suite à son licenciement pour motif individuel. Convoquée à 9 heures, la cause est appelée en toute fin de matinée. Un confrère, dans sa grande délicatesse, s'est manifesté la veille pour l'employeur en adressant une lettre de retenue pour midi, dont je n'ai pas trace. Il se présente à 13 heures, alors que j'attends depuis 4 heures. Volubile, ce confrère malien est à l'évidence très arrogant, plus pressé de m'agresser, que de s'excuser, insistant sur le fait qu'il m'a envoyé copie de la retenue la veille, à 21 heures. Admettons ! Je ne m'étalerai pas sur ce point pour calmer l'atmosphère, il exagère, 21 heures !...Comme si je couchais au cabinet ! Il connaît son affaire approximativement, quand il prétend contrairement aux éléments en ma possession que mon « salarié » serait en réalité un agent commercial pour soulever l'incompétence du Conseil au profit du Tribunal de commerce. Il argue en outre d'une rétrocession bien inférieure au salaire mentionné sur les fiches de paie, produites. Très contrariée, il me faut rester calme malgré tout, car il en va de l'intérêt du salarié qui souhaite transiger amiablement, quitte à renoncer à une partie de son préjudice, en faisant des concessions qu'il espère réciproques. Mais mon détracteur est épuisant, insupportable ! Impossible de parler face à tant d'exubérance, de clamer quoi que ce soit, je suis sans cesse agressée et rabrouée. Cet avocat vif, nerveux au ton acerbe et au verbe haut se présente devant le conseil :
- Monsieur le Président, vous êtes incompétent !
Bref silence des conseillers, puis :
- Pardon, Maître, vous dites ? C'est votre façon de l'exposer qui nous a fait hésiter un temps, vous voulez dire que vous soulevez une incompétence « rationae materiae » devant nous ?
Il poursuit :
- Oui, c'est ça vous êtes incompétent !
Les conseillers se regardent. Le voici, maintenant qui conteste le lien de subordination du salarié à son employeur, - la caractéristique de l'existence du contrat de travail - . Comme pour se dédouaner, il ne cesse de me couper la parole, nous sommes à la limite de frôler l'incident et d'en référer au Conseil de l'ordre, puis il ajoute :
- C'est ma collaboratrice qui a préparé mes notes, elle a pu se tromper. J'ai l'habitude du conseil, je suis connu ici, je plaide souvent vous savez.
Le Président le fixe, puis, amusé, lui fait posément remarquer :
- Maître, ça se saurait si vous étiez connu.
Le conseil ne vous aurait sans doute pas oublié !
Je ne proposerai aucune base transactionnelle. Il ne sert à rien de discuter, mieux vaudra plaider sur cet aspect juridique. Confrontée à une telle ambiance, je renonce devant les conseillers à toute négociation de principe et me rappelle que finalement l'avenir donnera tort à l'employeur devant la formation de jugement du Conseil.
Ce comportement borné, buté et agressif aura eu deux mérites : Celui d'incommoder la juridiction saisie et celui de nuire à l'intérêt de son propre client. Désolant, car Maître et Maîtrise de soi devraient aller de pair... Nouvelle leçon que je retiendrai.
Maître HADDAD Sabine