La Convention Internationale des Droits de l'Enfant, (CIDE) adoptée le 20 novembre 1989 par l’ONU constitue le premier texte obligatoire universel qui reconnaît expressément des droits fondamentaux à l’enfant, à la fois civils, politiques, économiques, sociaux et culturels.
La notion d'un intérêt supérieur de l’enfant (article 3-1), a été posée, tout comme la prise en compte de ses opinions sur toute question l’intéressant (article 12).
De ce fait, l'enfant capable de discernement aura "son mot à dire" doit avoir la possibilité d'être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative le concernant, directement, ou par l'intermédiaire d'un représentant en respect avec les règles des législations nationales.
Dans un article sur l'audition de l'enfant en Justice mis à jour sur ce thème, je m'étais déjà penchée sur la situation évolutive de la parole du mineur, susceptible d'être auditionné, du fait de son discernement.
http://www.legavox.fr/blog/maitre-haddad-sabine/audition-enfant-justice-659.htm
En France, depuis la Loi N° 93-22 du 8 janvier 1993, la parole de l’enfant est considérée.
Le code civil a inséré un article 388-1 garantissant à l'enfant le droit d'être entendu par le juge dans toute procédure le concernant. ( décret nº 93-1091 du 16 septembre 1993 de mise en oeuvre des articles 388-1 à 388-9 du code civil a pu être modifié en vertu).
Dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu par le juge ou, lorsque son intérêt le commande, par la personne désignée par le juge à cet effet...
Or le droit d'audition de l'enfant a été parachévé en 2007 par :
-La Loi N° 2007-293 du 5 mars 2007 (publiée au JO le 6 mars 2007) réformant la protection de l’enfance, laquelle est venue rajouter un second alinéa à l'article 388-1 pour le compléter ainsi :
article 388-1 (suite)" ...Cette audition est de droit lorsque le mineur en fait la demande. Lorsque le mineur refuse d'être entendu, le juge apprécie le bien-fondé de ce refus. Il peut être entendu seul, avec un avocat ou une personne de son choix. Si ce choix n'apparaît pas conforme à l'intérêt du mineur, le juge peut procéder à la désignation d'une autre personne."
-Un décret N°2009-572 du 20 mai 2009 relatif à l'audition de l'enfant en Justice a parachevé l'évolution.
La 1ère Civ du 15 avril 2010, n° de pourvoi: 09-14939 vient de faire rappel du principe d'audition de droit de l'enfant qui en fait la demande, dans un arrêt et de la necessité de respecter les dispositions de l'article 388-1 du code civil qui dispose que:
C'est ainsi qu'elle a cassé un arrêt d'appel d'Aix en Provence du 29 mai 2008, qui a statué , sans auditionner un enfant et ne s'est pas prononcé sur les 2 demandes d'audition de l'enfant, faites dans le cadre de la procédure de divorce de ses parents.
Ces demandes avaient été transmises à la cour d'appel, ( avant l'ordonnance de clôture, puis en cours de délibéré), demandé à être entendue dans la procédure de divorce de ses parents...
I- Le principe rappelé par 1ère Civ 15 avril 2010 : Le juge DOIT auditionner l'enfant qui en fait la demande par tous moyens
A) Les QUATRE conséquences découlant de la legislation sur l'audition de l'enfant
1°- la demande d'audition est de droit, lorsque l'enfant est capable de discernement.
Le juge ne pourra s'y opposer qu'en motivant son refus.
2°- Le juge est souverain pour apprécier le discernement.
3°- La décision rendue sur demande de l'enfant est insusceptible de recours article 338-5 du NCPC
4°- A l'inverse, si l'enfant refuse d'être auditionné alors que le juge l'envisage, ou bien en cas de demande d'un ou des parents, le juge reste libre d'ordonner son audition.
B) Le rappel des dispositions de l'article 388-1 du code civil par la 1ère Civ, 15 avril 2010
Que nous dit la Cour ?
Vu l'article 388-1 du code civil ;
Attendu que dans toutes les décisions le concernant, l'audition du mineur capable de discernement est de droit lorsqu'il en fait la demande ;
Attendu que l'enfant Mélissa X..., née le 21 avril 1992, a, par deux lettres transmises à la cour d'appel, l'une avant l'ordonnance de clôture, l'autre en cours de délibéré, demandé à être entendue dans la procédure de divorce de ses parents ; que la cour d'appel a statué sans entendre l'enfant et sans se prononcer sur sa demande d'audition ;
En quoi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE,
"ALORS QUE dans toute procédure le concernant, notamment dans le cadre d'une procédure de divorce, l'audition de l'enfant mineur capable de discernement doit être organisée lorsqu'il en fait la demande ; qu'en statuant sans que la jeune Mélissa soit entendue, cependant que par courriers des 14 avril et 20 mai 2008, enregistrés au greffe de la cour d'appel les 15 avril et 21 mai 2008, celle-ci avait demandée à être entendue, la cour d'appel a violé l'article 388-1, alinéa 2, du Code civil. "Ainsi en vertu de ces règles , en cas de demande d’audition, non prise en compte dans la décision,
C) La sanction du défaut d'audition pourrait se faire sur le terrain de la CIDE, et dans l'intérêt supérieur de l'enfant.
Remarque: Il aurait été aussi possible de sanctionner le juge sau delà de l'article 388-1 au visa des articles 3-1 ,12-1 de la CIDE, pour toute décision rendue au mépris de lademande et des droits fondamentaux de l’enfant.
II- les modalités dans l'audition de l'enfant
A) Une absence de formalisme dans la demande d'audition et la convocation de l'enfant.
1°-dans la demande d'audition
Cette demande est informelle, ce qui sous entend que l'enfant ou ses parents peuvent la formuler par une simple lettre de demande d'audition à destination du juge.
La demande d'audition peut être présentée sans forme particulière (lettre de l’enfant, ou de son conseil chargé de lui apporter une assistance juridique, de l'aider à exprimer ses sentiments, de lui apporter une aide morale et psychologique, de ses parents, présentation au greffe avec références et date de l’affaire …).
Elle peut se formuler en tout état de la procédure et même pour la première fois en cause d'appel. Elle n'est susceptible d'aucun recours.
L’enfant, rappelons le n’est pas partie au procès, et est entendu pour avis, seul avec son conseil ou en présence de tiers le cas échéant (éducateurs, grands parents, parents…)
L'article 338-2 du code de procédure civil prévoit que
La demande d'audition est présentée sans forme au juge par le mineur lui-même ou par les parties. Elle peut l'être en tout état de la procédure et même pour la première fois en cause d'appel.Un des parents ou même l'enfant lui même peut faire cette demande.
2°- dans la convocation adressée à l'enfant et les modalités de l'audition
Il est avisé par convocation de son droit d'être assisté par un avocat ou une personne de son choix.
Les articles 338-6 et 338-7 du Nouveau code de procédure civile disposent:
Article 338-6 du NCPC Le greffe ou, le cas échéant, la personne désignée par le juge pour entendre le mineur adresse à celui-ci, par lettre simple, une convocation en vue de son audition. La convocation l'informe de son droit à être entendu seul, avec un avocat ou une personne de son choix. Le même jour, les défenseurs des parties et, à défaut, les parties elles-mêmes sont avisés des modalités de l'audition.
Article 338-7 du NCPC Si le mineur demande à être entendu avec un avocat et s'il ne choisit pas lui-même celui-ci, le juge requiert, par tout moyen, la désignation d'un avocat par le bâtonnier.L'enfant peut donc être entendu en présence d'un avocat ou par une personne de son choix.
Le juge est tenu d’avertir le mineur de ce droit. L’enfant bénéficie de l’aide juridictionnelle de plein droit.
En matière gracieuse ou contentieuse, devant toute juridiction ainsi qu’à l’occasion de la procédure d’audition du mineur prévue par l’art. 388-1 Code Civil un avocat pourra être commis ou désigné d’office dans les cas prévus par la loi (Art. 9.10 Loi 10 juillet 91).
B) Les suites directes de l’audition
Le principe du contradictoire impose que tout ce qui est dit par l’enfant au magistrat soit porté à la connaissance des autres personnes impliquées dans la procédure.
L’enfant est avisé de ce que rien ne restera secret, ce qui suppose que ses parents le cas échéant connaîtront sa position.
Libre à lui de parler ou non.
Lorsqu'il entend l'enfant mineur, le juge a l'obligation de préciser dans le corps du jugement qu'il a tenu compte des sentiments exprimés par ce dernier.
Ainsi les juges doivent obligatoirement mentionner dans leur décision quels ont été les souhaits du mineur qui a demandé à être auditionné, et indiquer pourquoi ils ont tenu compte ou non de son avis.
Le défaut de cette mention indicative substantielle serait une cause de nullité de la décision.
Il ne peut pas y avoir de confidences de l’enfant au juge. Tout ce qui est dit par l’enfant au cours de son audition sera obligatoirement mentionné dans le jugement et donc porté à la connaissance des autres participants à la procédure et en premier lieu ses parents.
L’enfant ne peut former recours en son nom à l’encontre de la décision.
L’introduction de la notion d’intérêt de l’enfant sur la réglementation du droit de visite du tiers parent ou non (compétence du Juge aux Affaires Familiales).
En vertu de l'audition, le juge se forgera un avis, mais en aucun cas ne sera tenu de suivre l'avis ou la position de l'enfant.
Seul l'intérêt de l'enfant prévaudra.
Je me permets de renvoyer le lecteur à deux articles sur ce thème publiés récemment.
L'intérêt de l'enfant: un domaine protégé par les Juges
http://www.legavox.fr/blog/maitre-haddad-sabine/interet-enfant-domaine-protege-juges-2024.htm
L'intérêt de l'enfant: Une ligne de conduite dans les décisions des juges.
http://www.legavox.fr/blog/maitre-haddad-sabine/interet-enfant-ligne-conduite-dans-2049.htm
III- Les situations où la Loi envisage l'audition de l'enfant
Il s’agit juste de rappeler ici que la loi envisage diverses procédures civiles supposant que le juge reccueille le consentement du mineur
A) Dans les procédures civiles
1°- Article 60 du code civil : en matière de changement de prénom
« Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de prénom. La demande est portée devant le juge aux affaires familiales à la requête de l'intéressé ou, s'il s'agit d'un incapable, à la requête de son représentant légal. L'adjonction ou la suppression de prénoms peut pareillement être décidée.
Si l'enfant est âgé de plus de treize ans, son consentement personnel est requis. »
2°- Article 61-3 du code civil : en matière de changement de nom
Tout changement de nom de l'enfant de plus de treize ans nécessite son consentement personnel lorsque ce changement ne résulte pas de l'établissement ou d'une modification d'un lien de filiation.
L'établissement ou la modification du lien de filiation n'emporte cependant le changement du nom de famille des enfants majeurs que sous réserve de leur consentement.
3°- Article 360 du code civil : en matière d’adoption simple
L'adoption simple est permise quel que soit l'âge de l'adopté.
S'il est justifié de motifs graves, l'adoption simple d'un enfant ayant fait l'objet d'une adoption plénière est permise.
Si l'adopté est âgé de plus de treize ans, il doit consentir personnellement à l'adoption.
4°- Article 477 du code civil: en matière d'émancipation
"Le mineur, même non marié pourra être émancipé lorsqu'il aura atteint l'êge de 16 ans révolus.
Après audition du mineur,cette émancipation sera prononcée, s'il y en a de justes motifs pour le juge des tutelles,à la demande des pères et mère ou de l'un d'eux.."
La barre des 13 ans pourtant subjective devient légale ici…
B) Dans les procédures pénales
1°- Devant le Juge des enfants
L’objectif de l’audition est de recueillir les explications de l’enfant sur les faits qui lui sont reprochés et de lui permettre de se défendre, mais aussi de s’informer de sa situation personnelle afin de prendre les mesures éducatives nécessaires.
Le juge des enfants doit entendre l’enfant et le tenir informé de l’évolution de la procédure
L’assistance d’un avocat est obligatoire, même si l’enfant ne le demande pas et dans ce cas, le juge fait désigner un avocat d’office par le bâtonnier.
2°- Lors d’une enquête de Police
L’audition des enfants victimes obéit, quant à elle, à des règles particulières issues de la loi du 17 juin 1998 en raison de leur vulnérabilité.
Lors de l’enquête ,ils sont entendus , le juge n’a pas d’obligation de les entendre directement. Les services de police ou de gendarmerie et les magistrats se doivent d’informer les victimes de leurs droits mais cette information en cas de mineur concerné ne peut n’être donnée qu’à leur représentant légal : article 80-3 du Code de Procédure Pénale.
3°- En matiere d’agressions sexuelles
La loi du 19 juin 1998 prévoit dorénavant, en cas de faits d’agression sexuelle ou de corruption de mineur, l’enregistrement par caméra vidéo du témoignage de l’enfant.
( ex: pour viol, exhibition sexuelle, corruption de mineur,diffusion, fixation, enregistrement ou transmission d'une image d'un mineur à caractère pornographique, fabrication, transport,diffusion, commerce de message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ;atteinte sexuelle sans violence, contrainte,menace ou surprise sur mineur de 15 ans.,atteinte sexuelle sans violence, contrainte, menace ou surprise sur mineur de plus de 15 ans, non émancipé par le mariage, prostitution ou proxénétisme à l'égard du mineur ….)
En outre la Loi 2007-291 du 5 mars 2007, précitée a accru les garanties de l'enfant mineur, victime d'abus sexuels de toutes sortes.
Le mineur victime devra obligatoirement être assisté d'un avocat, lorsqu'il sera entendu par le juge d'instruction.
A défaut d'en avoir un choisi par sa famille ou son administrateur ad hoc, un avocat commis d'office sera désigné par le bâtonnier de l'ordre.
ex Un examen médico psychologique sera aussi obligatoire pour son agresseur.
4°- Dans le cadre d’une déposition sous serment.
Ainsi en matière de prestations sous serment: l’article 335 7° du Code de Procédure Pénale prévoit que ne peuvent être reçues sous la foi du serment les dépositions - 7º Des enfants au-dessous de l'âge de seize ans.
CONCLUSION
Si l'enfant a son mot à dire, seul ou accompagné d'une personne de son choix, la notion subjective et floue de discernement reste une soupape importante pour le juge civil qui peut ou non décider de convoquer l’enfant, suivre son avis ou non,mais avec obligation de motiver ses choix.
La loi vient pallier à certaines incertitudes en définissant dans le cadre de certaines procédures,l’âge de l’enfant.
Ainsi si la parole de l'enfant a son importance initiale rappelons qu'au final, seul le juge aura le dernier mot.
Demeurant à votre entière disposition pour toutes précisions.
Sabine HADDAD
Avocate au Barreau de Paris