Après avoir examiné CAUTION PROFANE ET FAUTE DU BANQUIER DANS L'OBLIGATION DE MISE EN GARDE. Interrogeons nous sur la caution qui excède manifestement ses facultés financières.
Le législateur a intégré au code de la consommation l'article L. 341-4, issu de la loi n° 89-1010 du 31 décembre 1989 qui reprend le dispositif de l'article L. 313-10 du code de la consommation propres aux crédits à la consommation et aux crédits immobiliers.
I- La jurisprudence et la protection de la caution disproportionnée avant la loi du 1er août 2003 « Dutreil »: la réparation du préjudice
Nous verrons que cette réparation se faisait par l'octroi de dommages et intérêts,et/ou par diminution ou décharge de l'engagement.
Avant la Loi, le régime de la responsabilité de la banque a été posé en 1997 (A).
Ainsi, une banque fautive était condamnée à payer des dommages et intérêts, équivalent la plupart du temps au montant de la dette principale garantie.
Si la caution est avertie, il lui faut prouver que le créancier avait, connaissance des « charges, ressources et facultés de remboursement raisonnablement prévisibles » du débiteur, qu'elle-même ignorait Com 11 mars 2003, pourvoi N° 00 16-938
Si la caution est profane, elle doit démontrer la disproportion manifeste entre ses engagements,ses ressources et son patrimoine.
La disproportion entre le montant du cautionnement, d'une part, et les biens et revenus de la caution, d'autre part, engage la responsabilité du créancier en raison d'un manquement à son devoir de bonne foi.
1re Civ, 9 juillet 2003, pourvoi n° 01-14.082 (cassation) :
Le montant du préjudice lié au cautionnement disproportionné n'était pas nécessairement égal au montant du cautionnement, en particulier si, la caution disposait, dans son patrimoine, de biens susceptibles d'éteindre une partie de la dette.
La caution peut engager la responsabilité de la banque pour réduire son obligation au paiement de la dette principale.
La disproportion de l'engagement par rapport aux revenus personnels restait un moyen utile pour faire réduire ses obligations vis-à-vis de la banque.
A) Le régime du cautionnement disproportionné: Com 17 juin 1997, pourvoi N° 95-14105 " Macron ".
Cet arrêt a posé le principe de la responsabilité, en raison d'un manquement à son devoir de bonne foi, du créancier qui recueille un cautionnement disproportionné par rapport aux facultés contributives de la caution
En l'éspèce une caution avait été souscrite par un dirigeant d’une société qui disposait d’un revenu de 6.000,00 euros par mois et d’un patrimoine inférieur à 600.000,00 euros au profit d'une banque.
La Cour de cassation a considéré que la banque a manqué à son obligation de contracter de bonne foi et commet une faute dont elle doit réparation, puisqu'elle a laissé souscrire un acte de cautionnement disproportionné par rapport à ces revenus.
Ainsi dans l’arrêt « Macron » la banque a été condamnée à payer au dirigeant-caution, la somme de 3.000.000,00 euros, somme qui finalement n'a jamais été payée puisque le juge a aussitôt ordonné la compensation entre la somme due par la caution et le montant des dommages et intérêts.
En conclusion; la caution qui prouvait la disproportion de son engagement percevait des dommages et intérêts; mais au bout du compte, la solution, n’avait que peu d’utilité pratique puisque les cautions cherchent surtout à se décharger de leur engagement contracté avec le créancier.
B) Com, 8 octobre 2002 : pourvoi N° 99-18619, "Nahoum »
est venue limiter la possibilité pour les dirigeants cautions, en exigeant qu'ils prouvent que le créancier disposait d'informations qu'eux-mêmes ignoraient .
La reconnaissance de la disproportion du cautionnement n'emporte pas nécessairement décharge de l'engagement de la caution, mais seulement diminution de cet engagement, étant entendu que les juges opèrent une compensation entre les sommes dues par la caution au titre de son engagement et celles dues par le créancier en raison de la mise en oeuvre de sa responsabilité.
Ainsi pour la jurisprudence, lorsque la disproportion est reconnue, les cautions sont déchargées de leur engagement ou bien se voient allouer des dommages-intérêts d'un montant équivalent à celui-ci. Mais encore faut il rechercher la disproportion invoquée.
Com, 17 décembre 2003,pourvoi N° 00-19993 sanctionne une cour d’appel aux visas de l’article 1147 du Code civil qui a condamné l’épouse d'un co-gérant au paiement de la créance, sans d’abord rechercher si le cautionnement consenti par cette dernière était ou non disproportionné par rapport à ses revenus et son patrimoine.
1re Civ, 6 avril 2004, pourvoi n° 01-10.926, statuant sur des cautions antérieures à la loi Dutreil -voir II) a rappelé que la faute de la banque, née de l'acceptation des cautionnements, "ne pouvait être sanctionnée que par l'allocation de dommages-intérêts aux cautions, ou par la décharge de celles-ci, en réparation du préjudice qu'elles avaient subi, lequel était à la mesure de la disproportion ainsi constatée" Voir aussi 1ère Civ, 29 juin 2004, pourvoi N°02-13424
II La sanction radicale dans la Loi N°2003-721 du 1 er août 2003 : la déchéance de se prévaloir du contrat en cas de caution disproportionnée
La loi n° 2003-721 sur l'initiative économique, Dutreil, du 1er août 2003. (JO 5 août 2003) fixe le cadre légal et a été insérée dans le code de la consommation.
-L'article L. 341-4 du code de la consommation dispose:
« un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ».
-L'article L313-10 du code de la consommation modifié par ordonnance n°2009-866 du 15 juillet 2009 - art. 16 rappelle :
"Un établissement de crédit, un établissement de paiement ou un organisme mentionné au 5 de l'article L 511-6 du code monétaire et financier ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement d'une opération de crédit relevant des chapitres Ier ou II du présent titre, conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation"
En vertu de la loi, la sanction est l'impossibilité pour le créancier professionnel de se prévaloir de cet engagement.
Le domaine de protection de la caution est généralisé ,puisqu'il concerne toutes les cautions personnes physiques, consommateurs ou non, qu'elles soient profanes ou averties, dirigeant ou non.
L’article L. 341-4 du Code de la consommation s’applique uniquement aux personnes physiques.
Cependant, il est possible d’utiliser les mécanismes propres au droit des sociétés pour faire tomber un engagement de caution disproportionné.(voir II-C)
La loi n° 2003-721 du 1er août 2003 avait prévu une application du texte aux caution sen cours d’exécution lors de sa publication, (engagements conclus antérieurement à la publication) , mais la Cour de Cassation, Chambre Mixte, 22 septembre 2006, pourvoi N° 05-13517 a envisagé son application pour des cautionnements souscrits après son entrée en vigueur.
A) La Preuve à la charge de la caution disproportionnée soumise à l'appréciation des juges du fond
Pour les tribunaux, il appartient à la caution de prouver que son engagement est manifestement disproportionné par rapport à ses biens et ses revenus, lesquels ne lui permettaient pas d’assurer sa garantie en cas de mise en cause par le créancier.
La caution devra prouver:
1°-d'une part, qu'au moment de la conclusion du contrat, l'engagement était manifestement disproportionné à ses biens et revenus ( ex par un justificatif fiscal N° 2042 de ses revenus de l'année de souscription du contrat.)
2°- d'autre part, que son patrimoine ne lui permettait pas de faire face à son obligation au moment où elle est appelée.
B) La sanction radicale à l'encontre du créancier professionnel qui a fait souscrire un engagement disproportionné : la déchéance du droit de se prévaloir du contrat
La sanction de la violation de l'art 341-4 du code de la consommation va au delà de la responsabilité du banquier, mise en oeuvre dans la jurisprudence "Macron" précitée, puisque la caution sera déchargée automatiquement de son engagement bancaire.
L’acte n’est pas nul, il est simplement dépourvu d’efficacité . Cependant le créancier retrouvera son droit d’agir si, avant l’expiration du contrat, la caution revient à meilleure fortune.
La disproportion du cautionnement sera ainsi étudiée au moment où la caution s'est engagée puis, en cas de disproportion avérée, son existence au moment où la caution est appelée.Il appartiendra à la banque de démontrer que les revenus de la caution, au jour où elle l'a appelée en garantie, étaient proportionnés au montant de la dette principale, ou bien que la caution est revenue à meilleure fortune.
Si tel est le cas, alors la caution devra payer et ce même si au moment de son engagement, celui-ci était disproportionné.
Il faudra se placer au moment où le professionnel du crédit met en oeuvre la caution.
C) La Jurisprudence récente aux visas de l'article L 341-4 du code de la consommation et la mise en oeuvre de la sanction.
1°- Com, 30 mars 2010, pourvoi N°: 09-65923
Vu l'article L. 341-4 du code de la consommation ;
Attendu que pour condamner solidairement M. Y... à payer à la banque la somme de 889 957,55 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 19 août 2004, date de l'assignation, à concurrence, pour chacun, du montant maximum de son engagement, soit 750 000 euros, avec anatocisme, l'arrêt retient que ne peut être qualifié de manifestement disproportionné le cautionnement de 750 000 euros souscrit par MM. Y... et X... qui ont conjointement effectué, concomitamment à leur engagement en qualité de cautions, un apport en compte courant d'un montant total de 1 800 000 euros pour assurer l'activité de la débitrice principale dont ils détenaient partie du capital et que la banque n'avait pas à vérifier l'origine des fonds apportés au bénéfice des deux associés dont elle sollicitait la garantie ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir, dès lors que M. Y... soutenait qu'il n'avait pas concouru à l'apport personnel, que l'engagement de ce dernier n'était pas disproportionné à ses biens et revenus, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; PAR CES MOTIFS :CASSE ET ANNULE,
2°-Com,13 avril 2010, pourvoi N°: 09-66309
Vu l'article L. 341-4 du code de la consommation ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'en mai 2005, M. X... s'est rendu caution des engagements de la société L'Hexagone (la société), exploitant une brasserie, dont il était le gérant, envers la banque Scalbert Dupont (la banque) ; qu'en raison de la défaillance de la société, la banque a assigné M. X... en exécution de son engagement ;
Attendu que pour condamner M. X... à payer à la banque la somme de 16 023 euros, avec intérêts, l'arrêt retient que, débutant dans l'exploitation de la brasserie, M. X... a requis des concours financiers modestes évalués à juste titre en fonction des gains espérés et que dans le cas d'un prêt professionnel, l'emprunteur et sa caution gérant ne peuvent pas faire plaider la disproportion au regard des ressources antérieures à peine de s'exposer au reproche d'avoir mal évalué les risques de leur entreprise ou contracté de mauvaise foi ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si l'engagement de caution, envers un créancier professionnel, de M. X..., personne physique, n'était pas, au jour de sa signature, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;PAR CES MOTIFS :CASSE ET ANNULE
3°- Com, 22 juin 2010, pourvoi N° 09-67.81 (en l’éspèce un gérant, caution personnelle d’un emprunt bancaire conclu par sa société, a pu se dégager d’un engagement manifestement disproportionné à ses biens et revenus dans le cadre de l'ouverture d'une liquidation d'entreprise.)
Attendu, en second lieu, que selon l’article L. 341-4 du code de la consommation, la sanction du caractère manifestement disproportionné de l’engagement de la caution est l’impossibilité pour le créancier professionnel de se prévaloir de cet engagement ; qu’il en résulte que cette sanction, qui n’a pas pour objet la réparation d’un préjudice, ne s’apprécie pas à la mesure de la disproportion ; qu’ayant retenu que l’engagement de la caution était manifestement disproportionné à ses biens et revenus, la cour d’appel a, à bon droit, rejeté la demande de la caisse ; D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
4°-Com, 19 octobre 2010, pourvoi N°09-69203
pour une personne physique, caution même avertie, dans le cadre d'un engagement auprès d’un créancier professionnel,manifestement disproportionné à ses biens et revenus.
« le créancier professionnel ne peut invoquer le cautionnement »: qui est sans effet, à moins, « que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ».
5°-Com,14 décembre 2010, pourvoi N° 09-69807
Lorsque la personne qui se porte caution donne de fausses informations au banquier sur son patrimoine et ses revenus, elle ne peut pas invoquer un cautionnement disproportionné.
EN CONCLUSION :
L'inefficacité du cautionnement consistera à « déchoir » la créancier du droit de poursuivre la caution, c'est à dire à l'impossibilité de se faire payer.
La sanction est donc plus sévère que la sanction du régime jurisprudentiel, qui est la mise en jeu de la responsabilité du créancier.
En effet, dans le cadre du régime jurisprudentiel, la caution est encore tenue, au titre du contrat de cautionnement, pour la part du cautionnement non disproportionnée par rapport aux engagements qu'elle a consentis.
C) Le cautionnement de la personne morale.
Aucune sanction n’est prévue expressément en cas d’engagement de caution disproportionné aux résultats de la société-caution.
En effet, l’article L 341-4 du Code de la consommation s’applique uniquement aux personnes physiques.
Je n'aborderai pas ce point C) en détail dans cet article, mais me cantonnerai à rappeler qu'une violation contractuelle ( article 1134 du code civil ), une annulation d'une délibération du conseil d'administration ou enfin une atteinte au droit des sociétés pourront être argués.( ex articles L. 235-1 alinéa 2, L 235-12 du Code de commerce).
Demeurant à votre disposition pour toute précision.
Maître HADDAD Sabine
Avocate au barreau de Paris
Pour aller plus loin: CAUTION PROFANE ET FAUTE DU BANQUIER DANS L'OBLIGATION DE MISE EN GARDE.