Le droit de propriété peut être démembré c'est-à-dire divisé en nu-propriété ( droit de disposer de la chose) et usufruit ( droit de jouir d'un bien dont un autre a la propriété, à charge d'en assurer sa conservation.)
Concrètement, cela signifie qu’une personne pourra habiter le bien, mais aussi pourra en percevoir les fruits, revenus, intérêts.
Le démembrement de ce droit peut être cédé ou donné.
C’est ainsi que souvent un donateur donnera son bien avec une réserve d’usufruit.
I- Pourquoi donner avec réserve d’usufruit ?
A) Un avantage pour le donateur
1°- porté dans un acte notarié
Lorsque la donation même démembrée porte sur un bien immobilier, elle doit être authentique .
Le notaire la publiera au bureau des hypothèques, déduction des frais de notaire viennent diminuer le capital transmis.
2°- … qui lui permet tout en se dépouillant de son vivant de:
--organiser sa succession de son vivant
--conserver la jouissance du bien donné durant toute sa vie en faisant insérer dans l’acte de donation une clause en ce sens
--percevoir les fruits ( ex loyers)
Ainsi, elle permet de transmettre un bien tout en gardant l'usage et les intérêts de ce bien jusqu'au décès.
Une personne pourra continuer à habiter son domicile après l'avoir donnée ou mettre celle-ci en location pour percevoir un loyer.
--réduire les droits de mutation qui seront alors calculés sur la part de la nue-propriété.
L'assiette taxable est ainsi réduite.
° La valeur de la nue-propriété, sera fixée forfaitairement à une fraction de la valeur de la propriété du bien en fonction de l'âge de l'usufruitier.
En effet, plus l’usufruitier est âgé et moins l’usufruit aura de valeur économique.
Jusqu'à 20 ans ; l’usufruit vaudra 90 % de la valeur de la pleine propriété
De 21 à 30 ans 80 %
De 31 à 40 ans 70 %
De 41 à 50 ans 60 %
De 51 à 60 ans 50 %
De 61 à 70 ans 40 %
De 71 à 80 ans 30 %
De 81 à 90 ans 20 %
A partir de 91 ans 10 %
° en cas d'usufruit temporaire
L’usufruit peut être limité à une durée de quelques années .
Cependant en cas de décès de l’’usufruitier avant l’arrivée du terme, cet usufruit s’éteindra, ce qui fait que le nu-propriétaire deviendra alors le propriétaire du bien ( usus, fructus, abusus réuni)
On ne tient pas compte de l'âge de l'usufruitier.
Ce dernier est estimé à 23 % de la valeur de la pleine propriété pour chaque période de dix ans et sans fraction , laquelle ne peut être supérieure à celle qu'aurait l'usufruit viager. (cf 60% de l’usufruit viager)
A noter que p une personne morale ou une entreprise privée la durée de l’usufruit ne peut dépasser 30 ans.
Exemple pour une donation en usufruit faite à son enfant sur 10 ans d’une valeur fiscale de 100.000 euros, la valeur de l’usufruit sera de 100.000 x 23% = 23.000 euros. ( Pas de droits de donation à payer du fait de l’abattement )
B) La réunion de la propriété au décès de l’usufruitier
Au décès du donateur, (usufruitier) l’usufruit s’éteint si bien que le donataire sera investi de la pleine propriété de l’immeuble si l'usufruit est viager.
S’il est temporaire : il prendra alors fin à un terme convenu.
II- Sort de la valeur de la donation avec réserve d'usufruit à rapporter au décès du donateur :
A) Une donation en avancement sur part successorale ?
Il s ‘agira de savoir si la donation a été hors part successorale ou non.
Dans le premier cas, elle est un moyen d'avantager un héritier par rapport à un autre, si bien que la donation s'ajoute à la part de l’héritier sans pouvoir excéder le montant de la quotité disponible. Cette donation ne sera pas rapportable à la succession, mais pourra être réduite si elle est excessive.
Dans le second cas, elle est faite en avancement de part successorale C’est une avance de part sur la succession.
Sa valeur est rapportable fictivement à la succession. Il s’agira de voir si la réserve a été atteinte.
B) La valeur à prendre en compte lors du partage successoral : 1ère Civ, 28 septembre 2011, n° 10-203.54
1°- la valeur de la pleine propriété
En principe la valeur que devrait rapporter à la succession le donataire,bénéficiaire du démembrement devrait être celle de la nue-propriété, portant sur le don obtenu.
Cependant 1ère Civ, 28 septembre 2011,pourvoi N° 10-203.54 en a jugé autrement.
Lors du partage successoral, la valeur à prendre en compte pour une donation en nue-propriété, avec réserve d'usufruit au profit du donateur, est celle de la pleine propriété du bien objet de ladite donation.
En l’espèce, un donateur était décédé en laissant pour lui succéder deux enfants, un fils et une fille ayant pris soin de doner la nu propriété de sa maison avec réserve d'usufruit à son fils.
L'évaluation de l'usufruit du père avait été portée à 3/10èmes de la valeur du bien en propriété.
C'est dans ce contexte que la fille a assigné son frère en liquidation successorale.
Pour la cour d'Appel de Douai, par arrêt du 29 mars 2010, le fils doit rapporter à la succession la valeur de la nue-propriété de l’immeuble reçue de son père au jour de l’acte notarié.
Cassation car dans le "cas de donation en nue-propriété avec réserve d’usufruit au profit du donateur, la valeur à prendre en compte est celle de la pleine propriété du bien ".
2°- Le rapport se fera à la valeur du bien donné, mais à l’époque du partage et d’après son état à l’époque de la donation mais sur TOUTE LA VALEUR DE PROPRIETE.
Rappel des textes en matière.
article 843, alinéa 1er, du code civil dispose que :
« Tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l'actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu'ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale.
article 860 du Code civil qui dispose que :
« Le rapport est dû de la valeur du bien donné à l’époque du partage, d’après son état à l’époque de la donation »
article 922 du code civil
La réduction se détermine en formant une masse de tous les biens existant au décès du donateur ou testateur.
Les biens dont il a été disposé par donation entre vifs sont fictivement réunis à cette masse, d'après leur état à l'époque de la donation et leur valeur à l'ouverture de la succession, après qu'en ont été déduites les dettes ou les charges les grevant. Si les biens ont été aliénés, il est tenu compte de leur valeur à l'époque de l'aliénation. S'il y a eu subrogation, il est tenu compte de la valeur des nouveaux biens au jour de l'ouverture de la succession, d'après leur état à l'époque de l'acquisition. Toutefois, si la dépréciation des nouveaux biens était, en raison de leur nature, inéluctable au jour de leur acquisition, il n'est pas tenu compte de la subrogation.
On calcule sur tous ces biens, eu égard à la qualité des héritiers qu'il laisse, quelle est la quotité dont le défunt a pu disposer.
Demeurant à votre disposition
Maître HADDAD Sabine