Après l'avis de la chambre criminelle du 5 juin 2012, La première chambre civile a rendu un arrêt le 5 juillet 2012, visant l'éventuelle garde à vue des étrangers en infraction à la législation sur les étrangers.
Le placement en garde à vue n'est possible "qu'à l'occasion des enquêtes sur les délits punis d'emprisonnement", conformément aux dispositions des articles 63 et 67 du Code de procédure pénale. Ainsi, la garde à vue d'un étranger en situation irrégulière est illégale
C'est ce que nous avait déjà rappelé la chambre criminelle de la cour de cassation dans un avis du 5 juin 2012 en matière d'infraction à la legislation su les étrangers.
La première Chambre Civile dans cette même lignée a rendu un arrêt le 5 juillet 2012
I -Analyse de 1ère Civ, 5 juillet 2012 pourvoi N°11-19.250
A) Rappel textuels et jurisprudentiel avant l'arrêt
Que dit l'article 8 de cette directive dit "Éloignement" ?
1. Les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour exécuter la décision de retour si aucun délai n’a été accordé pour un départ volontaire conformément à l’article 7, paragraphe 4, ou si l’obligation de retour n’a pas été respectée dans le délai accordé pour le départ volontaire conformément à l’article 7.
2. Si un État membre a accordé un délai de départ volontaire conformément à l’article 7, la décision de retour ne peut être exécutée qu’après expiration de ce délai, à moins que, au cours de celui-ci, un risque visé à l’article 7, paragraphe 4, apparaisse.
3. Les États membres peuvent adopter une décision ou un acte distinct de nature administrative ou judiciaire ordonnant l’éloignement.
4. Lorsque les États membres utilisent — en dernier ressort — des mesures coercitives pour procéder à l’éloignement d’un ressortissant d’un pays tiers qui s’oppose à son éloignement, ces mesures sont proportionnées et ne comportent pas d’usage de la force allant au-delà du raisonnable. Ces mesures sont mises en oeuvre comme il est prévu par la législation nationale, conformément aux droits fondamentaux et dans le respect de la dignité et de l’intégrité physique du ressortissant concerné d’un pays tiers.
5. Lorsque les États membres procèdent aux éloignements par voie aérienne, ils tiennent compte des orientations communes sur les mesures de sécurité à prendre pour les opérations communes d’éloignement par voie aérienne, annexées à la décision 2004/573/CE.
6. Les États membres prévoient un système efficace de contrôle du retour forcé.
Cette directive envisage ainsi pour tous ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, qu’une décision de retour ouvre une période de retour volontaire, puis ensuite de mesure d’éloignement forcé.
Ainsi en l’absence de départ volontaire, cette directive impose aux Etats membres de procéder à l’éloignement forcé en employant des mesures les moins coercitives possibles.
Si l’éloignement est compromis, un placement en rétention administrative restera possible.
Pour la CJUE un ressortissant d' Etat tiers mis en cause,uniquement pour avoir commis unl délit de pénétration ou de séjour irrégulier en France visé par l'article L621-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers,n'encourt pas l'emprisonnement lorsqu'il n'a pas été soumis préalablement aux mesures coercitives visées à l'article 8 de ladite directive.
C'est dans ce contexte que la chambre criminelle de la Cour de cassation en a déduit dans un avis du 5 juin 2012 (n°9002), qu'un tel ressortissant tiers ne peut être placé en garde à vue à l'occasion d'une procédure diligentée de ce seul chef d'accusation.
Selon elle, avant l'entrée en vigueur de la réforme de 2011 liée à la garde à vue, le ressortissant d'un Etat tiers ne pouvait pas plus être placé en garde à vue à l'occasion d'une procédure diligentée pour entrée ou séjour irréguliers.
En conséquence, le placement en garde à vue n'est possible:
"qu'à l'occasion des enquêtes sur les délits punis d'emprisonnement", conformément aux dispositions de l'article 63 et de l'article 67 du Code de procédure pénale.
"L'étranger qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 211-1 et L. 311-1 ou qui s'est maintenu en France au-delà de la durée autorisée par son visa sera puni d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 3 750 Euros.
La juridiction pourra, en outre, interdire à l'étranger condamné, pendant une durée qui ne peut excéder trois ans, de pénétrer ou de séjourner en France. L'interdiction du territoire emporte de plein droit reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant à l'expiration de la peine d'emprisonnement."
Cette mesure doit constituer l'unique moyen de parvenir à l'un au moins des objectifs suivants :
1° Permettre l'exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ;
2° Garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à l'enquête ;
3° Empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ;
4° Empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ou leurs proches ;
5° Empêcher que la personne ne se concerte avec d'autres personnes susceptibles d'être ses coauteurs ou complices ;
6° Garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit."
Article 63 du CPP modifié par LOI n°2011-392 du 14 avril 2011 - art. 3
I.-Seul un officier de police judiciaire peut, d'office ou sur instruction du procureur de la République, placer une personne en garde à vue.
Dès le début de la mesure, l'officier de police judiciaire informe le procureur de la République, par tout moyen, du placement de la personne en garde à vue. Il lui donne connaissance des motifs justifiant, en application de l'article 62-2, ce placement et l'avise de la qualification des faits qu'il a notifiée à la personne en application du 2° de l'article 63-1. Le procureur de la République peut modifier cette qualification ; dans ce cas, la nouvelle qualification est notifiée à la personne dans les conditions prévues au même article 63-1.
II.-La durée de la garde à vue ne peut excéder vingt-quatre heures.
Toutefois, la garde à vue peut être prolongée pour un nouveau délai de vingt-quatre heures au plus, sur autorisation écrite et motivée du procureur de la République, si l'infraction que la personne est soupçonnée d'avoir commise ou tenté de commettre est un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à un an et si la prolongation de la mesure est l'unique moyen de parvenir à l'un au moins des objectifs mentionnés aux 1° à 6° de l'article 62-2.
L'autorisation ne peut être accordée qu'après présentation de la personne au procureur de la République. Cette présentation peut être réalisée par l'utilisation d'un moyen de télécommunication audiovisuelle. Elle peut cependant, à titre exceptionnel, être accordée par une décision écrite et motivée, sans présentation préalable.
III.-L'heure du début de la mesure est fixée, le cas échéant, à l'heure à laquelle la personne a été appréhendée.
Si une personne a déjà été placée en garde à vue pour les mêmes faits, la durée des précédentes périodes de garde à vue s'impute sur la durée de la mesure.
article 67 du CPP Modifié par LOI n°2009-526 du 12 mai 2009 - art. 133
Les dispositions des articles 54 à 66, à l'exception de celles de l'article 64-1, sont applicables, au cas de délit flagrant, dans tous les cas où la loi prévoit une peine d'emprisonnement.
B) Cet arrêt intervient après l'avis N° 9002 du 5 juin 2012 de la Chambre criminelle
Cet avis est rappelé in extenso
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, composée conformément à l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-deux mai deux mille douze, a rendu l’avis suivant :
Vu la demande d’avis formulée le 3 avril 2012 par la première chambre civile à l’occasion de l’examen des pourvois B1119250, Q1121792, R1119378, C1119251, N1130530, D1130384, Q11130371 et ainsi libellée : "A la lumière des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne du 28 avril 2011(El Dridi) et du 6 décembre 2011 (Achugbabian) ainsi que, d’une part, de l’article 63 du code de procédure pénale dans sa version antérieure à celle issue de la loi du 14 avril 2011, d’autre part, des articles 62-2 et 67 du code de procédure pénale dans leur rédaction actuellement en vigueur, un ressortissant d’un Etat tiers à l’Union européenne peut-il être placé en garde à vue, sur le fondement du seul article L. 621-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile( CESEDA) ?" ;
Vu la communication faite au procureur général ;
Vu la directive du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en situation irrégulière ;
Vu les arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne du 28 avril 2011(El Dridi) et du 6 décembre 2011 (Achugbabian) ;
Sur le rapport de M. Guérin, conseiller, les observations de Me Spinosi, et les conclusions de M. l’avocat général Mathon, Me Spinosi ayant eu la parole en dernier ;
A émis l’avis suivant :
“Il résulte de l’article 62-2 du code de procédure pénale issu de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 qu’une mesure de garde à vue ne peut être décidée par un officier de police judiciaire que s’il existe des raisons plausibles de soupçonner que la personne concernée a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’emprisonnement ; qu’en outre, la mesure doit obéir à l’un des objectifs nécessaires à la conduite de la procédure pénale engagée ; qu’à la suite de l’entrée en application de la directive du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants d’Etats tiers en séjour irrégulier, telle qu’interprétée par la Cour de justice de l’Union européenne, le ressortissant d’un Etat tiers mis en cause, pour le seul délit prévu par l’article L. 621-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers, n’encourt pas l’emprisonnement lorsqu’il n’a pas été soumis préalablement aux mesures coercitives visées à l’article 8 de ladite directive ; qu’il ne peut donc être placé en garde à vue à l’occasion d’une procédure diligentée de ce seul chef ;
Pour les mêmes raisons, il apparaît que le ressortissant d’un Etat tiers ne pouvait, dans l’état du droit antérieur à l’entrée en vigueur de la loi du 14 avril 2011, être placé en garde à vue à l’occasion d’une procédure diligentée pour entrée ou séjour irréguliers selon la procédure de flagrant délit, le placement en garde à vue n’étant possible, en application des articles 63 et 67 du code de procédure pénale alors en vigueur, qu’à l’occasion des enquêtes sur les délits punis d’emprisonnement. Le même principe devait prévaloir lorsque l’enquête était menée selon d’autres formes procédurales.”
ORDONNE la transmission du dossier et de l’avis à la première chambre
II-Présentation de 1ère Civ, 5 juillet 2012 pourvoi N°11-19.250
Cassation partielle sans renvoi
Demandeur(s) à la cassation : M. C... X... alias A... Y..., dit A... Y...
Défendeur(s) à la cassation : Le préfet de la Haute-Garonne ; le procureur général près la cour d’appel de Toulouse
Sur le moyen unique, après avis de la chambre criminelle :
Vu les articles 8 et 15 de la directive n° 2008/115/CE du Parlement et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ensemble les articles 63 et 67 du code de procédure pénale, applicables à la date des faits ;
Attendu qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (arrêts du 28 avril 2011, C-61/PPU, et du 6 décembre 2011, C-329/11) que la directive 2008/115/CE s’oppose à une réglementation nationale réprimant le séjour irrégulier d’une peine d’emprisonnement, en ce que cette réglementation est susceptible de conduire, pour ce seul motif, à l’emprisonnement d’un ressortissant d’un pays tiers, lorsque ce dernier, non disposé à quitter le territoire national volontairement, soit n’a pas été préalablement soumis à l’une des mesures coercitives prévues à l’article 8 de cette directive, soit, a déjà fait l’objet d’un placement en rétention, mais n’a pas vu expirer la durée maximale de cette mesure ; qu’en outre, en cas de flagrant délit, le placement en garde à vue n’est possible, en vertu des articles 63 et 67 du code de procédure pénale, qu’à l’occasion d’enquêtes sur les délits punis d’emprisonnement ; qu’il s’ensuit que le ressortissant d’un pays tiers, en séjour irrégulier en France, qui n’encourt pas l’emprisonnement prévu par l’article L. 621-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, lorsqu’il se trouve dans l’une ou l’autre situation exposée par la jurisprudence européenne précitée, ne peut être placé en garde à vue à l’occasion d’une procédure de flagrant délit diligentée de ce seul chef ;
Attendu, selon l’ordonnance attaquée, rendue par le premier président d’une cour d’appel, et les pièces de la procédure, que M. C... X..., de nationalité tunisienne, en situation irrégulière en France, à l’encontre duquel avait été pris et notifié, le 14 avril 2011, un arrêté de reconduite à la frontière, lui laissant un délai de sept jours pour quitter le territoire national, a, le 1er mai de la même année, été interpellé en état de flagrance, sous une autre identité, d’alias A... Y..., et placé en garde à vue, pour séjour irrégulier en France ; que, le lendemain, le préfet de Haute-Garonne a pris à son encontre une décision de placement en rétention administrative ; qu’un juge des libertés et de la détention a prolongé la mesure de rétention ;
Attendu que, pour confirmer cette décision, l’ordonnance attaquée retient que la directive n° 2008/115/CE n’exclut pas la compétence pénale des Etats membres dans le domaine de l’immigration clandestine ou du séjour irrégulier ;
Qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher, au vu des pièces de la procédure suivie devant lui, si l’intéressé avait été préalablement soumis à une mesure coercitive au sens de l’article 8 de la directive n° 2008/115/CE et, dans l’hypothèse où ce dernier aurait fait l’objet d’un placement en rétention, si la durée de celle-ci avait été maximale, le premier président a privé sa décision de base légale ;
Vu l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire ;
Et attendu que les délais légaux de rétention étant expirés, il ne reste plus rien à juger ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’elle a déclaré l’appel recevable, l’ordonnance rendue le 6 mai 2011, entre les parties, par le premier président de la cour d’appel de Toulouse ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi ;
Demeurant à votre entière disposition pour toutes précisions en cliquant sur http://www.conseil-juridique.net/sabine-haddad/avocat-1372.htm
Sabine HADDAD
Avocate au barreau de Paris