L'exécution provisoire découlant d'une décision de justice peut être remise en cause dans des cas exceptionnels devant le premier président de la cour d'appel. Quand et Comment ?
I- L'exécution provisoire et le Premier Président de la cour d’appel statuant en référé.
Le lecteur se réfèrera à l'article initial consacré à ce thème.
L'EXECUTION PROVISOIRE EXPLIQUEE
L’idéal sera d’interjeter appel de la décision au fond avec une saisine parallèle du Président de la cour d’appel statuant en référé.
-L’appel au fond est le second degré de juridiction.
Il produit effet dévolutif (on rejuge tout). Ici nous est mis en echec du principe de l’effet suspensif (pas d’exécution). La cour d’appel saisie statuera sous plusieurs mois.
-L’appel aux fins de suspension de l’exécution provisoire est une procédure de référé devant le Premier Président de la cour.
Il ne portera pas sur le fond, mais sur les conséquences irrémédiables d’une exécution provisoire valablement ordonnée.
A) Pourquoi l'exécution provisoire ne peut être remise en cause par principe ?
Imaginons, si tout appel entraînait naturellement suspension d’une exécution provisoire, le dilatoire jouerait à plein et des recours systématiques seraient déposés.
C’est justement ce que les juges veulent éviter dans certaines circonstances.
Il s’agira de veiller à la protection d’une partie contre la fraude éventuelle d’une autre, en cas de suspension naturelle de l’exécution provisoire d'une partie, profitant du délai d’appel pour ne pas exécuter ses obligations et de son effet suspensif.
C’est pour ces raisons que les recours à l’encontre de telles décisions aboutissent difficilement et sont rarement suivis d'effets positifs.
Le juge du fond, au fait d’un contrôle possible de l’exécution qu’il aura prononcée prend généralement soin de motiver les termes de son jugement, afin de ne pas risquer la censure du premier président.
B) En cas d’appel au fond, dès lors qu’un magistrat chargé de la mise en état est désigné, c’est devant lui qu’il faut agir en cas d'urgence.
C) En cas de jugement rendu par défaut, le recours se fera par la voie de l'opposition devant le Juge, qui aura rendu la première décision.
Cette voie de recours est aussi ouverte à celui qui n’a pas reçu la signification d’une convocation en justice et n’a donc pu se présenter à la première audience pour motif légitime. C’est une voie de recours des jugements par défaut.
On rejuge tout en première instance, devant le premier juge et la première décision est réputée ne jamais avoir existé.
La suspension de l’exécution provisoire sera sollicitée par voie de conclusions.
II Que demander au juge ?
A) Les demandes des parties
Il s’agira de :
- contester la décision de recourir à l'exécution provisoire ou son refus,
- demander l'exécution provisoire si elle n'a pas été demandée au moment du jugement ou si le juge n'a pas statué,
- contester le montant, la nature, les modalités de la garantie.
La motivation de la demande de suspension doit être justifiée par un péril particulier, suffisamment grave.
(exemple: le risque d''une concurrence déloyale qui pourra ruiner une partie si le trouble n’est pas suspendu, risque de l’organisation de l’insolvabilité du débiteur durant le délai d’appel). Le recours "défense à exécution provisoire" est stricte.
B) L’analyse de la situation.
Le premier président peut arrêter l'exécution provisoire de droit en cas de violation manifeste du principe du contradictoire ou de l'article 12 du NCPC lorsque l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives.
Les cas de suspension sont donc les suivants :
* une exécution provisoire interdite par la loi ;
* une exécution qui risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives avec des garanties.
Le magistrat n’examinera que les conséquences manifestement excessives, lesquelles sont rarement démontrées. Il ne se penchera pas sur le fond du dossier qui sera ultérieurement examiné par la cour d’appel.
Ce magistrat est souverain dans sa décision pour apprécier les situations
* une violation de l’article 12 du NCPC:
« Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. Toutefois, il ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d'un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l'ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat. Le litige né, les parties peuvent aussi, dans les mêmes matières et sous la même condition, conférer au juge mission de statuer comme amiable compositeur, sous réserve d'appel si elles n'y ont pas spécialement renoncé »
III- L'aléa et le risque de la procédure
A) Une procédure dont la recevabilité peut être conditionnée à une exécution de l'appelant malgré tout: la consignation
L'article 526 du NCPC "permet à une partie intimée ( défendeur devant la cour d'appel) de saisir le Premier Président de la Cour d’Appel, ou, dès qu’il est désigné, le Conseiller de la mise en état, d’une demande de radiation du rôle de l’affaire en appel, lorsque la partie appelante ne s’est pas exécutée spontanément de la décision contestée, lorsque celle-ci est revêtue de l’exécution provisoire, qu’elle soit de droit ou ordonnée par le juge."
Ainsi le magistrat peut, en cas d'appel, décider, à la demande de l'intimé et après avoir recueilli les observations des parties, de la radiation du rôle de l'affaire lorsque l'appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d'appel.
De la même façon si l'appelant n'a pas consigné.
Ces dispositions pourraient êtres mises en exergue par le juge, s'il lui apparaît que l'exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l'appelant est dans l'impossibilité d'exécuter la décision...
Par cette disposition, l’opportunité de faire appel de la décision pour des raisons purement dilatoires disparaît.
C'est la perte du droit d'appel qui est en jeu ici.
Les délais font aussi courir les intérêts légaux à prendre en compte...
Des garanties pourraient être imposées ( ex consignation...)
B) Une Jurisprudence stricte sur " les conséquences manifestement excessives".
-- L’erreur d’interprétation d’une règle de droit par le juge ne doit pas faire obstacle à l’exécution provisoire
Soc 18 décembre 2007, Arrêt n° 2734, N°06-44.548
« Vu les articles 12 et 524, dernier alinéa, du nouveau code de procédure civile ; Attendu que l'erreur commise par un juge dans l'application ou l'interprétation d'une règle de droit ne constitue pas une violation manifeste de l'article 12 du code précité, au sens de l'article 524 du même code ... »
2°- Le caractère manifestement excessif de l'exécution provisoire est une question de fait qui doit être vérifiée au regard des facultés de paiement du débiteur.
-Une question de fait:
2 ème Civ 3 octobre 2002, N° de pourvoi 00-22260 "
C'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que le premier président motivant sa décision a retenu qu'imposer le paiement immédiat (plusieurs millions d'anciens francs dans la décision) entraîneraient des conséquences manifestement excessives."
En l'éspèce deux débiteurs avaient été condamnés in solidum ( pour le tout) au profit d'une banque.
-... qui doit être vérifiée en tenant compte des seules facultés de paiement du débiteur.
2ème Civ 1 er octobre 2009, N°de Pourvoi 08-18225, a estimé que:
pour arrêter l’exécution provisoire des dispositions d’un jugement relatives à la réparation d’un préjudice collectif et associatif, le premier président doit se déterminer uniquement avec des considérations qui ne sont pas étrangères aux facultés de paiement du débiteur ou de remboursement du créancier.
La procédure en suspension d’une exécution provisoire n’est pas une procédure à diligenter à la légère. Risquée et onéreuse, elle pourra avoir des conséquences accrues lors de l’exécution finale et inéluctable de la décision (intérêts, frais de procédure y compris de l’huissier...)
-- Une exéxution toujours effectuée aux risques et périls de celui qui exécute en cas de réformation du jugement en appel
Cass. ass. plén. 24 février 2006 - Bull civ Ass Plén n°2
" L’exécution d’une décision de justice provisoire n’a lieu qu’aux risques de celui qui la poursuit, à charge pour lui, si le titre est ultérieurement modifié, d’ en réparer les conséquences dommageables ».
Ainsi la demande doit être prise après une décision mûrie , puisqu’une fois ordonnée par le juge, elle fera courir le risque de devoir réparer ultérieurement ses conséquences dommageables.
La réparation pourra être conséquente puisqu’il s’agira de restituer le débiteur dans ses droits, et de l’indemniser pour tous les dommages complémentaires, à savoir ceux qui ne seraient pas survenus si la décision n’avait pas été exécutée.
-- Une inexécution du débiteur au risque de supporter les intérêts majorés en cas de confirmation de la décision portant exécution provisoire par la cour.
Certes si le taux de l'intérêt légal a chuté de façon extraordinaire pour passer à 0,65% l'an. sa majoration de 2 points, se poursuivra deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fût-ce par provision".
Sur des sommes substantielles,cela peut vite faire cher.
En conclusion, rappelons que dans certains cas, l'exécution provisoire sera naturellement différée pour motifs humanitaires, (ex expulsions des locaux à usage d'habitation pendant la trêve hivernale du 1er novembre au 15 mars).
Parfois une simple demande de délais accordée devant le Juge de l’exécution sera plus propice à des procédures longues, risquées et aléatoires.
Mais retenez bien qu'une décision du JEX est en principe susceptible d'un appel non suspensif, sauf une fois encore à saisir le premier président de la cour d'Appel.
Je me permets de renvoyer le lecteur à l’article : Le JEX: Juge de la bonne voie d'exécution des décisions...
En cas de doute sur un titre exécutoire, sur un recours y afférent, je reste à votre disposition.
Sabine HADDAD
Avocat à la Cour