I- Les critères permettant de distinguer le cadeau d’usage de la donation
A) Le cadeau d’usage est motivé par un évènement familial précis et particulier
Noël, jour de l’an, anniversaire ,mariage, fiançailles, pacs, naissance , réussite à des examens...
L’administration admet en outre une certaine tolérance admettant comme présent d'usage des sommes versées par les parents sur le plan d'épargne-logement ouvert au nom de l’enfant mineur, ce qui permet d’épargner jusqu'à 61.200 € !
B) Le cadeau d’usage est toujours en rapport avec la fortune du donateur
La situation est appréciée souverainement par les tribunaux au cas d’espèce
Ils analyseront si le cadeau est excessif par rapport à la situation financière, au train de vie, aux ressources et aux habitudes du donateur
1°- Il n'y a pas de seuil de taxation entre cadeau d’usage et don manuel
Ainsi un cadeau d'une valeur importante peut être considéré comme présent d'usage et non comme une donation dès lors que le patrimoine du donateur est important.
A l’inverse le même cadeau fait par une personne aux revenus modestes n'est pas considéré comme un présent d'usage.
En moyenne les tribunaux l'apprécient autour de 2,5% du revenu annuel du donneur.
2°- A quel moment apprécier la valeur d'un présent ?
C’est à l'époque où a été fait le cadeau qu'on retient sa valeur, même si celle-ci est susceptible d'évoluer au cours des années.
C) Les conséquences liées à la différence de qualification entre présent d'usage et donation
1°- Il n'y a aucune formalité particulière à effectuer, le présent d'usage peut se faire en toute discrétion aussi bien vis-à-vis de l'administration fiscale que des autres futurs héritiers.
2°- Il est irrévocable
3°- Il n'y a pas de frais de notaire
De la même façon la technique du don manuel est toute aussi utilisée pour donner de la main à la main une somme d'argent ou un objet, virement, chèque sans établir d'acte notarié.
Il est également admis que le don manuel peut se matérialiser par un chèque ou le virement d'une somme d'argent sur un compte.
4°- Il n'y a pas de droits de donations
Si en principe, un donataire est taxé sur la somme reçue et doit payer des droits «de mutation à titre gratuit», sauf si le donateur les paie à sa place ou s'il bénéficie des exonérations et abattements,
Ce problème ne se posera pas pour :
-- le cadeau d’usage
-- le don manuel ?
S’agissant des droits de donation, ils ne sont pas dus en raison de la remise matérielle de la chose donnée, sauf :
Si le don a été reconnu dans un acte par le donataire ou ses représentants, ou par un tribunal ( exemple, lors d’une décision de divorce ),
Si le don est déclaré à l'occasion d'une nouvelle donation faite entre les mêmes personnes, ou à l'occasion de la succession du donateur à laquelle est appelé le donataire,
Si le don a été révélé au fisc par le donataire, spontanément ou suite à un contrôle ou une procédure contentieuse.
. En principe le don d'une somme d'argent est retenu pour son montant nominal.
Si les opérations sont requalifiées dons manuels, elles ne seront pas taxables jusqu'au montant de l'abattement fiscal de 31 865 €.
La valeur imposable est celle du bien donné au jour où l'administration fiscale prend connaissance du don ou du prix de cession si le bien a été cédé avant la révélation du don.
Afin d'inciter les donataires à une révélation des dons manuels il est admis que les dons spontanément révélés à l’administration, permettent aux donataires de s’acquitter des droits de mutation à titre gratuit, soit dans le mois qui suit leur révélation, soit, sur option formulée lors de la révélation du don, dans le mois qui suit le décès du donateur.
Depuis le 31 juillet 2011, le donataire peut déclarer le don manuel et en payer les droits dans le mois suivant la date du décès du donateur si 2 conditions sont remplies :
-qu'il déclare spontanément le don à l'administration fiscale,
-que le montant du don est supérieur à 15.000 € .
La déclaration faite par le donataire se fera sur formulaire cerfa N° 2735 en double exemplaire au centre des finances publiques de son domicile pôle de l'enregistrement.
J'intègre ici la remarque judicieuse faite par un ex inspecteur de fiscalité immobilière que le lecteur pourra lire plus bas.
"La question de "libéralité" non taxable se pose souvent pour des versements entre étrangers.
Le don manuel sera taxé suivant le même barème que les autres donations
Ainsi et à condition que le transfert ne fasse pas l'objet d'un acte ou d'une reconnaissance bilatérale, il n'y a aucune base légale pour un agent du fisc à prétendre à une taxation quelle que soit la somme .
Rien n'interdit en effet de donner une somme sans limite à quiconque en soutenant qu'il s'agit non d'un don ; mais d'une libéralité.
C'est au fisc de justifier par la reconnaissance réciproque le qualificatif de don.
Ainsi c'est aussi au fisc de démontrer qu'il y a en fait une "prestation de services" ( ex charmes monnayés) de quelque nature que ce soit de la part du( de la ) bénéficiare."
5°- le cadeau d'usage n’est pas « rapportable » à la succession, contrairement aux autres dons
Ainsi au moment du règlement de la succession, on ne les prendra pas en compte pour déterminer la part de succession revenant à chaque héritier.
Ils sont totalement hors succession !
Cela vaudra aussi pour la bague de fiançailles, assimilée à un présent d’usage. (sauf II-B)
6°- Quels risques en dehors d'un évènement particulier ? recel ou requalification en donation
Si un cadeau important est consenti en dehors de tout évènement particulier,il n'entre pas dans cette catégorie et pourra être requalifié en donation.
--sur le plan civil au regard du droit successoral, il faudra compter avec une procédure de recel successoral ou pour le moins réintégrer la valeur de cette donation dans l’actif de la succession
Comme la donation indirecte, ou le don manuel, la donation déguisée est normalement rapportable, ce qui signifie que le montant de la donation sera rajouté à l'actif de la succession lors du décès avec une répartition entre héritiers.
Les parts de chacun sont recalculées en conséquence.
Le don manuel peut être réduit s'il porte atteinte à la réserve des autres héritiers. Elle ne sera pas annulée, opérant son transfert de propriété
-- fiscalement l’imposition lors de la révélation du don s’imposera
Une fois prouvé (intention libérale, absence de contrepartie ,caractère gratuit), l'administration applique les droits de mutation à titre gratuit, assortis d'un intérêt de retard de 0,40% par mois.
Cet intérêt sera majoré en cas de mauvaise foi avec une pénalité sera de 40%, voire de 80% en cas de manœuvres frauduleuses.
Les droits à payer sont calculés sur la valeur du bien au moment de la révélation.
Cette valeur ayant tendance à augmenter avec les années, mieux vaut donc déclarer le don manuel le plus tôt possible.
II- La bague de fiançailles: cadeau d’usage ou don manuel: restitution ou non ?
La bague de fiançailles peut être considérée comme un cadeau d’usage au regard des critères exposés dans le I-
- 1ère Civ, 19 décembre 1979, pourvoi n° 78-13.346 :
« Justifie légalement sa décision rejetant la demande de restitution de la bague de fiançailles formée par la mari à la suite du divorce des époux la Cour d'appel qui, après avoir exclu le caractère de souvenir de famille du bijou litigieux, estime souverainement que la remise de la bague à la fiancée constituait en l'espèce, compte tenu des facultés respectives des époux et de leurs familles un présent d'usage, qui ne pouvait comme tel, donner lieu à restitution »
La jurisprudence se penchera sur la valeur des présents, les facultés respectives des époux et de leur famille, ou la notion de bijou de famille pour retenir l’exception en autorisant la restitution.
Dans trois situations, la fiancée devra la restituer !
A) Si la bague représente une valeur importante et disproportionnée par rapport à la fortune du donateur, elle doit être restituée
Dans ces conditions, les juges du fond apprécieront au cas par cas, au regard de la fortune du donateur, de son train de vie, si le présent sera à restituer.
Ex : une bague qui aurait coûté 6 mois de salaires au donateur.
Qui a dit qu'on ne pouvait pas reprendre un cadeau, facture à l'appui, ?
Qui nous a appris dès l'enfance que donner c'est donner, reprendre, c'est voler ?
Article 953 du code civil : « La donation entre vifs ne pourra être révoquée que pour cause d'inexécution des conditions sous lesquelles elle aura été faite, pour cause d'ingratitude, et pour cause de survenance d'enfants. »
Article 1088 du code civil « toute donation faite en faveur du mariage sera caduque si le mariage ne s'ensuit pas."
On pourrait dire que les donations sont ici faites sous condition résolutoire de non célébration du mariage.
La condition liée au mariage défallante, rendra caduque le don.
B) Si la rupture est fautive du fait de la fiancée, la bague doit être restituée
Si l’initiative de la rupture fautive vient de la jeune femme, elle devra rendre la bague qui lui a été offerte.
Si au contraire, la rupture vient du jeune homme, il ne pourra demander à la récupérer sauf s’il s’agit d’un bijou de famille ; auquel cas la fiancée devra consentir à cette restitution.
C) Si la bague est un bijou de famille, elle doit être restituée: la question de la preuve
La jurisprudence affirme, de manière constante, que les souvenirs de famille doivent être restitués quelles que soient les circonstances de la rupture 1ère Civ, 23 mars 1983, dalloz. 1984, p. 81).
Ils doivent être conservés dans la famille, d’autant plus s’ils sont une tradition qui se transmet de génération en génération.
Question:
A quel moment la fiancée sera considérée comme acceptée comme telle au sein de la famille ?
Lorsqu'on sait que lors d'un divorce, soit plusieurs années après, une bague de fiançailles peut être réclamée, l'interrogation demeure...
-1ère Civ, 30 octobre 2007, pourvoi n°05-14-258, confirme l'indisponibilité des bijoux de famille, lesquels ne peuvent être donnés à un tiers (concubin, épouse, partenaire pacsé, ou fiancé),mais seulement remis à charge de restitution. Ces derniers ne pourront venir soutenir qu'il s'agit d'un don manuel.
De ce point de vue, la bague sera considérée comme un prêt à charge de restitution au sens de l’article 1875 du code civil qui dispose :
« Le prêt à usage est un contrat par lequel l'une des parties livre une chose à l'autre pour s'en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s'en être servi. »
- Cour d'Appel de VERSAILLES, 10 mars 2005, pourvoi n° 04/1388
Dans la cadre d’une liquidation de régime matrimonial après divorce, »... La cour observe que monsieur X... sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a ordonné la restitution de biens propres mobiliers lui appartenant sous astreinte en possession de madame Y..., à savoir une bague de fiançailles, un fusil de chasse, une collection de pièces en argent, les objets se trouvant dans un coffre et des biens mobiliers se trouvant dans la propriété de Z, alors qu'il a été débouté de sa demande en ce qu'elle portait sur la bague de fiançailles et autres objets indéterminés ; qu'il conviendra qu'il s'explique sur ce point ... »
La preuve du bijou de famille se fera par tous moyens.
Ex: photographies de la bague portée dans une soirée de famille par un membre de famille, témoignages, facture détaillée d’achat au nom d’un membre de la famille, ou de réparation d’un bijoutier ...
Ainsi, quelque soit l’occasion, si les cadeaux d’anniversaire, de mariage ou de naissance peuvent être conservés à titre de don manuel, la caractéristique de bijou de famille, suffira à elle seule à légitimer une demande en restitution des années plus tard...Une sorte de prêt à usage, mais aussi à l'usure qui ne s'avèrera pas viager...!
Pour la bague de fiançailles, l’écueil est double puisque la parade à la restitution plongera les tribunaux dans une appréciation du niveau social du donateur, nécessairement dévoilée à la barre avec le prix du cadeau !
La bague de la désunion au coeur des débats ...
Chère la contribution aux charges des fiançailles !
Ici encore, ne nous a t-on pas enseigné qu'un cadeau n'a pas de prix, que son prix ne se communique jamais, que seul le geste compte ?
Il est clair qu’offrir une bague, rentrant dans le patrimoine des bijoux de sa famille, au surplus ayant une valeur onéreuse, constitueront deux bonnes raisons pour venir arguer de la restitution des années plus tard après une rupture plus ou moins fautive.
Cela permettra au fiancé, du coup de repartir avec tous ses "bijoux de famille" sous le bras !
Vous l’aurez compris, finalement pour être certain de ne jamais se voir réclamer la bague, une valeur de pacotille sera suffisante, laissant à penser qu'un petit carat vaudrait mieux qu'une grande cata!
Piètre valeur....
Le beau et le cher ont un prix particulier ici, un goût amer aussi !
Mais le prix le plus cher à payer n’est-il pas celui de la rupture et de la douleur du délaissé ?
Nous ne sommes pas très loin de toucher au cœur d'un contentieux de la bassesse et de la mesquinerie au moment des restitutions...
Une pensée, aussi pour celui ou celle qui rentrera dans une période de doute et de dépression...Cependant, ne faut-il pas se dire que la belle l'aura échappée belle ?
En y réfléchissant bien, mieux vaut que tout cela se déroule avant l'union, sans formalités contraignantes, parce-que la découverte de la valeur de l'autre a aussi un prix...
III- Illustration sur la distinction donation présent d’usage de 1ère Civ, 19 septembre 2018, pourvoi N° 17-24205
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Denise B... est décédée le [...] , laissant pour lui succéder ses deux filles, Mmes Y... et Z..., et en l'état d'un testament olographe du 10 août 2007, instituant cette dernière légataire universelle ; que Mme Y... a assigné M. et Mme Z... en ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession ;
Sur les deux premiers moyens, ci-après annexés :
Attendu que ces moyens ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Sur le troisième moyen, pris en sa première branche :
Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'intégration de la somme de 322 854 euros, correspondant à des donations de la défunte à ses petits et arrière petits-enfants, à la masse de calcul de la quotité disponible, alors, selon le moyen, qu'en application de l'article 922 du code civil, les présents d'usage, quels qu'en soient les bénéficiaires, doivent être intégrés à la masse de calcul de la quotité disponible ; qu'en rejetant la demande de Mme Y... au motif qu'il n'y avait pas lieu de tenir compte des présents d'usage pour le calcul de la masse successorale, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Mais attendu que l'arrêt énonce exactement que les présents d'usage ne doivent pas être réunis fictivement à la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible prévue à l'article 922 du code civil, en vue d'une éventuelle réduction ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le troisième moyen, pris en sa sixième branche :
Vu l'article 16 du code de procédure civile ;
Attendu que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ;
Attendu que, pour rejeter la demande de Mme Y... tendant à l'intégration de la somme de 322 854 euros, correspondant à des donations de la défunte à ses petits et arrière petits-enfants, à la masse de calcul de la quotité disponible, l'arrêt retient qu'il n'y a pas lieu de les intégrer dans le calcul visé à l'article 922 du code civil, dès lors que la pièce 28 produite par l'appelante au soutien de sa demande vise une somme globale par année, sans aucune ventilation par bénéficiaire, de sorte qu'il n'est pas possible de distinguer ce qui dépasse le présent d'usage qu'une grand-mère ou une arrière grand-mère peut faire à ses descendants ;
Qu'en statuant ainsi, sans inviter les parties à présenter leurs observations sur le moyen relevé d'office tenant à la nature de présents d'usage des donations, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du troisième moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de Mme Y... tendant à l'intégration de la somme de 322 854 euros, correspondant à des donations de la défunte à ses petits et arrière petits-enfants, à la masse de calcul de la quotité disponible, l'arrêt rendu le 7 juin 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne M. et Mme Z... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf septembre deux mille dix-huit.
Demeurant à votre entière disposition pour toutes précisions en cliquant sur consultations en ligne
Sabine HADDAD
Avocate au barreau de Paris