Cet article est indivisible avec un précédent article consacré "aux acteurs dans la procédure d'annulation pour insanité d'esprit."
http://www.legavox.fr/blog/maitre-haddad-sabine/acteurs-procedure-annulation-testament-pour-2077.htm
Après m'être penchée sur les acteurs de l'action en annulation d'un testament pour insanité d'esprit, dans cette présentation, et à l'appui d'une jurisprudence récente et abondante, je me pencherai sur les moyens de preuve de l’insanité d’esprit.
I- La preuve de l'insanité d'esprit dans toute sa difficulté en cas de testament authentique
1ère Civ, 6 janvier 2010, pourvoi n° 08-20646
Attendu qu’ayant relevé, d’une part, que les mentions du testament, écrit de la main du notaire, en présence de deux témoins, sous la dictée du testateur auquel il avait été lu et qui avait déclaré le bien comprendre et qu’il exprimait ses volontés, révélaient la cohérence de la pensée du testateur, d’autre part, que les constatations du notaire et des témoins n’étaient pas contrebattues par les certificats médicaux produits, la cour d’appel, qui n’a pas inversé la charge de la preuve et qui n’était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a souverainement estimé qu’il n’était pas établi l’insanité d’esprit d’Armand X... à la date du testament ; que le moyen ne peut être accueilli ;
II- La preuve de l'insanité d'esprit facilitée par un placement sous tutelle ou curatelle.
A) rappel des principes
article 470 du code civil, La personne en curatelle peut librement tester sous réserve des dispositions de l'article 901.Elle ne peut faire de donation qu'avec l'assistance du curateur.
Le curateur est réputé en opposition d'intérêts avec la personne protégée lorsqu'il est bénéficiaire de la donation.
article 476, alinéa 2, du code civil, La personne en tutelle peut, avec l'autorisation du juge ou du conseil de famille s'il a été constitué, être assistée ou au besoin représentée par le tuteur pour faire des donations.
Elle ne peut faire seule son testament après l'ouverture de la tutelle qu'avec l'autorisation du juge ou du conseil de famille s'il a été constitué, à peine de nullité de l'acte. Le tuteur ne peut ni l'assister ni la représenter à cette occasion.
Toutefois, elle peut seule révoquer le testament fait avant ou après l'ouverture de la tutelle.
Le testament fait antérieurement à l'ouverture de la tutelle reste valable à moins qu'il ne soit établi que, depuis cette ouverture, la cause qui avait déterminé le testateur à disposer a disparu.
B) L' insanité relevée au moment de la mise en place de la mesure de protection du majeur
1ère Civ 6 janvier 2010, pourvoi n° 08-14002.
Considère qu’une personne est insane d’esprit au moment de la signature de divers actes testament, donation, au motif que « selon les rapports médicaux de son médecin traitant et de l'expert psychiatre désigné dans le cadre de la procédure de protection d'incapable majeur, le testateur présentait une altération de ses capacités physiques et intellectuelles de type maladie d'Alzheimer, à compter de l'année 2000 », date de réalisation des transmissions litigieuses à titre gratuit.
Les actes qui ont précédé l’ouverture d’une tutelle d’un majeur peuvent être annulés si la cause qui a déterminé la tutelle existait notoirement à l’époque ou ils ont été commis.
1ère Civ 24 mai 2007, pourvoi n° 06-16957
Attendu que la nullité des actes faits par un majeur en tutelle antérieurement à l'ouverture de cette mesure de protection ne suppose pas la preuve de l'insanité d'esprit au moment où l'acte a été passé mais est seulement subordonnée à la condition que la cause ayant déterminé l'ouverture de la tutelle ait existé à l'époque où l'acte a été fait ;
III- La preuve de l'insanité d'esprit à l'appui d’une grave maladie ou d'un faisceau d'indice
L'étude de la Jurisprudence récente est explicite dans l'attente des Tribunaux, quand pourra t-on considérer que le discernement est annihilé ?
Les moyens seront appréciés souverainement par les tribunaux, principalement pour interpréter un testament olographe.
Des témoignages, pièces médicales, constatations de médecins relatives à la maladie mentale ex Alzheimer, ou autre ex SIDA…, une incohérence relevée dans des courriers, la forme du testament sont tant d'exemples. Ceux-ci serviront à établir des préseomptions , un faisceau d’indices soumis aux juges et destiné à orienter le Tribunal : écriture, fautes de grammaires, de syntaxes, ou d’orthographes fréquentes, pièces médicales, témoignages…
A) La récente Jurisprudence de la cour de cassation
2ème Civ,21 janvier 2010,pourvoi n° 07-13552 (second moyen subsidiaire)
…Il ne résulte pas des éléments versées aux débats que les facultés mentales d'Odette Y... (troubles cognitifs alzheimer argués,) aient été altérées au moment de la rédaction du testament, au point qu'elle ait perdu ses facultés de discernement ; que la preuve de l'insanité d'esprit n'est pas rapportée ;
1 ère Civ, 1 juillet 2009, pourvoi n°08-13402
Si, pour l’annulation d’un acte du vivant du souscripteur, la preuve de l’insanité d’esprit peut être rapportée par tous moyens, il n’en est pas de même lorsque l’individu est décédé.
Dans ce cas, si l’acte n’est ni une donation, ni un testament et dans l’hypothèse où la personne n’a pas fait l’objet de son vivant d’une mesure de protection, il faut rapporter la preuve du trouble mental à partir du seul contenu de l’acte.
un acte portant modification des bénéficiaires d’un contrat d’assurance vie ne peut faire l’objet d’une nullité, après le décès de son auteur : - dés lors qu’il ne constitue pas une donation indirecte , - et que la preuve du trouble mental n’est pas rapportée par son seul contenu .
1ère Civ, 8 avril 2009,pourvoi n°08-12073
…c'est à ceux qui agissent en nullité pour insanité d'esprit de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte ; que le moyen, en ses deux dernières branches, ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine de la cour d'appel, qui, par motifs propres et adoptés, a relevé qu'aucune des pièces produites par M. Pierre X... ne procédait à une description de l'état de Louise B... au moment de la signature du testament, lesdites pièces se bornant à rapporter des constatations soit antérieures de six mois soit postérieures de huit mois à l'acte, et a estimé que ce dernier ne rapportait pas la preuve dont il avait la charge, alors qu'un certificat médical procédant à une description de l'état de Louise B... en septembre 1998 attestait qu'un médecin lui avait fait pratiquer un test tout à fait satisfaisant compte tenu de son âge, et que le notaire, ayant reçu l'acte, indiquait, dans celui-ci, que Louise B... lui avait paru saine d'esprit ; qu'elle a ainsi, sans inverser la charge de la preuve et sans qu'elle ait à procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, légalement fondé sa décision ;
B) La récente Jurisprudence de la cour d'Appel
Quelques illustrations sont données au lecteur à titre indicatif, parmi pléthore d'arrêts.
Cour d’Appel de Bordeaux 8 septembre 2009, 1re Chambre civ, sect. B, R.G. n° 08/00385
La preuve de l'insanité d'esprit de la de cujus au moment de la rédaction de l'acte n'est pas rapportée. En effet cette preuve ne peut résulter du seul fait que la défunte a faussement imputé à sa fille des détournements de fonds. Le certificat médical produit, fait état de troubles de mémoire semblant s'aggraver rapidement mais qui n'entravaient pas de façon importante la vie quotidienne et d'un état dépressif. Par ailleurs, la mise sous tutelle de la testatrice n'est intervenue qu'après un accident cérébral survenu postérieurement à la rédaction du testament.
Cour d’appel de Bordeaux 18 juin 2008,pourvoi n° 06/02107
la plénitude des facultés intellectuelles de la testatrice, malade de corps, est attestée dans une énonciation du testament, par les témoins instrumentaires et par le notaire qui précise que le testament lui a été dicté par la testatrice à laquelle il a l'a relu et qui a déclaré bien le comprendre et y persister,
- que le dossier médical de la testatrice, hospitalisée depuis le 22 JANVIER 2002 mentionne, à la date du 28 JANVIER 2002, jour du testament fait entre 16 heures et 16 heures 45, suivant l'énonciation de l'acte : " Matin : " matinée calme "- Après-midi : " A. M. calme "- Nuit : " Discours confus-Dort peu " ;
Attendu que la cohérence de la pensée exprimée dans le testament, les constatations du notaire et des témoins et les mentions du dossier médical permettent à la Cour de retenir la validité du testament, contre laquelle l'appelant auquel incombe cette charge n'apporte pas la preuve de l'insanité d'esprit de la testatrice au moment de l'acte ;
Cour d’appel de Paris 17 avril 2008, jurisdata n°361400
«l’insanité d’esprit comprend, au sens de l’article 901 du Code civil, toutes les variétés d’affections mentales par l’effet desquelles l’intelligence du disposant a été obnubilée ou sa faculté de discernement déréglées. Le rapport d’expertise, confirmé par les témoignages des proches, font état d’un état de santé très dégradé de l’auteur du testament à la date de sa rédaction. L’auteur du testament souffrait d’un cancer, doublé d’un état dépressif important. La perception et les fonctions cognitives et affectivo-émotionnelles étaient largement perturbées à la date de la rédaction du testament. Par l’effet de cette profonde de dépression, des violentes douleurs qu’il subissait, de sa perte d’autonomie, de cet affaiblissement général majeur au plan physique et psychique dans un contexte de refus de soins, l’auteur du testament n’était plus sain d’esprit à la date de la rédaction du testament ».
Cour d'appel d'Agen 25 mars 2008,1ere chambre, RG°06/01648
La charge de la preuve de l'insanité d'esprit du testateur incombe à celui qui agit en annulation du testament;
...en l'état les documents versés aux débats ne sont pas suffisants pour confirmer l'état d'insanité d'esprit de Rosalie X... au moment de la confection du testament et par l'effet de laquelle son intelligence aurait été obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée ; Les praticiens qui l'ont examinée à différentes époques n'ont pas évoqué chez cette femme l'existence d'une affection mentale ayant aboli son discernement.
Demeurant à votre entière disposition pour toutes précisions.
Maître HADDAD Sabine
Avocate au Barreau de Paris