Le code de commerce en son article L 145-5 définit le bail dérogatoire comme suit :
« Les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à deux ans.
Si, à l'expiration de cette durée, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre. Il en est de même, à l'expiration de cette durée, en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion, entre les mêmes parties, d'un nouveau bail pour le même local »
I- Un Renouvellement des haux dérogatoires au delà de deux ans ?
A) par baux précaires : au-delà de 2 années : Trop n’en faut ?
1°- Le bail dérogatoire , d’une durée maximale de deux années ne donne droit à aucune indemnité d'éviction si le bailleur décide de signifier un congé au locataire, bien que non obligatoire ici.
Il conviendra de bien analyser la volonté réelle des parties de déroger au statut ainsi que la nature de l’activité exercée dans les locaux loués, la qualité du locataire le cas échéant pour savoir déjà si le principe du statut des baux commerciaux est concevable : ex est-il inscrit au RCS ?
Le propriétaire aura intérêt clairement de se manifester pour signer un état des lieux de sortie, s’il n’entend pas le renouveler, manifester cette intention non équivoque, et ne pas laisser son locataire au-delà de 2 ans sans se manifester.
2°- En principe, il ne doit pas être renouvelé, au risque de faire tomber le bail dérogatoire dans les dispositions du décret du 30/09/ 1953, contenu dans le code de commerce aux articles L 145-1 et suivants avec bénéfice pour le locataire d'acquérir la propriété commerciale (révision triennale du loyer à la valeur locative, renouvellement de bail ou à défaut indemnité d’éviction…).
La Cour de Cassation a pu rappeler qu'à défaut de respecter des conditions, le juge peut re-qualifier ce contrat en faisant application du statut des baux commerciaux.
3°- La durée ?
3 ème Civ, 2 février 2005, N° de pourvoi 03-19541a précisé que:
La simple mention d'une durée inférieure à deux ans dans le contrat ne suffit pas à caractériser la volonté des parties de déroger au statut des baux commerciaux, lorsque les autres clauses, charges et conditions sont conformes au statut des baux commerciaux. Il doit résulter de l'économie du contrat une volonté claire et non équivoque des parties de se soustraire au statut.
Antérieurement à la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, l'article L. 145-5, alinéa 3, du Code de commerce empêchait en théorie, de renouveler un bail dérogatoire ou de conclure un nouveau bail dérogatoire.
L'article L.145-5 dans sa rédaction issue de la loi du 4 août 2008 énonce
"les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à deux ans".
Il est donc possible suite à cette réforme de faire succéder plusieurs baux dérogatoires, pourvu que la durée totale de ces baux ne dépassent pas deux ans.
Cependant,dès le deuxième bail de 24 mois, le propriétaire ne pourra plus mettre dehors, son locataire...
Il aura concédé, sans le savoir ou sans le vouloir, ou en toute connaissance de cause un bail de 9 ans.
B) Renouvellement par tolérance de fait au-delà de 2 ans : un risque catastrophe pour le bailleur qui ne souhaite pas proroger.
Il faut avoir que tout dépassement de la durée contractuelle, ou tout nouveau contrat (y compris donc dans la période de deux ans) emporte de plein droit application du statut des baux commerciaux.
Le fait qu’un preneur tolère dans les lieux au-delà de 2 ans son locataire, ou de faire encaisser ses loyers lui permet aussi a fortiori de revendiquer du statut des baux commerciaux, sauf à démontrer sa volonté ferme et non équivoque de le faire partir avant cette prolongation.
Ainsi, vous lui délivrerez ensuite congé, et plaiderez à sa qualité de sans droit ni titre pour le faire expulser.
Le bailleur, aura intérêt à prendre les devants. En effet, s’il n’est pas obligé d’envoyer un congé par exploit ou acte d'huissier, l’envoi d’une lettre de rappel par RAR sera utile pour rappeler que le bail se termine et qu’il n’a pas l’intention de le renouveler.
3 ème Civ, 2 avril 2003 RJDA 2003 n° 7, n° 698, a même retenu de façon stricte que la seule signature d'un second bail dérogatoire, sans mention de la volonté du locataire de renoncer au bénéfice au statut, ne suffit pas à emporter exclusion du statut.
, à l'expiration des deux ans, si le locataire reste dans les lieux sans opposition du bailleur, il s'opère donc un nouveau bail soumis cette fois au statut des baux commerciaux (C. com. art. L 145-5, al. 2).Cette règle peut être invoquée tant par le locataire que par le bailleur (CA Riom 28 février 2007 n° 06-411).Il en est de même si le locataire et le bailleur conviennent de renouveler le bail ou d'en conclure un nouveau.
Cette situation a été récemment illustrée par un arrêt de la Cour de cassation
3 eme civ. 23 mars 2011 pourvoi N° 10-12.254, Sté Vout's c/ Nouy. BPIM 3/11 Inf. 246).
Un bailleur avait donné à bail à une société un local à usage commercial, pour une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction, sauf dénonciation par lettre recommandée avec avis de réception trois mois avant l'échéance.
Plusieurs années s'écoulèrent avant que la société locataire donne finalement congé, avec un préavis d’un mois.
Le bailleur avait alors assigné la locataire en nullité du congé. Il soutenait que, cette dernière étant restée dans les lieux au terme du contrat, il s'était opéré, en application de l'article L. 145-5 précité, un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux, de sorte qu'elle aurait dû donner congé conformément aux règles statutaires, à savoir par acte extrajudiciaire et six mois avant l'expiration d'une période triennale (C. com., art. L. 145-9).
La cour d'appel donne raison au bailleur et le locataire se pourvoit en cassation.
Mais la Cour de cassation a rejeté le pourvoi au motif que « qu'à l'expiration du bail dérogatoire initial la locataire était restée dans les lieux, qu'elle y exploitait son fonds de commerce et était inscrite au registre du commerce, et qu'en application de l'article L. 145-5 du code de commerce un nouveau bail, soumis au statut des baux commerciaux, s'était opéré » et qu’en conséquence le congé devait être donné selon les dispositions de l’article L. 145-9, s’appliquant aux baux commerciaux.
Cette solution est conforme aux textes. Si le preneur se maintient dans les lieux à l'expiration du bail dérogatoire, il devient titulaire, en vertu de l'article L. 145-5, d'un bail de neuf ans soumis au statut des baux commerciaux.
II L'exception au statut des baux commerciaux par la volonté expresse, claire et non équivoque des parties d'y déroger après deux ans
La volonté du juge est de veiller au strict respect des conditions tout en respectant la volonté des parties, lorsqu'elle est clairement exprimée de renoncer au bénéfice du statut.
La jurisprudence a donc admis qu'à l'issue d'un bail de deux ans, les parties peuvent renoncer, clairement et ensemble à la propriété commerciale et conclure un nouveau bail de courte durée.
Il faudra que la renonciation intervienne :
- en toute connaissance de cause, (information expresse, claire et non équivoque par une clause contenue dans le nouveau bail de la possibilité de bénéficier des dispositions nées et acquises au statut),
-postérieurement à l'expiration du bail qui fait naître le bénéfice du statut.
3ème Civ, 24 novembre 2004, N° de pourvoi 03-12605 Ste Brand Nord Picardie C/ Ste Base de Chaulnes fait application de ce principe aussi au bailleur.
Pour la Cour de Cassation, il faudra caractériser aussi " la renonciation non équivoque du bailleur à se prévaloir du statut des baux commerciaux "
Donc, une fois encore, ne pas oublier de manifester son intention.
A défaut, votre locataire pourrait arguer de 3 choses pour demander de bénéficier du statut des baux commerciaux:
1) du fait du second bail.
2) du fait du maintien dans les lieux, toléré au-delà de 2 ans,
3) de son refus d’écarter le décret.
Donc rien n'interdit, comme auparavant, de renouveler indéfiniment des baux dérogatoires en se fondant sur la théorie de la possibilité de renonciation à un texte d'ordre public de protection.
Il suffit d'inclure, pour ce faire, au nouveau bail, une clause indiquant que le preneur, qui dispose d'un droit acquis au renouvellement de son bail sous les dispositions des articles L.145-1 et suivants du Code de commerce, entend y renoncer expressément et donne son accord pour la conclusion d'un nouveau bail dérogatoire.
Le problème est que cette renonciation expresse aurait dû impérativement être incluse dans chacun des précédents baux, depuis le 03/03/2003.
Si cela n'a pas été fait, il existe un risque majeur de requalification du contrat en bail soumis au statut des baux commerciaux.
Concernant la façon de délivrer congé: même si le bail ne risquait pas une requalification, il est toujours possible - et préférable - de donner congé même si le contrat prévoit que le bail arrive à son terme sans qu'il soit besoin de délivrer congé.
Demeurant à votre disposition pour toutes précisions.
Sabine HADDAD
Avocate au barreau de Paris