Au moment d’un divorce, ou d’une séparation vient le temps des règlements de compte par nature, mais aussi en argent, source de conflit du ménage.
Que se passera t-il au regard des sommes déposées sur des comptes bancaires lorsque la rupture aura été mûrie ?
Si les dispositions à prendre varient selon que le compte sera individuel, joint ou collectif (indivis), mieux vaudra prévenir que guérir.
Pourtant quelques démarches, utiles et précautionneuses suffiraient à s’éviter des difficultés lorsque le compte sera joint, mais aussi en cas de procuration(s) donnée(s) sur ses propres comptes au profit de son conjoint ou ami…
Ici, les époux ne seront pas au stade d’une liquidation des biens, réglée par jugement de divorce, ou, à défaut postérieurement devant notaire, qui prendra en compte le type de régime matrimonial en amont.
I- Des démarches à effectuer auprès de son établissement bancaire, selon que le compte est joint ou qu’une procuration a été consentie.
A) Les précautions en cas d’ouverture d’un compte joint, libellé au nom de « Monsieur ou Madame »
Un tel compte, dit commun permet, de fonctionner simplement, pour régler les charges courantes du ménage. Il rend chacun des époux responsable et tenu du paiement des dettes du ménage ou des prélèvements effectués.
La convention bancaire d’ouverture de ce compte portera les modalités de son fonctionnement.
Sans confiance, un tel compte ne pourrait fonctionner, puisqu’il permet à chaque époux d’effectuer, seul diverses opérations sans l’accord de l’autre : des dépôts, des retraits d’espèces, des émissions de chèques, des règlements par carte…
La responsabilité, étant partagée, en cas de problèmes, ou de solde négatif, de tout incident de paiement engendrant une interdiction bancaire, ses cotitulaires en subiront les conséquences.
Souvent il n’est pas rare de constater que l’époux, au moment de quitter le domicile conjugal, vide les comptes. C’est pourquoi, mieux vaut prévenir que guérir.
Il sera essentiel que chacun ouvre un compte bancaire personnel pour y faire virer ses salaires, afin d’éviter que l’autre époux puisse utiliser l’argent n’importe comment.
1°- Une transformation du compte ou une clôture du compte par le biais d’une démarche commune des époux auprès de la banque
Cela suppose un accord entre les époux, soit pour :
-- transformer le compte-joint en compte individuel, disjoint, afin de conserver le numéro du compte, en échange de la signature d’une lettre d'instruction qui sera remise et d’une restitution de tous les chéquiers courants.
-- clôturer le compte-joint, moyennant la signature de chacun des deux époux sur un document.
Si les mensualités de remboursement d'un crédit sont prélevées sur le compte joint, il sera assez difficile de le clôturer. De même en cas de solde négatif….
Tous les comptes et tous les crédits faits à deux devront être soldés ou repris par l'un ou l'autre avec accord de l’établissement concerné.
La banque qui accepterait, pourrait refuser ou renégocier un taux d’intérêt supplémentaire, face à un seul débiteur au lieu de deux ….
2°- En cas de désaccord entre les conjoints : par demande de désolidarisation faite sous la forme d’une RAR.
Le compte fonctionnera alors comme un compte collectif ; sur lequel toute opération de débit exigera les deux signatures conjointes.
Cela évitera d’engager la responsabilité du conjoint qui ne signera pas. Le compte devient un compte au nom de Monsieur ET Madame.
Il conviendra aussi de restituer à l’agence tous les moyens de paiement (cartes, chéquiers, etc.)
Seule la signature conjointe des cotitulaires fera fonctionner le compte.
Mieux vaudra déposer ses gains et salaires sur un compte individuel pour les distinguer des revenus du couple, au moment des comptes…
Il sera important de prévenir les créanciers (ex autres établissements d’emprunts de tout changement afin de se préserver de toutes poursuites inutiles.
B ) La révocation des procurations données sur son compte personnel par lettre recommandée avec accusé de réception
Eludons, le problème du compte courant personnel, sans procuration qui ne nécessite aucune démarche particulière, puisque, fonctionnant sous la seule responsabilité et sous la seule signature du titulaire du compte.
Par contre toute procuration donnée à son partenaire, ( conjoint, concubin, partenaire pacsé) sur un compte individuel devra être révoquée, puisque le conjoint, pourrait vider le compte.
1ère Civ 8 juillet 2009, pourvoi N°: 08-17300 (rejet)
Un époux ne peut faire des retraits sur le compte bancaire personnel de son conjoint sans justifier d'une procuration.Une banque qui avait autorisé des prélèvements au profit d'une épouse sur le compte personnel du mari à hauteur de 19.000 euros a été condamnée à restituer ces sommes, quitte pour elle à se retourner contre l'épouse pour être à son tour indemnisée. Le remboursement des retraits et virements se fera ainsi avec intérêts au taux légal.
Donc, en disposant de la procuration, le conjoint est autorisé à signer des chèques, à effectuer des prélèvements, des virements mais aussi à se faire communiquer tous les renseignements concernant les opérations enregistrées sur le compte, ex obtenir des relevés bancaires d’opération.
La révocation du mandat peut être totale ou limitée et intervenir à tout moment par simple courrier destiné à son agence.
Le mandataire sera alors immédiatement averti par écrit de l'annulation de ses pouvoirs et de la nécessité de restituer à la banque tous les moyens de paiement en sa possession.
C) La révocation des cartes de crédit
Les cartes permettant de payer des achats dans divers magasins peuvent être utilisées en commun en cas de procuration , ce qui suppose une solidarité dans le remboursement des achats effectués par un conjoint pour son compte personnel, jusqu’au jugement de divorce.
Par prudence, il est donc, aussi préférable de résilier ces cartes, en adressant un courrier recommandé avec accusé de réception aux différents organismes.
Si le code d’une carte personnelle confiée a été communiquée, il ne faudra pas oublier de la récupérer…
II- L’obligation de contribuer à l’entretien et aux charges courantes du ménage jusqu’au jugement de divorce indépendamment de la clôture ou de la modification des comptes communs.
A) Une obligation issue du lien matrimonial
L’article 220 du code civil dispose : « Chacun des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l'entretien du ménage ou l'éducation des enfants : toute dette ainsi contractée par l'un oblige l'autre solidairement.
La solidarité n'a pas lieu, néanmoins, pour des dépenses manifestement excessives, eu égard au train de vie du ménage, à l'utilité ou à l'inutilité de l'opération, à la bonne ou mauvaise foi du tiers contractant.
Elle n'a pas lieu non plus, s'ils n'ont été conclus du consentement des deux époux, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante. »
B) Des limites à la solidarité
1°- des mesures de précautions prises par le juge dans le cadre du mariage indépendamment d’une procédure de divorce
Article 220-1 du code civil : « Si l'un des époux manque gravement à ses devoirs et met ainsi en péril les intérêts de la famille, le juge aux affaires familiales peut prescrire toutes les mesures urgentes que requièrent ces intérêts.
Il peut notamment interdire à cet époux de faire, sans le consentement de l'autre, des actes de disposition sur ses propres biens ou sur ceux de la communauté, meubles ou immeubles. Il peut aussi interdire le déplacement des meubles, sauf à spécifier ceux dont il attribue l'usage personnel à l'un ou à l'autre des conjoints….
2°- une obligation mise à charge d’un conjoint dans le cadre des mesures provisoires prises dans le divorce.
Il est donc important de continuer à participer aux charges du mariage ainsi qu’à l’entretien et à l’éducation des enfants. Payer sa part des charges du ménage et des dettes du couple ex crédits, taxes, impôts…
Ainsi, clôturer un compte joint ne dispense en aucun cas de continuer à verser les sommes correspondant aux besoins de la famille.
Dès lors, il est fortement conseillé d’écrire à son conjoint en précisant que la clôture du compte joint ne le privera pas des fonds nécessaires et d’y mentionner la somme qui continuera de lui être versée.
L’article 255-6° du code civil prévoit que le juge aux affaires familiales, dans le cadre des mesures provisoires prises dans l’ordonnance de non-conciliation pourra désigner l’époux qui assurera le règlement provisoire de tout ou partie des dettes, jusqu’au divorce. C’est dans un second temps, que les comptes de la liquidation prendront en compte la part réglée pour en attribuer, le cas échéant la moitié à l’autre.
III - La preuve de l’origine des fonds déposés sur le compte joint :
A) Le règlement des « comptes » après le divorce
1°- en matière de régime communautaire
Lorsque les époux sont mariés sous le régime de la communauté (régime légal), c’est-à-dire sans contrat de mariage, les sommes portées aux comptes joints sont réputées appartenir indifféremment à l’un et à l’autre des époux.
Mêmes clôturés, tous les comptes rentrerons dans le calcul de l'actif et/ou du passif lors de la liquidation.
Il serait toujours possible pour l’un des époux de tenter de démontrer une origine propre des fonds par tous moyens (emploi, remploi)
2°- dans les régimes séparatistes, les sommes portées sur le compte personnel d’un époux seront présumées lui appartenir, son conjoint ayant la possibilité d’apporter par tous moyens la preuve contraire.
3°Si aux termes du contrat de mariage, les fonds déposés sur un compte-joint sont présumés indivises, cette présomption simple peut être renversée par la preuve que les fonds déposés par un époux lui étaient personnels.(voire B)
B) L’article 1538 du code civil et la preuve contraire de l’origine indivise des fonds .
« Tant à l'égard de son conjoint que des tiers, un époux peut prouver par tous les moyens qu'il a la propriété exclusive d'un bien.
Les présomptions de propriété énoncées au contrat de mariage ont effet à l'égard des tiers aussi bien que dans les rapports entre époux, s'il n'en a été autrement convenu. La preuve contraire sera de droit, et elle se fera par tous les moyens propres à établir que les biens n'appartiennent pas à l'époux que la présomption désigne, ou même, s'ils lui appartiennent, qu'il les a acquis par une libéralité de l'autre époux.
Les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d'une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié. »
C) les comptes ouverts au nom des enfants : élément de l'actif commun à partager ?
1ère Civ 6 janvier 2010, pourvoi n° 08 20055
4 comptes épargne logement CEL, avaient été ouverts au nom de 4 enfants mineurs. Postérieurement au divorce, l'ex mari avait réclamé le partage de la communauté et reprochait à la cour d'appel d'avoir jugé que ces sommes ne devaient pas être intégrées dans l'actif commun.Pour la cour de cassation:
Dès lors que les parents avaient entendu transférer la propriété des fonds litigieux à leurs enfants , l'intention libérale et le caractère définitif et irrévocable de l'opération a été établi et les comptes des enfants ne font pas partie de l'actif de la communauté .
Pour qu'il en soit autrement, il aurait fallu que le mari démontre que les sommes avaient été placées PROVISOIREMENT sur le compte des enfants et a défaut , il a été considéré comme prouvé que les parents ont bien entendu transférer la propriété des fonds à leurs enfants.
La guerre des preuves pourra ainsi commencer...
Je reste à votre disposition pour toutes précisions que vous souhaiteriez
Sabine HADDAD
Avocat au barreau de Paris