L'article 215 alinéa 3 du code civil dispose:
"Les époux ne peuvent l'un sans l'autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni. Celui des deux qui n'a pas donné son consentement à l'acte peut en demander l'annulation : l'action en nullité lui est ouverte dans l'année à partir du jour où il a eu connaissance de l'acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d'un an après que le régime matrimonial s'est dissous"
Saisi d’une requête en divorce, le juge aux affaires familiales (JAF) doit convoquer les parties à une audience de tentative de conciliation pour statuer sur les mesures provisoires qui s’appliqueront durant la procédure de divorce avant de sceller leur sort.
I-Que fera le juge lors de la procédure de divorce ?
En particulier, il sera amené à statuer sur la JOUISSANCE DU LOGEMENT constitutif du domicile conjugal, qu’il soit loué, ou propriété de l’un ou des époux, peu importe.
C’est à ce moment précis que l’autorisation de résidence séparée est décidée, parfois avec un délai laissé à l'autre époux pour partir.
C’est aussi à cet instant précis que devient légitime le départ du conjoint qui ne s’est pas vu attribuer cette jouissance, sans que cela soit constitutif d’une faute.
En vertu de l’ordonnance de non-conciliation, se concevra une procédure d’expulsion du conjoint par le biais d’un huissier et de la force publique .
Depuis la mise en place de la loi N°2004-439 du 26 mai 2004 en vigueur au 1er janvier 2005 , le contentieux lié au caractère onéreux ou gratuit de la jouissance est éludé puisque le JAF se voit contraint de statuer dans son ordonnance sur cet aspect.
Avant cette réforme, lorsque les juges ne precisaient pas ce caractère, de grandes discordes pouvaient naître lors des partages liquidatifs des régimes matrimoniaux !
Plusieurs questions se posent : Quelles seront les conséquences liées à l’attribution du logement durant la procédure de divorce ? En cas de gratuité, faudra t-il déclarer cet avantage ?
Que se passera t-il à l’issue d’un divorce définitif, au regard du domicile ? Quelles seront les nouvelles obligations une fois arrivée la date impulsive de l’indivision post communautaire ?
II- La jouissance provisoire du logement dans le cadre du devoir de secours indépendamment du partage.
L’ordonnance de non-conciliation a vocation à s’appliquer durant la procédure de divorce, laquelle prendra plusieurs mois avant d’aboutir à un jugement définitif. Sa vocation est donc d’être provisoire.
C’est lors de cette phase procédurale, que le Juge des Affaires Familiales décide d'octroyer le domicile conjugal en fonction, d'abord de la volonté des époux, en l’homologuant leur accord (ex partage du domicile et répartition des pièces quand cela est possible...) et à défaut qu'il statue.
Le juge dispose d'un pouvoir souverain, en vertu de l’article 255 du code civil pour tenir compte des éléments objectifs dans l'attribution du logement (intérêt des enfants, ressources des parents)
A) L’attribution du bail locatif du logement commun
En matière locative, les époux sont co-titulaires du bail (art 1751 du code civil), c'est à dire locataires ensemble. Peu importe que le bail ait été signé par un seul d’entre eux, rien n’empêchera le juge, en fonction des intérêts en présence de l’attribuer provisoirement à l’autre. Il fixera un délai le cas échéant pour partir.
Le problème de la jouissance gratuite ou onéreuse, ne se posera pas dans la mesure, où la solidarité dans le paiement du loyer et des charges demeurer toujours vis-à-vis du propriétaire jusqu’à la transcription de la décision de divorce sur les actes de l’Etat civil.
Le problème de la jouissance en tant que telle du domicile conjugal, se posera dès lors que le bien sera propriété propre, commune ou indivise.
B) La jouissance du logement appréciée au cas par cas...
Ici, la question directe de la propriété du logement ne se pose pas pas, puisque le JAF n'a pas à statuer sur son transfert, mais sur son « utilisation provisoire » au même titre que sur celle affectant les meubles meublants le composant.
En général, le JAF aura tendance à concéder la jouissance,
- soit au parent qui se verra octroyer la résidence avec les enfants ;
- soit à celui qui occupe depuis un certain temps l’appartement après le départ de l’autre conjoint.
A noter que: " .... la jouissance du logement conjugal par un seul des époux conserve un caractère gratuit jusqu'à l'ordonnance de non-conciliation, sauf décision contraire du juge » article 262-1 dernier alinéa du code civil.
C) Les options ouvertes au JAF : modalités de la jouissance concédée
L'article 255 4° du code civil prévoit que "le JAF pourra attribuer à l'un des époux la jouissance du logement et du mobilier du ménage ou partager entre eux cette jouissance, en précisant son caractère gratuit ou non et, le cas échéant, en constatant l'accord des époux sur le montant d'une indemnité d'occupation" ( voire III)
Il s’agit de savoir si une jouissance du domicile conjugal peut être attribuée au titre du devoir de secours, ( article 212 du code civil) à l'examen des intérêts de la famille , des enfants et des situations . Le JAF pourra concéder une:
- Jouissance partagée, dans la mesure du possible, si l’appartement est grand et/ou si un accord semble possible entre les époux...
- Jouissance onéreuse, laquelle suppose le versement d’une indemnité d’occupation au jour de l’ordonnance de non conciliation jusqu’au partage. ( voire III-)
- Jouissance gratuite à titre de pension alimentaire ou de complément de pension alimentaire, sur demande de l’époux qui demeure dans le logement, au regard de ses bas revenus, ou des nécessités justifiées.
Le montant de la pension alimentaire versée pour l’entretien et l’éducation des enfants pourra être, de ce fait minoré pour tenir compte d'e l'occupation gratuite octroyée au parent qui conserve la résidence avec les enfants.
Cette mise à disposition gratuite ne peut être assimilée à un droit réel d'usage et d'habitation, mais consiste en l'attribution de la jouissance gratuite du logement, constitutive d'un droit personnel. (1ère Civ 24 sept.2008, N°06-21.198).
Une autorisation de céder le bien pourrait être sollicitée nonobstant la jouissance.
1 ère civ 30 septembre 2009, N° 08-13220 « L'attribution, à titre provisoire, de la jouissance du domicile conjugal à l'un des époux par le juge du divorce ne fait pas obstacle à une autorisation judiciaire de vente du logement familial à la demande de l'autre époux; acte pour lequel le concours ou le consentement de son conjoint serait nécessaire.... si son refus n'est pas justifié par l'intérêt de la famille (article 217 du code civil) "
Dans cette affaire, un couple était marié sous le régime séparatiste et le mari, dont le logement constituait un bien propre, avait assigné son épouse, bénéficiaire d'une jouissance gratuite à titre de complément de pension alimentaire. Il avait souhaité se faire autoriser à vendre le domicile conjugal sans son consentement.
III-Les conséquences fiscales liées à l’avantage en nature concédé
La réponse ministérielle de M.Alain Calmat (Rép. ministérielle n°42899 Calmat, Joan du 29 mai 2000 p.3267 ; Droit et patrimoine, septembre 2000 p.114) envisage cette situation.
« l’avantage en nature équivaut au versement d'une pension alimentaire déductible, pour celui qui consent cet abandon de jouissance.
Il peut alors déduire de son revenu imposable la moitié de la valeur locative (évaluée par référence au loyer qui pourrait en être retiré, hors charge). En contrepartie, cette somme est considérée comme un revenu imposable pour l'occupant »
En effet s’agissant d'un devoir de secours , le régime des pensions alimentaires s’applique.
Déclaration et imposition pour celui qui reçoit l’avantage. Déduction pour celui qui concède l’avantage.
A défaut de déclarer cette valeur locative, un redressement fiscal serait envisageable.
Donc mieux vaut que les conjoints se consultent pour déclarer/ déduire une somme commune au titre de la moitié de la valeur locative (évaluée par référence au loyer qui pourrait en être retiré, hors charge).
Dans le doute, il convient d'évaluer l'appartement ayant constitué le domicile conjugal, ou/et de se renseigner vous sur sa valeur locative.
Une jouissance gratuite pourrait au bout du compte s’avérer bien onéreuse, surtout lorsque l’autorisation d’occuper portera sur un grand appartement avec une base de loyer importante.
Demeurant à votre entière disposition pour toutes précisions en cliquant sur http://www.conseil-juridique.net/sabine-haddad/avocat-1372.htm
Sabine HADDAD
Avocate au barreau de Paris