L'article 1152-1 du code du travail dispose,
« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
Dans un arrêt de rejet interessant la première Chambre civile de la cour de Cassation a jugé au visa de l'article L 1154-1 du code du travail le 24 octobre 2012 pourvoi N°11-19.862 que la suspension de la ligne téléphonique et de la messagerie électronique d’un salarié pendant son arrêt de travail, sans justification d’un intérêt légitime de l’employeur, permet de présumer l’existence d’un harcèlement moral...
I- Analyse de 1ere Civ, 24 octobre 2012,pourvoi N°11-19.862
A) Les faits
Un directeur « marketing produits » avait sollicité devant les prud'hommes la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur pour faits de harcèlement moral caractérisés en vue de l’évincer de l’organisation de l’entreprise., lié à ce que sa direction avait suspendu son accès internet et sa messagerie électronique pendant son arrêt de travail.
En effet il apparaissait que l'employeur avait installé une réponse automatique d’absence demandant aux clients de rediriger leurs messages vers d’autres boîtes mail.. L'adresse email avait été désactivée ainsi que le numéro de téléphone de portable professionnel suspendu.
Les juges du fond et la cour de cassation ont approuvé sa position en déduisant d'un tel comportement qu'il fait présumer le harcelement moral.
On remarque que la répétition de l'acte n'est pas en cause ici...
B) Le visa : article 1154-1 du code du travail
"Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. »
La preuve du harcèlement est présumée au regard des circonstances de fait.
Nous sommes ici sur le terrain du droit du travail.
II- Présentation de 1 ere Civ,24 octobre 2012,pourvoi N°11-19.862
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Lyon, 21 avril 2011) que M. X... a été engagé par la société Comap le 5 février 1998 en qualité de directeur commercial du marché Europe, fonction à laquelle s’est ajoutée en 2003 celle de directeur “ marketing produits “ ; que le 6 septembre 2008, il a saisi la juridiction prud’homale de demandes de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur et au titre d’un harcèlement moral ;
Sur le premier moyen
Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt de le condamner au paiement de dommages et intérêts pour harcèlement moral, alors, selon le moyen :
1°/ qu’en cas de litige relatif à un harcèlement moral, il incombe au salarié « d’établir des faits » permettant d’en présumer l’existence ; que l’employeur doit alors prouver que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs de harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs qui y sont étrangers ; qu’il incombait ainsi à M. X..., qui invoquait un empiétement sur ses fonctions de “ marketing commercial “ dans la décision de lancer une ébauche de catalogue en septembre 2008, d’en apporter la preuve, d’autant qu’il a lui-même soutenu, comme la cour l’a constaté, que M. Y... avait annoncé un projet de catalogue propre aux “ gros diamètres et spéciaux “, relevant de sa compétence, pour « pousser ce business », ce qui suggérait l’existence de deux projets distincts ; que pour retenir que la société Comap se serait rendue coupable de harcèlement, par empiétement sur les fonctions de M. X..., la cour a retenu qu’elle n’apportait aucun élément permettant de vérifier que l’initiative d’une ébauche de catalogue en septembre 2008 était cantonnée aux seuls OEM et ne s’étendait pas aux “ gros diamètres et spéciaux “ relevant de la compétence de ce dernier ; qu’en dispensant ainsi M. X... d’apporter la preuve qui lui incombait premièrement du contenu de l’ébauche de catalogue qu’il mettait en cause, pour en imposer la charge à la société Comap, la cour a violé l’article L. 1154-1 du code du travail, ensemble l’article 1315 du code civil ;
2°/ qu’à supposer qu’il y ait eu « empiétement » de la part de la direction dans l’élaboration du catalogue litigieux, la détermination de la forme et du contenu de ce catalogue, destiné à promouvoir les produits de la société, relevait du seul pouvoir de direction de l’employeur ; qu’en jugeant dès lors que cet « empiétement » constituait un fait permettant de présumer l’existence d’un harcèlement, la cour a violé l’article L. 1154-1 du code de procédure civile ;
3°/ que le pouvoir de direction de l’employeur lui confère en particulier la maîtrise de l’organisation de l’entreprise ; qu’en l’espèce, M. X..., pour établir que la société Comap, dont il était salarié, l’aurait moralement harcelé, a invoqué le fait qu’elle lui avait coupé sa ligne téléphonique et son accès à internet pendant son arrêt de travail ; que l’employeur, qui avait la faculté d’établir par tous moyens que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, a soutenu que ces mesures étaient appelées par la nécessité, M. X... étant absent depuis trois mois et demi, d’assurer la continuité du service qu’il n’effectuait plus, ainsi qu’il lui avait été indiqué dans la lettre du 24 décembre 2008 citée par la cour ; que pour écarter l’argumentation de la société Comap, la cour a retenu qu’elle ne prouvait pas que l’usage par M. X... des moyens techniques suspendus aurait mis en péril les intérêts de l’entreprise ; qu’en imposant à la société Comap de ne pouvoir renverser la présomption de harcèlement que par cette preuve, quand il lui suffisait d’établir que les mesures prises, dans le cadre du pouvoir de direction de l’employeur, étaient justifiées par l’intérêt de l’entreprise, la cour, qui a ajouté à la loi des exigences qu’elle ne comporte pas, a violé l’article L. 1154-1 du code du travail, ensemble l’article 1315 du code civil et le principe fondamental de la liberté d’entreprendre ;
4°/ qu’en jugeant que ces mesures prises par l’employeur pouvaient permettre de présumer l’existence d’un harcèlement, quand, commandées par l’absence du salarié et les impératifs de la continuité de l’activité de l’entreprise, elles se rattachaient à l’exercice du pouvoir de direction de l’employeur, la cour a violé l’article L. 1154-1 du code du travail ;
5°/ que pour retenir que M. X... avait été victime d’un harcèlement moral, la cour a retenu qu’il avait été l’objet d’un courriel de reproches dont le ton était « violent » ; qu’en se déterminant ainsi, après avoir constaté que le contenu de ce courriel, unique, ne portait pas atteinte à la dignité du salarié et que les reproches adressés étaient conditionnels, en l’attente d’éclaircissements et de justifications que le salarié n’a jamais apportés, ce dont il résultait que la présomption légale ne pouvait trouver de fondement dans les faits allégués, la cour, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l’article L. 1154-1 du code du travail ;
6°/ que l’existence d’un harcèlement moral, au sens de la loi, ne peut résulter du seul échec de l’employeur à prouver qu’un grief adressé à un salarié était fondé ; qu’elle résulte de la preuve, par le salarié, d’un comportement habituellement nuisible de l’employeur à son égard, entraînant les effets définis par la loi, que l’employeur ne parvient pas à expliquer par des raisons objectives ; qu’en l’espèce, pour retenir enfin l’existence d’un harcèlement moral, la cour, qui a relevé que les dénigrements adressés par M. Z... à M. X... dans le courriel du 24 juillet 2008 étaient de soi intolérables, a retenu que ces griefs étaient insuffisamment justifiés, ne reposant que sur l’attestation de M. Y... ; qu’en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l’existence d’un harcèlement moral, la cour a violé l’article L. 1154-1 du code du travail ;
7°/ que ne suffit pas à constituer un harcèlement moral, au sens de la loi, un acte isolé par lequel l’employeur ne fait qu’exercer son pouvoir disciplinaire ou de direction, lors même que sa décision serait contestable ; qu’en jugeant dès lors que le courriel adressé par M. Z... à M. X... était un fait permettant de présumer un harcèlement moral, quand cet acte, unique, constituait une intervention de l’employeur dans l’exercice de son pouvoir disciplinaire, les griefs adressés fussent-ils insuffisamment établis, la cour a violé l’article L. 1154-1 du code du travail ;
Mais attendu qu’ayant relevé, en premier lieu, que l’employeur avait décidé de suspendre la ligne téléphonique et la messagerie électronique du salarié alors qu’il était en arrêt de travail, en second lieu, que la loyauté de celui-ci à l’égard de la direction avait été vivement mise en cause dans un courriel que lui avait adressé le directeur général de l’entreprise, la cour d’appel, qui a pu décider que ces faits pris dans leur ensemble permettaient de présumer l’existence d’un harcèlement moral et qui a relevé, d’une part, que la suspension des moyens de communication était intervenue en réaction à la volonté du salarié de défendre ses droits et n’était pas justifiée par l’intérêt de l’entreprise, d’autre part, que la mise en cause de sa loyauté n’était justifiée par aucun élément objectif, en a déduit à bon droit que le harcèlement moral était caractérisé ; qu’abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les deux premières branches, le moyen n’est pas fondé ;
Sur le second moyen
Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur ce moyen qui ne serait pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;
DÉCISION
Par ces motifs :
. Rejette le pourvoi ;
. Condamne la société Comap aux dépens ;
. Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société Comap à payer à M. X... la somme de 2500 €
Demeurant à votre entière disposition pour toutes précisions en cliquant sur http://www.conseil-juridique.net/sabine-haddad/avocat-1372.htm
Sabine HADDAD
Avocate au barreau de Paris