1 – Les conditions du harcèlement moral
Le harcèlement moral est une situation difficile à caractériser. Il faut démontrer la réunion de plusieurs conditions.
Pour caractériser un harcèlement moral, plusieurs éléments constitutifs sont nécessaires.
1.1 – Comme dans le secteur privé, il faut tout d’abord démontrer des agissements répétés de harcèlement.
Un fait isolé ne peut constituer un harcèlement moral.
C’est ce que rappelle la circulaire n° SE1 2014-1 du 4 mars 2014 relative à la lutte contre le harcèlement dans la fonction publique : « un acte pris isolément, même grave, ne peut être qualifié de harcèlement moral ».
Par exemple, il a été jugé qu’un simple changement d'affectation avec une diminution des attributions et des responsabilités d’un fonctionnaire n'est pas constitutif du harcèlement moral (TA DIJON, 6 mai 2003, Mme Vanhullebus c/ Ville de Dijon, req. no 021874).
Ne suffisent pas « un climat tendu dans l'établissement », « une stratégie d'évitement » le juge considérant que « pour regrettable qu'ait été une telle situation, il n'est pas établi qu'elle se soit accompagnée d'une volonté persévérante, de sa part, de dégrader les conditions de travail de Mme A ou de lui nuire personnellement ». De même, « un management cassant » et « un style sévère ou autoritaire », ne constituent pas un comportement constitutif d'un harcèlement moral, « dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait excédé les limites de la discussion vive au cours de laquelle deux fortes personnalités, sans la présence d'un tiers, défendent des points-de-vue opposés » (CAA VERSAILLES, 17 février 2011, La Poste, req. no 09VE02269).
Dans une autre affaire, et en raison de l'attitude jugée « récalcitrante » d’un agent, son supérieur hiérarchique « ne lui a plus adressé d'instructions que par voie écrite, parfois même par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, incitant ses collaborateurs à faire de même et multipliant, à cette occasion, les consignes inutilement tatillonnes, y compris pour les tâches les plus simples, dans lesquelles la requérante a été progressivement confinée ; que celle-ci a vu son comportement et ses capacités professionnelles systématiquement dénigrés, dans des termes souvent humiliants pour un agent de son ancienneté, et son honnêteté mise en doute à plusieurs reprises, sans que jamais une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle ou de sanction disciplinaire ait été engagée à son encontre selon les formes et avec les garanties prévues par son statut ». Des « mesures vexatoires telles que l'interdiction de pénétrer dans certaines pièces ou d'assister, sans que soit invoqué un motif précis tiré de l'intérêt du service, aux vœux du directeur de l'établissement », et alors qu’ « aucune mesure ait été prise pour mettre un terme à cette situation », constituent des agissements répétés qui ont excédé les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique (CE, 24 novembre 2006, Mme Baillet, req. no 256313).
Le maintien d'un agent public pendant une période de trois ans dans un emploi sans véritable contenu puis, pendant une année, en dépit de demandes répétées de nouvelle affectation de sa part, dans une situation dans laquelle plus aucune mission effective ne lui est confiée, suivi de propositions de postes ne correspondant ni à ses qualifications, ni à ses compétences, formulées dans le cadre d'un processus de transfert de services vers un EPCI ne concernant pas la direction dans laquelle cet agent est affecté caractérise, de la part de l'autorité municipale, des agissements constitutifs de harcèlement moral et une atteinte grave à la liberté fondamentale que constitue le droit, pour tout agent public, de ne pas y être soumis (CE, 2 octobre 2015, Cne de Mérignac, req. n°393766).
Constitue également un harcèlement moral le comportement d'un maire à l'égard d'un agent technique principal consistant, dans un premier temps, à le mettre à l'écart de son équipe, le priver de ses responsabilités d'encadrement et de l'utilisation des moyens affectés aux services techniques, puis à faire murer la fenêtre de son bureau, le priver des clés pour accéder aux véhicules de service ou au local à outils (CE , réf., 19 juin 2014, Cne du Castelet, req. no 39106).
1.2 – Ensuite, au-delà des agissements répétés, il faut justifier d’une dégradation des conditions de travail.
Est constitutif d’un harcèlement moral un chef de bureau qui a reçu une nouvelle affectation et subi, dans ce nouveau poste, un déclassement et une grave dégradation de ses conditions de travail (privation de son ordinateur et de l'usage du téléphone par exemple) (TA BESANCON, 11 décembre 2003, Braido c/ Centre de réadaptation de Quingey, req. no 02539).
1.3 – Enfin, la dégradation des conditions de travail doit être susceptible de porter atteinte aux droits du fonctionnaire et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
A supposer même que Mme T. ait été l'objet d'agissements constitutifs de harcèlement moral, l'administration n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en considérant que l'intéressée ne se trouvait pas de ce fait en situation de danger grave et imminent, malgré le «stress intense» qu'elle indiquait ressentir et en dépit des problèmes de santé qu'elle rencontrait mais dont la commission de réforme avait estimé qu'ils étaient sans lien avec son activité professionnelle (CE 16 décembre 2009, Min. de la défense, req. no 320840).
2 – La preuve du harcèlement moral
Le Conseil d’Etat a donné, dans une décision du 11 juillet 2011, un mode d’emploi du système probatoire du harcèlement moral. Ainsi, « il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement » (CE, 11 juillet 2011, req. n°321225).
Pour se défendre, l'administration doit produire, visant à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement.
Il est également précisé que « le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral ; qu'en revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui » (CE, 11 juillet 2011, req. n°321225).
Dans cette affaire, un harcèlement moral avait été reconnu par la Haute Juridiction administrative : l’agent public avait connu une dégradation importante de ses conditions de travail se caractérisant, de la part de son supérieur hiérarchique, par une attitude de dénigrement systématique et une réduction non négligeable de ses attributions antérieures. L'intéressée suivait un traitement médical et avait été placée en congé de longue maladie en raison de son état dépressif. Le juge administratif relève également qu’aucune mesure autre qu'une vaine tentative de médiation n'avait été prise par l’administration.
Le juge à qui il revient d'apprécier si les agissements sont ou non établis se détermine au vu de ces échanges contradictoires qu'il peut, en cas de doute, compléter en ordonnant toute mesure d'instruction utile (CE, 12 février 2014, M. B., req. no 352878).
3 – Les conséquences du harcèlement moral
Le harcèlement moral est susceptible d’ouvrir droit à la protection fonctionnelle prévue par l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 (CE, 12 mars 2010, req. n°308974).
Cette protection entraîne l'obligation pour l'administration, dès qu'elle a connaissance des faits de harcèlement, de mettre en œuvre sans délai tous les moyens de nature à faire cesser ces agissements (engager des poursuites disciplinaires à l'encontre de l'auteur du harcèlement, éloigner de l'agent victime et rétablir l'agent dans ses droits au sein de son service, s'il en a été privé par l'effet des actes de harcèlement (Question n°13166, JO Sénat 28 juillet 2011).
Notons qu’un agent contractuel de droit public bénéficie des garanties mentionnées à l’article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 (article 1er du décret n°2016-1156 du 24 août 2016 portant application de l'article 32 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires).
L’administration a également une obligation de réparation du préjudice intégral de l’agent, qu’il soit matériel, corporel ou moral.
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Hélène LELEU, Avocat au Barreau de LYON
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