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Propos Introductifs :
Deux points principaux doivent être gardés à l’esprit en guise de préalable à un exposé sur la détermination du prix du bail à ferme :
Le premier, c’est que la législation est fondée sur une volonté de fixation réaliste du prix.
Le deuxième point est que la règlementation trouve également son origine dans une tentative de mise en place d’un prix unifié en fonction des parties de territoires identiques.
Ceci étant précisé, rappelons que le champ d’application de la règlementation du prix des baux couvre :
- les baux soumis au statut du fermage à savoir les baux ruraux, les baux conclus par les SAFER pour le prix uniquement (cf. Article L 142-6 du Code rural et de la pêche maritime) et les conventions pluriannuelles d’exploitation agricole ou de pâturage de l’Article L 481-1 CRPM, à défaut d’Arrêté préfectoral particulier.
En revanche, il ne s’applique pas aux contrats définis par l’Article L 411-2 du CRPM qui dérogent à la règlementation du Statut c'est-à -dire la location des petites parcelles, les baux emphytéotiques et les conventions d’occupation précaire.
Une place particulière doit être faite à l’indemnité d’occupation laquelle ne constitue pas un prix du bail et qui a pour objet, lorsqu’elle est fixée par un Tribunal, de couvrir l’entier préjudice du bailleur et donc pas forcément uniquement le fermage.
Ainsi dans cette hypothèse, l’indemnité d’occupation peut aller au delà de ce qui est prévu par l’Arrêté préfectoral applicable à la zone concernée.
- La fixation du prix du bail :
Les règles de fixation du prix du bail à ferme sont définies par les articles L 411-11 du Code rural et de la pêche maritime et suivants ainsi que, pour la partie règlementaire, les articles R 411-1 à R 411- 9 du même code.
L’article L 411-11 du Code rural et de la pêche maritime définit les principes généraux qui gouvernent la matière à savoir :
Les critères qui peuvent être utilisés pour la détermination du bail sont la durée du bail, l’existence d’une éventuelle close de reprise, l’état et l’importance des bâtiments, la qualité des sols, et la structure parcellaire.
Ces critères ne sont pas limitatifs.
Cet article détermine par ailleurs les trois principes qui permettent d’arrêter le prix du bail à ferme :
- La distinction des règles relatives au loyer des baux d’habitation avec les règles relatives au loyer des bâtiments d’exploitation et des terres nues.
Ces règles sont ainsi particulières à chaque type de loyer.
- La règle selon laquelle les loyers doivent être établis en monnaie, sauf exception des cultures pérennes, c'est-à -dire les cultures permanentes viticoles, arboricoles, oléicoles et agrumicoles et des bâtiments d’exploitation y afférents, qui peuvent, dans cette hypothèse, être fixés en quantité de denrées.
Cette exception des cultures pérennes, a été arrêtée par la Loi du 2 janvier 1995 n° 95-2 qui avait posé le principe de la suppression de l’évaluation du prix du bail à ferme en denrées et ce de manière à définir un prix prévisible.
- Le principe de la liberté encadrée du prix de bail.
Celui-ci est enserré entre une fourchette de minima et de maxima défini par Arrêté préfectoral après avis de la Commission consultative paritaire des baux ruraux (cf. Article R 411-2).
Ainsi, l’Article R 411-1 pour préciser les règles générales de l’Article L 411-11, édicte que le Préfet fixe par Arrêté :
- Les maxima et minima des loyers des bâtiments d’habitation exprimés en monnaie ;
- Les maxima et minima exprimés en monnaie des loyers des bâtiments d’exploitation et des terres nues ;
- Les quantités maximales et minimales des denrées dans les diverses régions naturelles agricoles des départements.
Le loyer des terres nues et des bâtiments d’exploitation ainsi que les maxima et les minima sont actualisés chaque année selon la variation d’un Indice national des fermages.
La loi de modernisation de l’agriculture du 27 juillet 2010 a supprimé les Indices départementaux des fermages et institué cet Indice national des fermages et ce dans le but de définir un prix homogène sur l’ensemble du territoire français.
Cet Indice est composé :
D’une part, pour 60% de l’évolution du revenu brut d’entreprises agricoles à l’hectare sur le plan national au cours des 5 années précédentes,
D’autre part, pour 40% de l’évolution du niveau général des prix de l’année précédente étant précisé que l’année 2009 égale la base 100.
L’Indice national des fermages et sa variation annuelle sont constatés avant le 1er octobre de chaque année par Arrêté du Ministre chargé de l’agriculture.
Ces minima et ces maxima ne sont pas immuables et font l’objet d’un nouvel examen au plus tard tous les 6 ans.
Il convient de préciser que si les fourchettes sont modifiées en cours de bail, le prix des baux ne pourra être révisé que lors du renouvellement ou, s’il s’agit d’un bail à long terme, en début de chaque nouvelle période.
A défaut d’accord, le Tribunal Paritaire des Baux Ruraux fixe le prix du bail.
Ce principe vaut, sauf exception tirée de l’article L 411-13 du Code rural et de la pêche maritime qui permet la révision du prix lors de la troisième année de jouissance dès lors que celui-ci excède d’un dixième la valeur locative prévue par l’Arrêté.
La troisième Chambre Civile de la Cour de Cassation dans un Arrêt du 5 mai 2011 n° 11-40.004, Boizeau / SCEA du Busseau et Alli. (juris data n° 2011 – 007787) s’est prononcée sur la constitutionalité du dispositif de fixation du prix du bail prévu par l’Article L 411-11 du Code rural en estimant que ce mode de détermination du loyer sur le fondement d’un Arrêté susceptible d’évoluer en cours de bail, ne paraît pas sérieusement contraire à la constitution.
- Le prix du bail des exploitations spécialisées non visées par l’Arrêté préfectoral :
La question s’est posée de savoir comment définir le prix d’un bail d’une exploitation hors norme ou d’une exploitation spécialisée.
En effet dans cette hypothèse, le barème préfectoral peut se révéler totalement inadapté et inadéquat.
Il est désormais admis que les Juges saisis d’une demande de fixation du fermage pour l’exécution d’un bail portant sur une exploitation hors sol, puissent fixer la valeur locative compte tenu des données et usages.
Ainsi la chambre Sociale de la Cour de Cassation a eu l’occasion de se prononcer à propos d’un étang (cf. Cas Soc 6 décembre 1956), à propos d’un établissement piscicole (Cas. 3ème Civ. 7 avril 1993 n° 91-15.695), enfin, à propos d’un poulailler hors sol (cf. Cas. 3ème Civ. 18 mai 2005 n° 04-11.758).
Dans ce dernier Arrêt, la Cour de Cassation a solennellement dit que :
« La valeur locative doit être déterminée suivant les situations locales, les usages professionnels et les maxima et minima applicables à ce type d’exploitation dans un département voisin ».
La question s’est posée de la détermination du prix du bail concernant des terres porteuses de cultures « bio » ainsi que pour un centre équestre.
S’agissant de la culture « bio », pour se départir du prix du bail fixé par l’Arrêté préfectoral applicable, le bailleur invoquait que le label « Agriculture biologique » obtenu par lui avant de prendre sa retraite, lui permettait de donner ses terres à bail suivant un prix excédent la fourchette établie par l’Arrêté préfectoral pour les vergers.
Cet Arrêté préfectoral en effet ne distinguait pas le mode traditionnel ou non de faire valoir.
Peu de temps après être entré en jouissance du fond loué, le locataire exerçait une action en révision du loyer fondée sur l’Article L411-13 du Code rural et de la pêche maritime.
La Cour d’Appel avait initialement admis que le bailleur pouvait fixer le loyer « conformément aux situations locales et aux usages professionnels » dans la mesure où la culture biologique de vergers devait être regardée comme une « culture spécialisée » non spécifiquement prise en compte par l’Arrêté des fermages.
Cet Arrêt a été cassé dès lors que les cultures supportées par les terres louées des vergers étaient bien prévues par l’Arrêté préfectoral.
Si les règles d’ordre public fixant le prix du fermage ne peuvent effectivement convenir à des exploitations spécialisées, il n’en demeure pas moins que la question se posait de savoir si la méthode de faire valoir d’un verger pouvait permettre de considérer cette exploitation comme une exploitation spécialisée.
Il n’existe pas dans législation de définition de « l’exploitation spécialisée ».
La Doctrine a, semble-t-il, cherché à rattacher cette définition aux dispositions de l’Article L415-10 du Code rural et de la pêche maritime qui, relatives au champ d’application du statut des baux ruraux, est ainsi rédigée :
« Les dispositions du présent titre [ie. le Statut des Baux Ruraux] s’applique aux baux ci-après énumérés : baux d’élevage concernant toute production hors sol, de marais salants, d’étangs et de bassins aménagés servant à l’élevage piscicole, baux d’établissements horticoles, de cultures maraichères et de culture de champignons, ainsi que les baux d’élevage agricoles ».
Il est notable que la Cour de Cassation a jusqu’à présent autorisé les parties à s’affranchir des prescriptions préfectorales pour des baux d’étang, des établissements piscicoles ou des poulaillers hors sol, c’est-à -dire précisément des exploitations exerçant exclusivement une des activités agricole atypique mentionnée à l’Article L415-10 précité.
Selon le commentateur de l’Arrêt de la 3ème Chambre Civile de la Cour de Cassation du 13 juillet 2011 n° 10-19.583, PLANETc/PANISSOD (cf. Jurisdata n° 2011-014324, rendu à propos de l’agriculture biologique, on peut observer que :
« Cet ancrage de la jurisprudence dans l’article L415-10 précité explique sans doute pourquoi elle n’a jamais été étendue au baux portant sur des vignes, cultures non citées dans ce texte ».
Il y aurait donc une distinction à opérer entre un Arrêté préfectoral simplement « inadapté » aux cultures pratiquées et un autre « incompatible » avec celles-ci :
Dans le premier cas, les parties devraient tout de même se référer à l’Arrêté préfectoral quel que soit le mode de faire valoir.
Dans le second, elles pourraient s’affranchir dudit Arrêté préfectoral dans les limites posées par la Jurisprudence en particulier dans son Arrêt du 18 mai 2005 n° 04-11.758 précité à propos de poulaillers hors sol.
Dans une autre espèce rendue récemment à propos des centres équestres (Cass. Civ. 3ème, 11 mars 2014, n°13-10.685, Revue des loyers 2014, commentaire PEIGNOT), la Cour de Cassation a eu à se prononcer sur l’adaptation du règlement préfectoral applicable à l’activité exercée dans un centre équestre.
Certes la question était quelque peu particulière puisque l’exercice de l’activité agricole en centre équestre n’est pas prévu par l’article L415-10 du Code rural et de la pêche maritime qui semble définir les exploitations spécialisées.
Cependant, à la suite de la loi du 23 février 2005 qui a institué l’élevage équestre comme une activité agricole, la circulaire du 21 mars 2007 a invité les Commissions départementales des baux ruraux à faire des propositions aux Préfets concernant le montant des loyers compte tenu de la particularité de l’exercice de ces activités.
Cette recommandation n’a cependant pas été suivie d’effet dans tous les départements français.
Les premiers Arrêtés préfectoraux ont ainsi montré que la réalité des exploitations équestres est difficilement conciliable avec un régime strict d’encadrement des fermages.
Ainsi dans l’Arrêt de la 3ème Chambre Civile de la Cour de Cassation du 18 mai 2005, se posait la question de définir le prix des bâtiments d’exploitation.
Initialement, le premier procès concernant cette affaire, avait touché à la nature agricole du contrat déterminant l’occupation des terres.
Prise dans la lignée de la Loi du 23 février 2005, la Cour de Cassation avait jugé que les conventions litigieuses constituaient un bail rural.
Le débat s’est donc ensuite cristallisé sur la fixation du prix du bail.
A l’époque de la conclusion des conventions, il existait effectivement un Arrêté préfectoral mais celui-ci était totalement inadapté à l’activité en cause.
Un nouvel Arrêté préfectoral avait par la suite été édicté au mois de février 2009 soit postérieurement à la conclusion du bail litigieux.
La Cour d’Appel avait ainsi ordonné que soit déterminé le prix par expertise judiciaire.
L’Expert désigné s’était fondé sur la méthode de détermination fixée par l’Arrêté préfectoral initial et dans cette hypothèse, le prix du bail s’élevait pour les années en cause (entre 2003 et 2010) à un peu plus de 1 500 € en tout.
Si le bail avait été fixé en fonction du nouvel Arrêté postérieur à la conclusion du contrat, celui-ci se serait élevé à plus de 21 000 € !
La Cour d’Appel de VERSAILLES, dans une motivation particulièrement laconique et générale, s’était bornée à suivre les prescriptions de l’expertise en exposant que le prix devait être fixé en accord avec les règles du droit commun du bail rural.
La Cour de Cassation au visa de l’Article L411-11 a censuré au motif que la Cour d’Appel ne s’était pas expliquée sur l’existence ou non d’un Arrêté préfectoral adapté à l’activité pratiquée par le preneur et sur les éléments en fonction desquels la valeur locative avait été déterminée par l’expert.
Dans la Revue des loyers 2014, Monsieur PEIGNOT, qui a commenté cette Arrêt, précise que selon lui, les Juges auraient dû rechercher s’il existait un Arrêté préfectoral applicable à l’activité particulière exercée dans le cadre des bâtiments donnés à bail et, préciser les éléments de droit et de fait sur lequel ils entendaient s’appuyer pour fixer le montant du fermage retenu.
- Les majorations du fermage (Article L411-12 CRPM)Â :
Par principe, le fermage ne peut comprendre en sus du prix calculé par l’Article L411-11 CRPM, aucune redevance ou service de quelque nature que ce soit.
Il s’agit là d’une interdiction d’ordre public (cf. L411-14 CRPM).
Cependant, cette interdiction n’est pas absolue et la Loi autorise une majoration du fermage dans quatre cas :
- Investissements par le bailleur dépassant ses obligations légales,
- Investissements imposés au propriétaire par une personne morale de droit public (exemple : taxe d’arrosage),
- Paiement de l’indemnité due au preneur sortant (Article L411-76 CRPM),
- Reconstruction d’un bâtiment détruit par cas fortuit.
Hors ces quatre exceptions limitativement énumérées par la Loi, toute augmentation du prix du bail défini par le bailleur constituera un supplément illicite de fermage et donnera lieu à remboursement.
- La réduction du fermage pour perte de récolte par cas fortuit (Articles 1769 à 1773 du Code civil) :
Dans tous les cas où par suite de calamités agricoles, le bailleur obtient une exemption ou une réduction d’impôts fonciers, la somme dont il est exonéré ou exempté devra bénéficier au fermier.
Ainsi le fermier déduira du montant du fermage à payer, au titre de l’année au cours de laquelle a eu lieu le sinistre, une somme égale à celle représentant le dégrèvement dont aura bénéficié le bailleur.
Si le paiement du fermage est intervenu avant la fixation du dégrèvement, le propriétaire devra en ristourner le montant au preneur (cf. Article L411-24 CRPM).
Soulignons que la créance du preneur n’est pas subordonnée au paiement du fermage, précision que les bailleurs créanciers auront souvent beaucoup de mal à entendre…
Le preneur peut même faire valoir la compensation de l’Article 1289 du Code civil pour s’opposer à la résiliation du bail.
- La révision du fermage de l’Article L411-13 CRPM :
Les règles de révision du fermage sont d’ordre public comme prévu par l’Article L411-14 CRPM.
Les conditions de recevabilité sont les suivantes :
- Un écart de prix d’un dixième au moins à la valeur locative du bien,
- La charge de la preuve qui incombe au preneur,
- La valeur locative est celle déterminée au jour de la conclusion ou du renouvellement du contrat,
- L’action doit être exercée au cours de la troisième année de jouissance et non pas celle de la date du contrat,
- L’action n’est recevable qu’une seule fois pour chaque bail.
En cas d’admission de l’action, le prix sera fixé pour la période du bail restant à courir.
Ainsi la révision n’est pas rétroactive et n’intervient qu’à partir de la date de demande de la révision.
Cette action en révision des fermages doit être distinguée de l’action en régularisation de fermages illicites qui est d’une nullité absolue.
Dans cette hypothèse elle peut intervenir à tout moment et la décision fixée aura un effet rétroactif sous réserve de l’application de la prescription instinctive quinquennale.
Bien sûr, la question de savoir ce que constitue une nullité absolue pour permettre de contourner les strictes règles de l’Article L411-13 relatives à la révision du bail ne manque pas de susciter de fréquents débats judiciaires particulièrement savoureux pour les initiés…
Fait à Toulouse,
Le 19 septembre 2014
Maître Isabelle GAYE
Avocat à la Cour
Barreau de TOULOUSE
Spécialiste en Droit Rural