I. Qu’est-ce que le swatting ?
Le Swatting, c’est le canular consistant à mobiliser les forces de l’ordre au moyen d’un appel ou message téléphonique par lequel un imposteur affirme qu’une personne nommément désignée s’est rendue ou va se coupable d’un crime ou d’un délit. Cette détestable pratique vient des Etats-Unis et donc de la mobilisation du SWAT, une unité d’élite, qui va se rendre à l’endroit désigné avec des moyens à la hauteur de l’urgence invoquée. Or, le problème est que l’infraction est purement imaginaire et que la victime et tout occupant présent se voient interpellés sans ménagement, ce qui occasionne divers traumatismes.
II. Quels étaient les faits jugés à Créteil ?
Le swatting touche principalement les acteurs du net 2.0 ainsi que les people.
En l’occurrence, un joueur en ligne relativement connu de ce milieu (Bibix) voit le GIGN enfoncer la porte de son appartement et l’interpeller rudement, ainsi que sa compagne, alors que principal intéressé est simplement en pleine partie retransmise devant les internautes. En effet, les forces de l’ordre ont reçu un appel anonyme se faisant passer pour Bibix s’accusant lui-même du meurtre de sa compagne.
Au-delà du traumatisme de l’interpellation, les victimes ont dû déménager puisque leurs coordonnées personnelles intégrales ainsi que celles de leurs proches ont été divulguées sur la toile.
Les faits jugés comprenaient donc notamment :
- Le message vocal de dénonciation et notamment sa préparation (achat de carte bancaire volée – ouverture d’un compte),
- Le fait pour certains prévenus d’avoir été au courant de l’opération de police avant qu’elle ne se déroule, de ne pas avoir prévenu la future victime et surtout d’avoir enregistré l’interpellation en ligne sur support vidéo afin de la diffuser le plus largement possible dans une intention malveillante,
III. Les textes répressifs applicables
Le swatting peut donner lieu à l’application de plusieurs textes en fonction de la nature du crime ou délit invoqué et de son prolongement direct.
3.1 La dénonciation calomnieuse (article 226-10 du Code Pénal)
« La dénonciation, effectuée par tout moyen et dirigée contre une personne déterminée, d'un fait qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires et que l'on sait totalement ou partiellement inexact, lorsqu'elle est adressée soit à un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, soit à une autorité ayant le pouvoir d'y donner suite ou de saisir l'autorité compétente, soit aux supérieurs hiérarchiques ou à l'employeur de la personne dénoncée, est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.
La fausseté du fait dénoncé résulte nécessairement de la décision, devenue définitive, d'acquittement, de relaxe ou de non-lieu, déclarant que le fait n'a pas été commis ou que celui-ci n'est pas imputable à la personne dénoncée.
En tout autre cas, le tribunal saisi des poursuites contre le dénonciateur apprécie la pertinence des accusations portées par celui-ci. »
3.2 Le délit de fausse alerte (article 322-14 du Code Pénal)
Le fait de communiquer ou de divulguer une fausse information dans le but de faire croire qu'une destruction, une dégradation ou une détérioration dangereuse pour les personnes va être ou a été commise est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.
Est puni des mêmes peines le fait de communiquer ou de divulguer une fausse information faisant croire à un sinistre et de nature à provoquer l'intervention inutile des secours.
3.3 La dénonciation de délit imaginaire (article 434-26 du Code Pénal)
Le fait de dénoncer mensongèrement à l'autorité judiciaire ou administrative des faits constitutifs d'un crime ou d'un délit qui ont exposé les autorités judiciaires à d'inutiles recherches est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende
3.4 Le recel (article 321-1 du Code Pénal)
Le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d'intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d'un crime ou d'un délit.
Constitue également un recel le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d'un crime ou d'un délit.
Le recel est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende.
IV. Les condamnations sévères de la juridiction cristolienne
Aux termes des débats, le Tribunal de Grande Instance de Créteil a voulu rendre un jugement pour l’exemple, donc très sévère.
En effet, le prévenu ayant organisé le swatting est condamné à 2 ans de prison ferme, les deux autres à des peines respectives de 18 mois de prison ferme et 6 mois avec sursis au titre du recel.
Ce jugement occasionne de nombreuses réactions.
Tout d’abord l’avocat même de Bibix qui a déclaré à juste titre n’avoir jamais vu des peines aussi lourdes.
Ensuite, bien évidemment les camps de chaque partie s’affrontent entre soutien aux victimes et soutien aux prévenus, taxant les juges de n’avoir pas su apprécier « l’humour » de ces derniers.
Mais d’humour, il ne peut être question ici. Or, les prévenus, de par leur attitude à l’audience, ne semblaient pas prendre la mesure de la gravité des faits reprochés.
Pareillement, une méconnaissance du procès pénal fait aujourd’hui affirmer que la victime serait le « responsable » de ces condamnations lourdes.
Un petit rappel n’est donc pas inutile.
V. Le processus pénal en version volontairement simplifiée
1. La victime porte plainte contre une personne déterminée ou contre X, si elle ne connait pas l’auteur de l’infraction. Elle peut apporter au moment de son dépôt de plainte des éléments de preuve, si elle en dispose.
2. Les services de police mènent les investigations et un juge d’instruction peut être désigné par le parquet, si le dossier le nécessite.
Au terme de ces phases, si le ministère public considère que les charges retenues contre les prévenus sont suffisantes, ils sont renvoyés devant le Tribunal pour être jugés.
3. Le déroulement chronologique du procès est le suivant :
- Rapport du Tribunal sur l’affaire. Il s’agit d’un exposé des faits, des infractions et du contenu de la phase préparatoire,
- Interrogatoire des prévenus, audition des témoins et parties civiles. Il ne s’agit pas de refaire les procès-verbaux établis par les services de police mais aborder des points que les juges souhaitent encore approfondir, éclaircir ou confronter,
- Plaidoiries des parties civiles : C’est le moment où les victimes exposent leurs demandes visant à obtenir un dédommagement de leurs préjudices. En aucun cas, les parties civiles n’ont qualité pour demander une condamnation pénale (prison, amende, TIG, etc…),
- Réquisitions du ministère public : le ministère public représente la société et en cette qualité, c’est lui seul qui requiert les peines, s’il estime qu’au terme de son propre exposé de l’affaire que les prévenus sont coupables des infractions reprochées,
- Plaidoiries des prévenus : Les Conseils des prévenus ont pour mission de démontrer que les infractions ne sont pas caractérisées ou non pas été commises par leurs clients. Il s’agit donc de contrer l’argumentaire de la partie civile sur les dommages et intérêts mais également les réquisitions du parquet sur les peines encourues. Rappelons que « le doute doit profiter au prévenu »,
- L’ultime déclaration : Le prévenu est toujours en droit de faire une déclaration à l’issue des débats,
- Le Tribunal clôture les débats et fixe la date à laquelle sera rendu le délibéré.
Par la suite, la juridiction répressive peut :
- Soit relaxer les prévenus
- Soit les condamner mais en étant parfaitement libre de suivre au non les réquisitions du parquet. De manière générale, une condamnation pénale ouvre la voie à l’allocation de dommages et intérêts pour la partie civile, si le préjudice est suffisamment étayé.
VI. Conclusion
Cette affaire amène plusieurs enseignements.
En tout premier lieu, il semble assez probable que vu la lourdeur des condamnations, un appel sera interjeté pour réduire les sentences.
L’avenir dira si les juges qui seront amenés à trancher le même type d’affaire à l’avenir feront preuve d’autant d’intransigeance qu’à Créteil.
En second lieu, ce jugement montre que la justice française entend ne pas laisser se propager ces nouvelles formes de criminalité par le biais d’internet.
En dernier lieu, il prouve qu’il n’est pas systématiquement possible de se cacher derrière un écran d’ordinateur ou se retrancher derrière l’humour (même noir) pour commettre des actes pénalement condamnables.
Je me tiens à votre disposition par email pour toute information complémentaire.
FACHIN Olivier