La loi du 6 juillet 1989 impose donc au bailleur de préciser le motif pour lequel il donne congé, ce qui permettra au juge d’exercer son contrôle.
L’article 15, I, alinéa 1 est rédigé comme suit :
« Lorsque le bailleur donne congé à son locataire, ce congé doit être justifié soit par sa décision de reprendre ou de vendre le logement, soit par un motif légitime et sérieux, notamment l'inexécution par le locataire de l'une des obligations lui incombant. »
Cette obligation de transparence de bailleur ne concerne que les baux à usage d’habitation principale ou à usage mixte professionnel et habitation principale, soumis à la loi.
A noter qu’il existe un cas particulier qui ferme toute possibilité de congé pour le bailleur, même s’il motive sa volonté conformément à la loi : la protection des locataires âgés aux revenus modestes.
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I. Le motif légitime et sérieux
Je commence l’exposé par la dernière option citée par la loi parce qu’elle présente une particularité importante : c’est le seul cas de figure ou le juge va pouvoir apprécier, a priori, la réalité et la légitimité du congé (Cour de Cassation, 3ème chambre civile, 21 décembre 1988).
En effet, le bailleur va donner congé à son locataire, qui, à la lecture du motif légitime et sérieux qui figure dans la lettre, va le contester et saisir le juge de la contestation.
Bien évidemment, les abus de part et d’autre seront sanctionnés, c’est pourquoi le bailleur doit apporter un soin particulier à la rédaction de sa lettre de congé.
Le motif légitime et sérieux peut se caractériser de deux façons :
A ) En cas de comportement fautif du locataire
Cette hypothèse peut paraître surprenante car un bail bien rédigé prévoit que la faute du locataire peut entraîner sa résiliation.
On peut dès lors se demander quelle solution choisir entre le congé et la résiliation.
Cette question peut être résolue rapidement en fonction de la date à laquelle le locataire commet la faute : si elle intervint à une date relativement éloignée de l’échéance du bail, il vaut mieux faire application de la clause résolutoire.
A noter que la faute du locataire (telle que la violation de l’obligation de jouissance paisible) constitue un motif légitime de congé, même si elle a cessé au moment de la délivrance du congé.
B ) En cas de comportement non fautif du locataire
Le bailleur peut invoquer une raison personnelle dont la liste serait impossible à dresser et dont la légitimité sera toujours appréciée par le juge en dernier recours (Cour d’Appel de Paris, 6ème chambre B, 14 janvier 1999).
La reprise pour travaux (démolition, rénovation, réhabilitation..) est également un motif validé par une jurisprudence très abondante, dans la mesure ou la reprise concerne la totalité du bien loué et qu’elle doive entraîner le départ du locataire.
Ainsi, on tente de faire échec aux bailleurs opportunistes qui penseraient pouvoir se débarrasser de leur locataire en invoquant des travaux qui pourraient être menés à bien, sans que cela nécessite de libérer les lieux.
Une question intéressante s’est néanmoins posée en présence d’un congé pour motif légitime et sérieux qui cache en réalité une volonté de reprendre le logement pour l’habiter ou le vendre.
L’intérêt de cette démarche pour le bailleur est bien évidemment de trouver une solution alternative lorsqu’il ne remplit pas les conditions de la réglementation stricte régissant ces deux autres cas de figure que nous verrons après (II et III).
La Cour de Cassation a admis cette hypothèse lorsque le bailleur est une personne morale, mais reste intransigeante s’il y a fraude.
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II. La reprise pour vendre
Le congé signifié pour vente du bien loué peut être adressé tant par le bailleur personne physique que le bailleur personne morale.
La décision de céder le bien loué constitue un motif péremptoire, c'est-à -dire que le bailleur n’a pas à apporter de précision dans son congé : la seule mention du désir de vente suffit et il n’a pas non plus à justifier du prix qu’il envisage (Cour d’Appel de Versailles, 18 décembre 1985).
Cependant, le locataire dispose d’un droit de préemption que lui accorde la loi dans un souci d’équité : ayant déjà occupé du logement, le législateur a souhaité leui offrir un droit de préférence par rapport aux autres acquéreurs.
Certains vendeurs ont tenté de faire échec à ce principe en proposant au locataire un prix de vente manifestement excessif, de façon à s’assurer que ce dernier ne serait pas en mesure de préempter.
Cette pratique a donné lieu à un contentieux fourni, qui a vu de nombreux congés frauduleux sanctionnés par les tribunaux.
Dans ce cas, le locataire agit postérieurement à son départ, s’apercevant que le logement a été cédé pour un prix bien moindre auquel il lui avait été proposé.
III. La reprise pour habiter ou faire habiter
Ce type de congé est le premier cité dans la loi et il est le plus restrictif à mettre en œuvre car il est très encadré. Il s’agit également d’un motif péremptoire, ce qui va avoir pour conséquence que le juge ne pourra que contrôler l’éventuelle fraude a posteriori.
Première restriction : Quel logement ?
S’est tout d’abord posé la question de savoir quel était le type de logement pouvait faire l’objet d’une reprise sous l’empire du texte législatif et si le bailleur pouvait décider de se séparer de son locataire pour établir une résidence secondaire ou un pied-à -terre.
La doctrine, suivie par la Cour de Cassation (3ème chambre civile, 31 janvier 2001) ont répondu par la négative : la reprise ne peut s’effectuer que pour y installer une habitation principale et le bailleur serait bien avisé de le préciser dans son courrier recommandé.
Seconde restriction : Quel bailleur ?
Contrairement à la reprise pour vendre, seul un bailleur personne physique peut se prévaloir de ce type de congé, ou, par extension, le bailleur société civile de famille.
La porte est donc fermée au bailleur personne morale qui ne peut reprendre pour l’habiter lui-même mais qui pourra cependant tenter d’invoquer le motif légitime et sérieux.
Troisième restriction : Quel bénéficiaire ?
Les bénéficiaires de la reprise pour habiter font l’objet d’une liste limitative énoncée à l’article 15, I alinéa 1 de la loi.
Ainsi, hormis le bailleur lui-même, il y a :
- son conjoint,
- le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité enregistré à la date du congé,
- son concubin notoire depuis au moins un an à la date du congé,
- ses ascendants, ses descendants ou ceux de son conjoint, de son partenaire ou de son concubin notoire
Quatrième barrière : Quand habiter ?
Le bailleur a une obligation d’habiter ou de faire habiter les lieux à titre de résidence principale, que ce soit à titre gratuit ou onéreux.
Cependant la loi n’impose pas un délai pour l’emménagement du bénéficiaire. La jurisprudence a statué dans l’esprit du texte à savoir que le bénéficiaire devait normalement succéder rapidement au locataire évincé et qu’en conséquence, la prise de possession des lieux devait se faire dans un « délai raisonnable ».
Cinquième barrière : Quel formalisme ?
Le formalisme du congé est également source de contraintes pour le bailleur car l’inobservation des prescriptions de la loi a pour effet la nullité du congé, subordonnée néanmoins à la preuve d’un grief.
Outre les conditions de forme et de délai applicables en la matière, la lettre doit contenir les nom, prénom, adresse du bénéficiaire.
D’une manière générale, le locataire doit être en mesure de vérifier la sincérité du congé qu’il reçoit.
Sixième barrière : Quel contrôle ?
Le motif de reprise pour habiter est donc un motif péremptoire. La Cour d’Appel qui relève que toutes les conditions légales du congé sont réunies mais affirme qu’il est incertain que le bénéficiaire habitera réellement pour invalider le congé est censurée par la Cour de Cassation (3ème chambre, 28 novembre 2006).
Le bailleur n’a donc aucune justification supplémentaire à donner ce qui implique que le juge ne peut pas contrôler l’opportunité de la reprise : il n’a pas le pouvoir de pénétrer l’esprit du bailleur pour s’assurer de ses réelles motivations.
Toutefois, le locataire qui est amené à quitter le logement en pareille occasion n’est pas complètement démuni.
A moins de démontrer l’intention frauduleuse dès la réception du congé et tenter ainsi de se maintenir dans les lieux jusqu’à ce que le juge statue, le locataire n’aura d’autre solution que de faire constater a posteriori que le bailleur a fait du logement sa résidence secondaire (Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, 11ème chambre, 28 juin 1995), qu’il a fait entrer dans les lieux un nouveau locataire, avec un loyer réévalué (Cour d’Appel de Lyon, 8ème chambre, 10 janvier 2006) ou enfin que les lieux sont restés vides pendant une longue période sans justification valable (Cour de Cassation, 3ème chambre civile, 21 février 2001).
Toute la difficulté réside bien évidemment dans la preuve de la fraude qui ne se présume pas, ce qui a donné lieu à une jurisprudence abondante.
Septième barrière : Quelle(s) sanction(s) ?
A quoi peut prétendre le locataire victime d’une fraude ?
La question des dommages et intérêts ne pose fondamentalement aucun problème et visera à indemniser le locataire des frais engendrés par son « relogement forcé », notamment s’il a du prendre à bail un appartement ou un pavillon plus coûteux. Il peut également invoquer une perte du fait des aménagements qu’il avait réalisés dans l’ancien logement.
A l’inverse, la réintégration dans le logement n’est pas envisagée par la jurisprudence pour deux raisons : elle n’est pas permise par la loi et il est peu judicieux de restaurer un lien locataire/bailleur quand le premier a assigné le deuxième pour congé frauduleux….
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IV. L’exception : le locataire âgé aux ressources limitées
Le droit du bailleur au congé pour les trois types de motifs développés plus haut se heurte à une exception prévue par la loi :
« Le bailleur ne peut s'opposer au renouvellement du contrat en donnant congé dans les conditions définies au paragraphe I ci-dessus à l'égard de tout locataire âgé de plus de soixante-dix ans et dont les ressources annuelles sont inférieures à une fois et demie le montant annuel du salaire minimum de croissance, sans qu'un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soit offert dans les limites géographiques prévues à l'article 13 bis de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 précitée. »
Le locataire qui bénéficie de cette protection doit :
- être âgé de plus de soixante-dix ans ; l’appréciation se faisant à la date d’échéance du contrat,
- avoir un niveau de ressources inférieur à une fois et demi le montant annuel du SMIC
Il s’agit de conditions cumulatives.
Le bailleur peut néanmoins valablement donner congé s’il est mesure de proposer un logement équivalent et situé dans un périmètre qui varie en fonction de la ville considérée : on raisonnera alors en arrondissements, cantons ou territoires de communes.
En pratique, peu de bailleurs sont à même de remplir cette condition.
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V. L’exception à l’exception : le bailleur âgé ou disposant aux ressources limitées
L’exception relative à la protection du locataire tombe si le bailleur lui-même est âgé de plus de soixante ans ou si ses ressources sont inférieures à 1,5 fois le montant annuel du SMIC.
Deux observations en faveur du bailleur :
- Il ne doit remplir qu’une seule des deux conditions, celles-ci étant alternatives et non pas cumulatives comme pour le locataire âgé,
- La limite d’âge est de 60 ans et non 70 ans pour le locataire.
La matière est donc bien encadrée et la jurisprudence permet de se faire une idée précise sur la validité des congés donnés par les bailleurs. Reste toujours le problème de la preuve de l’éventuelle fraude qui peut être résolu par le locataire en adoptant une attitude prévoyante en amont du congé et en restant vigilant suite à son départ s’il a un sérieux doute.
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Je me tiens à votre disposition par email pour toute information complémentaire.
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