Un créancier a saisi le juge des référés d’une demande d’expertise. Alors que l’instance est cours, le débiteur fait l’objet d’une procédure collective, avec constatation d’un état de cessation des paiements (redressement judiciaire, liquidation judiciaire), ou non (sauvegarde).
Il s’agit donc d’un créancier antérieur puisque son droit de créance est né avant l’ouverture de la procédure collective, même si les opérations du technicien sont toujours en cours.
Dans l’hypothèse ou l’expert rend un rapport favorable au créancier, quels sont les moyens dont dispose ce dernier en l’absence de jugement sur le fond de l’affaire ?
En matière d’arrêt des poursuites individuelles, le Code de Commerce prévoit deux cas de figure, s’agissant des créanciers antérieurs,:
I. L’INTERDICTION DES INSTANCES NOUVELLES
L’article L. 622-21 du Code de Commerce pose un des grands principes du droit des difficultés des entreprises :
« I.-Le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant :
1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ;
2° A la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.
II.-Il arrête ou interdit également toute procédure d'exécution de la part de ces créanciers tant sur les meubles que sur les immeubles ainsi que toute procédure de distribution n'ayant pas produit un effet attributif avant le jugement d'ouverture.
III.-Les délais impartis à peine de déchéance ou de résolution des droits sont en conséquence interrompus. »
Du fait du jugement d’ouverture, le créancier ayant la volonté de diligenter une action contre le débiteur, aux fins au paiement d’une somme d’argent, se trouve donc stoppé net dans son élan.
Attention toutefois ne pas se focaliser uniquement sur les demandes de paiement direct, la jurisprudence ayant une conception très extensive de la notion (ex : Si la demande porte sur une obligation de faire tendant in fine au paiement d’une somme d’argent, la Cour de Cassation affirme qu’elle est irrecevable : Cour de Cassation, chambre commerciale, 9 juillet 1996).
Il ne lui reste plus au créancier qu’une seule voie : la déclaration de créance auprès du mandataire judiciaire, si tant est qu’il puisse encore agir dans le délai impératif de 2 mois à compter de la publication au BODACC (bulletin officiel des annonces civiles et commerciales) du jugement d’ouverture.
II. L’INTERRUPTION DES INSTANCES EN COURS.
La situation du créancier ayant déjà assigné devant une juridiction (ex : le Tribunal de Grande Instance) est quelque peu différente puisque l’article L.622-22 du Code de Commerce prévoit :
« Sous réserve des dispositions de l'article L. 625-3, les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. Elles sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l'administrateur ou le commissaire à l'exécution du plan nommé en application de l'article L. 626-25 dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant. »
En résumé, l’instance du créancier est tout d’abord suspendue puis voit sa finalité modifiée une fois que ce dernier aura procédé à sa déclaration de créance auprès du mandataire judiciaire.
En effet, le Tribunal de Grande Instance (pour exemple) restera compétent pour trancher le litige mais il ne pourra que constater l’existence et le montant de la créance ainsi déclarée (Cour de Cassation, chambre commerciale, 24 avril 2007) : en aucun cas, il pourra condamner le débiteur à payer le créancier (Cour de Cassation, chambre commerciale, 11 mai 1993).
Le créancier qui reprend son instance après déclaration doit veiller à faire participer à la procédure (mise en cause) le mandataire judiciaire et le cas échéant l’administrateur ou le commissaire à l’exécution du plan.
A défaut, la décision obtenue devant le Tribunal de Grande Instance (toujours pour exemple) sera inopposable aux créanciers de la procédure collective (Cour de Cassation, chambre commerciale, 22 janvier 2002).
III. SORT DU CREANCIER AYANT DILIGENTE UNE PROCEDURE DE REFERE EXPERTISE
La question est de savoir si une procédure de référé expertise qui vient d’aboutir à un rapport favorable pour le créancier doit être considérée comme une instance en cours qui va être seulement suspendue ?
Il faut rappeler que la procédure de référé est une procédure urgente et théoriquement rapide. Ce concept s’accorde cependant mal avec une expertise qui va demander plusieurs mois d’investigations, de recherches, d’échanges entre les parties, etc…
Quand survient le rapport d’expertise, il n’est pas rare que les parties campent sur leurs positions, même si les conclusions sont accablantes pour l’une d’elles.
Cependant, le juge des référés est le juge de l’évidence et il ne statue pas au fond au litige.
Dans ces conditions, le créancier doit donc assigner au fond, dans une procédure dite « en ouverture de rapport »: il demande à ce qu’un juge, par une procédure ordinaire, transforme les conclusions du rapport favorables en condamnations à son profit.
A ce moment précis, si le débiteur fait d’ores et déjà l’objet d’une procédure collective, est-ce que le créancier est en droit de considérer qu’avoir lancé la procédure de référé suffit à lui faire bénéficier des dispositions de l’article L.622-22 du Code de Commerce ?
La Cour de Cassation répond par la négative : seule une instance en cours au fond permet de bénéficier de l’interruption des poursuites.
Cette solution est donc valable pour les référés expertise (Cour de Cassation, chambre commercial, 12 octobre 2004) comme pour les référés provision (Cour de Cassation, chambre commerciale 12 juillet 1994).
En conclusion, ce sont bien les dispositions de l’article L.622-21 du Code de Commerce qui s’appliquent : Si notre créancier dispose d’un rapport d’expertise flatteur, il ne peut que déclarer sa créance auprès du mandataire judiciaire.
Ce n’est donc pas un juge du fond qui validera (ou non) les montants retenus par l’expert mais le juge-commissaire usant de son pouvoir d’admission des créances après proposition du mandataire judiciaire.
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