Formalisée pour la première fois en 1956, l’expression « intelligence artificielle » est définit par John McCarthy et Marvin Minsky comme « la science qui consiste à faire faire aux machines ce que l’homme ferait moyennant une certaine intelligence ».
Les années 2010 sont marquées par le développement du « deep learning » ou « apprentissage profond » qui permet d’imiter plus efficacement le fonctionnement du cerveau humain qu’auparavant. Les systèmes inductifs basés sur l’apprentissage automatique ou « machine Learning » renvoient quant à eux à la capacité des machines d’apprendre à partir de données d’entrainement sans être explicitement programmées. Le programme est capable d’adapter son comportement à son environnement. Ces systèmes s’appuient sur des modèles probabilistes et sont capables de résoudre des problèmes complexes à l’aide d’algorithmes paramétrés à partir de données d’apprentissage.
Sur le plan juridique, les questions de propriété littéraire et artistique surgissent au niveau de la création. Les algorithmes sont nourris de données entrantes constituées par les œuvres à partir desquelles l’IA produit de nouvelles « créations » artificielles.
Une IA créative permet la production d’une réalisation culturelle qui ressemble à une œuvre.
Se pose donc dans un premier temps la question du statut de cette production et de sa protection.
L’IA créative est-elle une œuvre de l’esprit protégeable par le droit d’auteur ?
Dans l’affirmative, qui en serait l’auteur ?
I – Une création générée par une IA créative est-elle une œuvre de l’esprit ?
L’article L111-1 du Code de propriété intellectuelle dispose :
« L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ».
D'emblée, l’on constate que le législateur consacre « l’œuvre de l’esprit » mais sans la définir. Le droit d’auteur français étant humaniste, l’œuvre de l’esprit suppose de s’intéresser au processus créatif.
Trois conditions doivent ainsi être remplies pour caractériser une « œuvre de l’esprit ».
D’abord, l’œuvre de l’esprit découle d’une démarche créative. Seules les créations modifiant le réel par la formulation de choix sont des œuvres de l’esprit.
La deuxième condition est que l’œuvre de l’esprit résulte d’une démarche consciente. Cette condition implique un minimum de maitrise intellectuelle du processus créatif.
La dernière condition est que la démarche soit humaine. En effet, à travers le droit d’auteur, c’est la personne physique de l’auteur qui est protégée. Une œuvre de l’esprit suppose donc l’intervention d’un homme, d’un créateur personne physique. C’est pour cette raison que sont disqualifiées par principe les créations réalisées par des sociétés, des animaux ou des robots.
En effet, les logiciels seront à jamais dépourvus d’émotions. Il y aura donc systématiquement un humain sensible derrière la création culturelle.
Ce lien entre création et personne physique est partagé au niveau international.
Par exemple, aux États-Unis, l’enregistrement d’une œuvre au Copyright Office n’est autorisé que si elle a été réalisée par un être humain. Aussi, la production d’un système d’intelligence artificielle ne peut être enregistrée devant le U. S. Copyright Office, le Copyright Act n’accordant la protection qu’aux seules créations issues de l’intelligence humaine.
La qualification d’ « œuvres de l’esprit » des œuvres générées par l’AI impliquera donc d’identifier un créateur personne physique, mais plus éloigné de la création que dans l’approche traditionnelle du droit, par exemple l’humain dont l’imagination a pu être codée. L’acte de création pourrait donc être caractérisé, pour autant qu’on accepte l’idée d’une création différente et d’un créateur plus indirect.
II – Une création générée par une IA créative est-elle une œuvre originale protégée par le droit d’auteur ?
Pour être protégée par le droit d’auteur, la création doit être « originale ». Cependant, là encore, il n’existe pas de définition textuelle de ce critère.
En France, règne traditionnellement une conception subjective de l’originalité, définie depuis Desbois comme l’empreinte de la personnalité de l’auteur. L’œuvre doit pouvoir être retracée jusqu’à son auteur qui en est à l’origine et qui a laissé en elle des traces de sa personne et ce, même s’il ne l’a pas forcément exécutée personnellement.
L’auteur de cette œuvre ne pourra donc qu’être une personne humaine. Cette réalité oblige à identifier une personne physique en lien avec la création générée par l’IA.
III - Qui est l’auteur des œuvres générées par une AI ?
- Le concepteur de l’IA
Il serait envisageable d’accepter de rechercher une personnalité plus indirecte, plus éloignée, celle du concepteur de l’IA, personne qui délimite le cadre de la création algorithmique en façonnant le modèle d’inférence. En effet, le concepteur de l’IA est la personne qui définit le champ des possibles dans lequel l’IA va ensuite se mouvoir et qui de ce fait guide la réalisation algorithmique. En définitive, l’IA ne fait qu’exécuter le cadre créatif fixé par le concepteur.
Il ne s’agit pas ici de s’intéresser uniquement au logiciel, mais à l’IA en tant qu’œuvre complexe dont les biais contraignent la création générée.
C’est en effet l’auteur de l’IA qui semble le mieux placé pour recevoir les droits au titre des créations générées par la machine qu’il aura conçue. Cette hypothèse a l’avantage d’identifier une personne humaine qui aura entretenu des liens très proches avec la machine, qui a été capable d’y inoculer ses propres biais et donc d’y laisser une certaine empreinte.
Mais qui serait ce « concepteur » identifié ? Le programmateur de l’algorithme ? Son « entraîneur » ? Celui qui sélectionne les données ? Le titulaire du droit d’auteur sur le logiciel de l’IA ? Celui qui a dirigé la création ?
Si la désignation du concepteur de l’IA apparaît comme la solution la plus respectueuse du droit d’auteur, elle n’est pas la plus simple.
- L’utilisateur de l’IA
L’utilisateur de l’IA est celui qui a la maîtrise physique de l’outil et de l’élection du résultat en tant qu’œuvre. C’est par exemple l’artiste qui opère l’IA et qui sélectionne et aménage les modèles qu’elle lui propose. Il fait un choix créatif minime : il arrête le processus et déclare le produit généré par l’IA comme étant une « œuvre ».
Même si dans de nombreux cas l’IA aurait généré le même produit quelle que soit la personnalité de son utilisateur humain, cette solution a l’avantage de la simplicité et de la légitimé financière, l’utilisateur ayant la plupart du temps acheté une licence d’exploitation.
Par ailleurs, désigner l’utilisateur de l’IA comme « auteur » présente l’avantage de la faisabilité technique puisque l’utilisateur a la garde concrète du programme et divulgue l’œuvre.
En conclusion, même incertaine sur certains points, la piste du droit d’auteur reste séduisante. Elle impliquerait pour une grande part l’interprétation du juge dans un rôle d’adaptation du droit cependant traditionnel en cette matière.
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Me. Ronn HACMAN
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