LE NFT À L'ÉPREUVE DU DROIT FINANCIER

Publié le Modifié le 24/11/2022 Vu 2 821 fois 0
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La première réglementation spécifique au NFT sera financière. Faute d’explicitation légale relatif à son statut, le régime applicable sera fonction des caractéristiques du NFT analysé au cas par cas.

La première réglementation spécifique au NFT sera financière. Faute d’explicitation légale relatif à s

LE NFT À L'ÉPREUVE DU DROIT FINANCIER

 

 

Un NFT est avant tout un token ou "jeton", une unité de circulation au sein d’une blockchain. Ce bien meuble incorporel est autonome par rapport à son sous-jacent et son standard de codification est le ERC721.

La première réglementation spécifique au NFT sera sans nul doute financière, le pragmatisme du régulateur le conduisant à prioriser les épargnants pour éviter tout scandale médiatique et politique.

Pour l’heure, faute d’explicitation légale relatif à son statut, le régime qui lui sera applicable sera fonction des caractéristiques du NFT analysé au cas par cas.

 

 

o   Différents types de tokens en fonction de leur fonction

 

Suite à la vague des ICOs (« Initial Coin Offering » ou « Offre au Public de jetons ») de l'année 2017, la loi PACTE relative à la croissance et la transformation des entreprises en date du 22 mai 2019 destinées à les encadrer a notamment fourni une définition du « token » .

Ainsi, selon l’article L552-2 du Code monétaire et financier (CMF) :

 « Constitue un jeton tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits qui peuvent être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d'un dispositif d'enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien »

On remarque d’emblée que cette définition est assez générale et ne distingue pas entre jeton « fongible » (monnaie virtuelle) et « non fongible » (NFT).

 

 

  • Les actifs numériques, des tokens représentant un droit ou une valeur

 

Cette loi a également précisé ce qu’était un « actif numérique » par l’ajout de l’article L.54-10-1 au CMF:

 

« […] les actifs numériques comprennent :

1.       les jetons mentionnés à L.552-2

à l’exclusion de ceux remplissant les caractéristiques des instruments financiers […] et des bons de caisse […]

2.     toute représentation numérique d’une valeur qui n’est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique,

et qui n’est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d’une monnaie,

mais qui est accepté par des personnes physiques ou morales comme un moyen d’échange

et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement. »

Une partie de la doctrine considère que le NFT ne peut pas être qualifié légalement de "jeton" dans la mesure où il ne serait ni la représentation d'une valeur, ni la réprésentation de droits.

En effet, il n'est pas une cryptommonaie car, bien que transférable, stockable ou échangeable électroniquement via la blockchain, il ne constituerait pas un moyen d'échange. Par ailleurs, il ne serait pas la représentation de droits, mais bel et bien l'objet du droit de propriété détenu par l'utilisateur.

En tout état de cause, à date, la France est le pays qui a le cadre le plus précis et le plus évolué dans le monde sur le sujet, le droit européen en la matière se limitant à la proposition du Règlement MiCA (Markets in Crypto Assets) relatif au marché des actifs numériques présentée par la Commission européenne en septembre 2020, et qui contient une définition de l’ « actif numérique » similaire à la définition française.

Or, chaque actif numérique se distingue de par la fonction qu’il remplit.

 

  • Les security tokens, des actifs financiers dans une logique de rendement

 

Contrairement à la réglementation américaine dont la définition jurisprudentielle très large des instruments financiers donnée par la Cour suprême en 1942 permet d’y inclure beaucoup de types différents de tokens, la définition du Code monétaire et financier français exclut de cette définition les utility tokens émis dans le cadre des ICOs.

Le Code monétaire et financier précise explicitement que les actifs numériques n'incluent pas les security tokens.

À l’instar des actions ou des obligations, les security tokens sont des titres financiers transformés en jetons et conférant à leur détendeur:

- un droit financier (rentabilité financière sous forme de dividendes, perception d’intérêts) et/ou

- un droit politique (droit de vote).

Ce type de jeton a une fonction d’instrument financier avec rendement.

 

  • Les utility tokens, des actifs numériques conférant un droit d'usage d'un produit ou service dans une logique de participation financière

 

Alors que les cryptomonnaies (comme le bitcoin ou l'ether) sont la représentation numérique d’une valeur ayant pour fonction d'être un moyen d’échange, les jetons de l’article L.552-2 du CMF sont la représentation numérique de droits. Ces jetons visent d’abord les utility tokens qui ont pour fonction de permettre à leurs détenteurs de participer financièrement à un projet

Il s’agit du prépaiement d’un service ou d’un produit ayant vocation à être développé. Le jeton utilitaire est ainsi utilisé pour participer à l’essor d'un projet et donne à son titulaire un droit à des avantage utilitaires, comme par exemple un droit d’accès à une avant-première en présence de l’équipe du film à financer, un droit d'obtenir des récompenses, ou encore un droit de participer à des enchères.

En règle générale, un utility token est émis lors d’une ICO, nouvelle méthode de financement participatif ouverte au public basée sur la technologie blockchain qui permet aux start-ups de lever des fonds en actifs numériques de manière plus simple, plus rapide, à un stade plus précoce et en évitant de diluer le capital de l'entreprise. La start-up propose ainsi aux investisseurs d’acheter des utility tokens afin de préparer le service ou le produit qui va être développé.

La caractéristique principale de l’utility token serait ainsi la représentation d’un droit d’accès à un service ou à une fonctionnalité fourni. Les travaux parlementaires ont prévu que les tokens visés par la réglementation avaient pour fonction l’attribution d’un « droit d’usage [attribué par le token] à leur détenteur en leur permettant d’utiliser la technologie ou les services proposés ».

 

Cependant, la définition de l'utility token peut faire l'objet d'une interprétation extensive.

Ainsi, le NFT pourrait entrer dans la catégorie des "actifs numériques" à la condition:

- qu'il matérialise un droit de propriété sur un actif sous-jacent (même virtuel) revendicable vis-à-vis de son émetteur d'une part, et

- que sa détention comprennne un droit d'usage ou qu'il constitue un moyen d'échange d'autre part (par exemple en cas de l'émission d'un grand nombre de NFTs interchangeables). 

 

Par ailleurs, comme l’a précisé l’AMF, la notion d’ « actif numérique » n’est pas exclusive de la notion de « biens divers ». Le régime des intermédiaires en biens divers prévu à l’article L551-1 du CMF pourrait donc trouver application à certains projets proposant un rendement ou la gestion de biens pour autrui.

 

La qualification du NFT de " bien divers ", d'" utility token ", voir de " security token ", aura des conséquences sur le régime applicable à ses émetteurs et à ses utilisateurs.

 

o   Différents régimes en fonction de la qualification retenue

 

Pour qualifier le NFT, il conviendra en amont:

- d’analyser ses caractéristiques et les droits conférés à son détenteur;

- de déterminer si un actif sous-jacent lui est adossé et s'il s'agit d'un actif natif sur la blockchain; et

- d'étudier sa configuration globale et sa finalité économique dans l’environnement du projet.

 

  • Au stade de la création du NFT

 

Si l’acquisition du NFT donne droit à son détenteur à une part des revenus issus des reventes successives, forme particulière de prérogative financière, il se rapprocherait davantage de la fonction d’un instrument financier de type "obligataire", et pourrait ainsi se voir qualifier d’ « actif financier ».

Partant, la création de 10.000 tokens ayant vocation à conférer un rendement - quand bien même on y associerait une image - sera probablement analysée par l'AMF en la "création d'instruments financiers".

Cette qualification aura pour conséquence de qualifier celui qui en est à l'origine d'"émetteur de titres financiers", qui conduirait ainsi une "offre au public de titres financiers".

L’émetteur devra alors respecter les obligations relatives au secteur des marchés financiers - encore plus contraignantes que celles relatives aux actifs numériques - et se conformer notamment à la réglementation européenne en matière d’instruments financiers, d’offre au public de titres financiers, voire d’appel public à l’épargne.

 

Si le NFT est qualifié d'"utility token" de la loi PACTE, son émetteur pourra être considéré comme conduisant une ICO.

L'article L552-3 du Code monétaire et financier dispose:

"Une offre au public de jetons consiste à proposer au public, sous quelque forme que ce soit, de souscrire à ces jetons.

Ne constitue pas une offre au public de jetons l'offre de jetons ouverte à la souscription par un nombre limité de personnes, fixé par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers, agissant pour compte propre."

Ainsi, dès lors qu'il y a émission de 150 exemplaires de tokens identiques, il s'agit d'une "offre au public de jetons", l'émission de moins de 150 exemplaires s'analysant en une "vente privée de jetons". Par ailleurs, l’offre est caractérisée dès lors qu’elle contient les éléments essentiels relatifs à la souscription du jeton, c’est-à-dire a minima l’identification du projet, le moyen de participer à l’opération et des informations sur son prix.

Les émetteurs de jetons ont la faculté de demander un visa auprès de l’AMF qui prévoit notamment de mesures destinées à lutter contre le blanchiment de fonds, les tentatives de fraude (exit scam) et l’asymétrie d’information au détriment du souscripteur.

Bien que le visa de l’AMF relatif aux ICOs prévu à l'article L552-4 CMF soit optionnel en France, son absence implique certaines interdictions comme le démarchage auprès du public (à distinguer des communications publicitaires).

L'émetteur aura en tout état de cause des obligations contractuelles à respecter vis-à-vis du consommateur (information, garanties,...) ainsi que des obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT).

Beaucoup de NFTs du type "membership" ou conférant des droits d'usage pourraient ainsi entrer dans cette qualification, qui est moins contraignante que la qualification d'"instrument financier", notamment en ce qu'elle n'empêche pas d'exploiter des bases de données publiques.

 

  • Au stade de la prestation de services

 

En fonction de la qualification retenue, les acteurs pourront se voir qualifier de "Prestataires de service d'investissement" (PSI) ou de "Prestataire de service sur actif numérique" (PSAN).

Il conviendra alors de s'interroger sur le type de services fournit par la plateforme. Conserve-t-elle les NFTs pour le compte de clients propriétaires (comptes dit "custodial") ? Propose-t-elle d'acheter ou d'échanger des NFTs sur un marché secondaire ?

En effet, les plateformes d’échanges de NFTs qualifiés d’ « utility tokens » sur un marché secondaire devront respecter nombre d’obligations supplémentaires. Elles devront notamment obligatoirement s’enregistrer en tant que "PSAN" auprès de l’AMF et seront soumises à des obligations spécifiques en matière de LCB-FT, comme la mise en place d’un dispositif de reporting y relatif. 

Par conséquent, face aux incertitudes relatives à la qualification juridique des NFTs et afin d'éviter d'être qualifié de "PSAN", il sera conseillé aux porteurs de projet de ne pas rendre eux même de "services sur actif numérique" par exemple en les déléguant à des prestataires tiers.

En fonction de la configuration et de l’activité de la plateforme et pour diagnostiquer si telle activité relève du régime des ICOs, du régime des PSAN ou encore du régime de l’intermédiation de biens divers, il faudra analyser chaque opération proposée aux différents stades :

- opération de mintage,

- opération de vente,

- opération de revente.

 

S’agissant de la plupart des NFTs qui ont pour fonction de conférer un droit d’accès à un produit, à un service, à un évènement ou à une expérience sensorielle futurs proposés par l'émetteur sans logique de participation financière à un projet, peut-être serait-il pertinent de créer une nouvelle catégorie légale d’utility token « sui generis » qui se verrait appliquer un régime spécifique simplifié, s’éloignant du régime applicable aux utility tokens émis dans le cadre d’une ICO.

En tout état de cause, il conviendra de nouer une relation contractuelle saine avec ses partenaires afin de se préserver de futurs potentiels contentieux lorsqu'une régulation idoine apparaîtra. Les risques encourus en termes pénales, réglementaires et contractuelles ne sont pas à prendre à la légère. Il sera indispensable de cadrer le projet juridiquement, notamment au vu du droit de la propriété intellectuelle, du droit de la consommation et du droit des contrats.

Ainsi, en amont du lancement d'un projet, il est primordial pour tout opérateur qui souhaite investir le secteur d’effectuer un audit sur la configuration globale du NFT en question et des services proposés.

 

 

Avocat spécialisé en Droit de l'immatériel et des industries créatives, je suis à votre disposition pour toute intervention, en conseil ou en contentieux.

Me. Ronn HACMAN

Avocat à la Cour

39, rue Marbeuf – 75008 PARIS

ronn@hacmanlaw.com

 

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