À l’origine, le Bitcoin, jeton fongible, échappait à toute qualification juridique. On l’a qualifié de « bien incorporel » pour que sa revente soit qualifiée de « bénéfice » et pouvoir ainsi lui appliquer le régime fiscal des plus-values.
C’est ainsi que suite à la vague des ICOs de 2017, la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises dite « loi PACTE » insérait la définition du « jeton numérique » au sein du Code monétaire et financière (CMF) :
« […] constitue un jeton tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits
qui peuvent être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d'un dispositif d'enregistrement électronique partagé [la blockchain]
permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien » (article L.552-2 du CMF).
Un NFT est donc un jeton numérique qui est autonome par rapport au fichier numérique sous-jacent qui lui est stocké hors blockchain.
Mais faut-il pour autant assimiler la fiscalité applicable aux NFTs à celle applicable aux biens meubles incorporels ? ou à celle applicable aux tokens des ICOs ? ou encore à celle applicable à leurs sous-jacents comme les œuvres d’art ?
La question écrite du sénateur Jérôme Bascher en date du 15 avril 2021 relève la complexité de la catégorisation du NFT en vue de l’application d’un régime fiscal spécifique. Dans sa continuité, la proposition d’amendement de la loi de finance 2022 du député Pierre Person pour un régime légal et fiscal ad hoc du NFT vise à instaurer un abattement de 3.000,00 €, ce qui permettrait de lever toute lourdeur administrative afférente à la déclaration des plus-values sur les actifs numériques utilisés à l’occasion d’un paiement en échange d’un bien ou d’un service.
Le droit considère que la législation existante doit rester la même, et ce que les titres soient dématérialisés ou tokenisés. L’intérêt principal de la tokenisation est d’ordre patrimonial puisqu’elle permet de donner une liquidité rapide aux actifs immatériels sous-jacents au NFT.
Face au silence du législateur en la matière, on s’appuie sur la législation fiscale existante et qui ne règle pas clairement le statut fiscal du NFT. Différents régimes seraient applicables en fonction de la logique économique retenue par l’administration.
S’agissant d’un titre de propriété privée numérique portant sur des droits divers, faut-il l’imposer en tant qu’actif numérique, que bien meuble incorporel, ou encore en fonction de l’actif sous-jacent ?
En tout état de cause, les détenteurs de comptes contenant des cryptomonnaies ont l’obligation de le déclarer.
o L’obligation de déclaration des comptes de cryptomonnaies
Cette obligation s’impose sans distinction de la qualité du titulaire du compte, qu’il soit collectionneur professionnel, amateur d’art particulier ou artiste. Tout détenteur de compte de cryptomonnaies doit le déclarer, dès lors que ce compte est détenu sur un « exchange » situé à l’étranger, plateforme d’échange permettant d’acheter ou de vendre des cryptomonnaies.
Pour être soumise à cette obligation de déclaration (calquée sur l’obligation de déclaration de comptes bancaires à l’étranger), un compte doit remplir deux conditions.
D’abord, le compte doit être détenu auprès d’un acteur situé hors de France. Sont donc exclus de cette obligation tous les comptes détenus par des plateformes françaises.
Par ailleurs, il doit s’agir d’un compte dit « custodial » (« dépositaire » en français) sur un site d’échange centralisé. Dans ce type de compte, les actifs sont détenus au nom de l’utilisateur et la plateforme détient et gère les clefs privées en son nom. Le propriétaire dépose ses actifs numériques sur une adresse de portefeuille appartenant à la plateforme, qui se charge par la suite de les sécuriser et de lui retourner en les transférant sur son wallet lorsqu’il en fait la demande.
Seuls ces comptes dit « custodials » et donc détenteurs de cryptoactifs pour le compte d’utilisateurs doivent faire l’objet de déclaration. Ainsi, le titulaire d’un compte sur Binance, Coinbase ou Kraken devra déclarer son existence, le nom de la plateforme, son adresse et le type d’usage professionnel ou non qu’il en fait. Le solde du compte n’a quant à lui pas à faire l’objet de déclaration.
En revanche, ne sont pas concernés par cette obligation de déclaration les comptes « non custodials » pour lesquels l’utilisateur détient lui-même la clef privée (qu’il s’agisse d’un hotwallet comme MetaMask ou d’un coldwallet comme Ledger). Ainsi, le titulaire d’un compte sur la plateforme OpenSea qu’il connecte à son MetaMask n’aura pas de déclaration y relative à effectuer.
Le non-respect de cette règle fait courir une amende fiscale de 750 € par compte non déclaré plafonné à un montant de 50.000 €. Pour les comptes d’un montant supérieur à 50.000 €, la sanction est de 1.500 € par compte non déclaré, avec un plafond forfaitaire fixé à 10.000 €.
Au-delà de ces sanctions, la découverte par le fisc de l’existence d’un compte non déclaré lors d’un contrôle risque d’éveiller les soupçons, et notamment d’étendre la période de contrôle de l’administration de 3 à 10 ans. Le jeu n’en vaut pas vraiment la chandelle.
o L’obligation de reporting annuel et automatisé des « exchanges »
L’intérêt de cacher au Trésor l’existence d’un compte « exchanges » paraît encore plus minime puisque ces plateformes doivent a priori elles-mêmes l’avertir automatiquement de l’existence d’un tel compte.
En effet, l’article 242 bis du Code général des impôts (CGI) en vigueur depuis le 31 décembre 2018 dispose :
« L'entreprise, quel que soit son lieu d'établissement, qui en qualité d'opérateur de plateforme met en relation à distance, par voie électronique, des personnes en vue de la vente d'un bien, de la fourniture d'un service ou de l'échange ou du partage d'un bien ou d'un service est tenue : […]
3° D'adresser par voie électronique à l'administration fiscale, au plus tard le 31 janvier de l'année suivant celle au titre de laquelle les informations sont données, un document récapitulant l'ensemble des informations [suivantes] :
« a) Les éléments d'identification de l'opérateur de la plateforme concerné ;
b) Les éléments d'identification de l'utilisateur ;
c) Le statut de particulier ou de professionnel indiqué par l'utilisateur de la plateforme ;
d) Le nombre et le montant total brut des transactions réalisées par l'utilisateur au cours de l'année civile précédente ;
e) Si elles sont connues de l'opérateur, les coordonnées du compte bancaire sur lequel les revenus sont versés ; »
Cette disposition a été créée à l’origine pour contraindre les marketplaces de type Le Bon Coin ou Airbnb à déclarer au fisc français les revenus réalisés chez eux par les contribuables français. Bien que promulguée avant leur essor, cette disposition s’applique également aux marketplaces de NFTs puisqu’il s’agit de plateformes mettant en relation acheteurs et vendeurs en vue de l’acquisition de biens incorporels, des NFTs.
o Une valorisation du chiffre d’affaires en euros fixée au moment de la vente
Pour l’heure, les revenus issus de l’activité commerciale consistant en l’achat et la revente d’actifs numériques à titre habituelle sont qualifiés de « bénéfices industrielles et commerciaux » (BIC).
Cependant, un artiste qui vend des œuvres d’art numériques hors cadre sociétal voit ses revenus issus des prix de vente qualifiés de « bénéfices non commerciaux » (BNC). Il sera alors assujetti au barème progressif de l’impôt sur les revenus. S’il a une société, cette dernière devra payer l’impôt sur les sociétés, régime plus avantageux.
À compter du 1er janvier 2023, tous les bénéfices issus d’opérations d’achat, de vente et d’échange d’actifs numériques seront imposés au titre des BNC, et ce quelque soit la qualité du bénéficiaire.
On notera par ailleurs que la valeur du chiffre d’affaires en euros est figée au moment de la vente, c’est-à-dire que le chiffre d’affaires imposable est constitué de la valorisation en euros de l’Ether reçu au moment du paiement. C’est sur cette base que le bénéfice sera imposé.
Le fait de conserver de l’Ether et de le revendre par la suite peut générer une plus-value sur actif numérique. En revanche, si l’Ether est conservé et perd de sa valeur, le contribuable sera quand même imposé sur la base de la valeur de l’Ether au moment de la vente.
En conséquence, bien que la réception du montant ne soit pas générateur d’imposition, il faudra au moment de la revente déclarer la cession d’actifs numériques qui pourra générer une plus-value à hauteur de la différence de valeur entre le moment de la réception et le moment de la revente.
o Les différents régimes applicables
· Le régime fiscal de la plus-value sur les actifs numériques (article 150 VH bis du CGI)
Si on assimile un NFT à un « actif numérique », le particulier personne physique bénéficiera du régime de neutralité permettant à ce que les échanges entre cryptoactifs, opérations dites « intercalaires », ne fassent pas l’objet d’imposition.
En effet, l'imposition est générée soit par la conversion de cryptomonnaie en monnaie fiat, soit par la consommation d’un bien ou service payé en cryptomonnaies.
En conséquence, le particulier qui acquière des NFTs en contrepartie d’autres actifs numériques comme des cryptomonnaies sans les convertir ne sera pas taxé car il s’agit d’un simple échange d’actifs numériques.
De même, le vendeur de NFTs en contrepartie d’une cession d’actifs numériques ne sera pas taxé car, là encore, il s’agit d’un échange d’actifs numériques.
En revanche, en cas de conversion de l’Ether en monnaie fiat comme l’euro le vendeur se verra imposé à hauteur de la flat tax de 30 % sur cette plus-value (intégrant 12,8 % d’impôts sur le revenu et 17,2 % de prélèvement sociaux) (article 200 C du CGI). Cette lourde taxation freine la circulation des NFTS, les collectionneurs ayant tendance à réinvestir plutôt que de bénéficier immédiatement du profit.
Le Code monétaire et financier - pas plus que les travaux parlementaires de la loi PACTE - ne faisant pas de distinction entre jeton "fongible" et "non fongible", le NFT pourrait entrer dans la qualification fiscale d'"actif numérique".
L’assimilation du NFT à un « actif numérique » présente un intérêt fiscal évident de simplicité: le paiement d’une flat tax de 30 % à déclarer chaque année au moment de la conversion des cryptomonnaies en monnaie fiat.
Cependant, l’assimilation du NFT à un « actif numérique » présente un désavantage d’un point de vue de la réglementation financière. En effet, tout service d’achat ou de vente d’actifs numériques contre une monnaie ayant cours légal implique de s’enregistrer obligatoirement en tant que prestataire de service d’actif numérique (PSAN) auprès de l’Autorité des marché financier (AMF).
Par ailleurs, ce régime s’applique aux particuliers et non aux professionnels qui exercent une activité à titre habituel d’achat et de revente de NFTs et de cryptomonnaies.
A priori, un collectionneur qui achète et revend régulièrement reste un « particulier ou assimilé ». Cependant, si cela devient son activité habituelle, il devient un « professionnel », au même titre qu’une galerie.
Cette qualification de « professionnel » dépendra d’un faisceau d’indices relatif aux moyens mis en oeuvre par la personne dans le cadre de cette activité : mise en place de process, logiciel sophistiqué, matériel informatique, rythme de son activité, montants significatifs manipulés, … il ne bénéficiera alors plus de la flat tax de 30 % et sera soumis soit à l’impôt sur le revenu dans le cadre des BIC (prochainement BNC), soit à l’impôt sur les sociétés.
· Le régime fiscal des plus-values sur les biens meubles incorporels (article 150 UA et suivants du CGI)
La loi visant à moderniser la régulation du marché de l’art en date du 28 février 2022 a ouvert le champ d’application des ventes aux enchères publiques aux biens meubles incorporels, là où elles n'étaient jusqu’alors réservées qu'aux seuls biens « meubles et effets mobiliers corporels ». Dès lors, vont pouvoir être vendus aux enchères publiques des marques, des licences ou encore des NFTs.
Si on assimile le NFT à un « bien meuble incorporel », l’acquéreur de NFT sera taxé sur la cession des actifs numériques selon le régime fiscal de l’article 150 VH-bis CGI et devra remplir le Cerfa 2086.
Une opération plafonnée à 5.000 € est exonérée d’impôt, c’est-à-dire qu’un particulier qui achète et revend un NFT, puis convertit le revenu en monnaie fiat pour une valeur inférieure à 5.000 € ne sera pas taxé (article 150 UA, II, 2° du CGI).
En revanche, le vendeur de NFTs en contrepartie d’une cession d’actifs numériques supérieure ou égale à 5.000,00 € se verra taxer sur la plus-value à hauteur de 36,2 % (comprenant 19 % d’impôt sur le revenu et 17,2 % de CSG et CRDS) (articles 150 V à 150 H du CGI).
Le vendeur bénéficiera d’un abattement de 5 % par an à partir de la 3e année de détention du bien.
22 ans de détention l’exonèreraient totalement en remplissant le Cerfa 2048-M (ce qui apparaît improbable pour un NFT).
· Le régime fiscal des œuvres d’art (Article 150 VI et suivants du CGI)
Si le NFT associé à une œuvre d’art numérique est assimilé à une œuvre d’art, le particulier qui acquière des NFTs par des actifs numériques se verra taxer au titre de la cession des actifs numériques en application du régime fiscal de l’article 150 VH-bis du CGI et devra remplir le formulaire Cerfa 2086.
Une opération inférieure ou égale à 5.000 € serait également exonérée d’impôt (article 150 VJ du CGI).
Le particulier qui vend des NFTs en échange d’actifs numériques pour une somme supérieur à 5.000,00 € disposera d’un choix qu’il devra préciser sur le formulaire Cerfa 2091-SD :
- soit être soumis à un prélèvement forfaitaire de 6,5 % sur la plus-value (CRDS incluse) ;
- soit être soumis à une taxe sur la plus-value à hauteur de 36,2 % (comprenant 19 % d’impôt sur le revenu et 17,2 % de CSG et CRDS). Il bénéficiera d’un abattement de 5 % par an à partir de la 3e année et sera exonéré en cas de détention des NFTs pendant 22 ans (article 150 VL du CGI). Cette alternative sera à privilégier dès lors que la plus-value effectuée est inférieure à 18 % du prix de vente.
Le législateur semble loin de retenir cette règle d’assimilation à l’actif sous-jacent « œuvre d’art », la loi de finance pour 2022 l’ayant écartée. Le Gouvernement a considéré ce sujet pas suffisamment mure et reste dans l’attente d’une réglementation européenne y relative.
En tout état de cause, ce rejet paraît justifié. En effet, le sous-jacent n'existe pas toujours, un NFT pouvant porter sur la notoriété d'une personne.
Et, quand bien même le sous-jacent existe, comme c'est le cas pour une oeuvre d'art numérique, il n'entre pas forcément dans la catégorie fiscale existante de l'"oeuvre d'art". En effet, la qualification européenne d’ « œuvre d’art » (qui est la même que celle inscrite dans le cadre de la TVA) implique que deux conditions soient remplies.
D’abord, l’œuvre doit avoir été exécutée par la main de l’artiste. Dès lors qu’il y a intervention d’une machine ou d’un algorithme, l’œuvre n’est plus considérée comme une « œuvre d’art originale ».
Par ailleurs, le nombre d’exemplaires de l’œuvre d’art doit être limité. Or il est difficile d’assurer un nombre limité de tirages originaux d’une œuvre d’art numérique, tant la reproductibilité en est facile. Le NFT pourrait faire évoluer ce point puisqu’il permet de limiter le nombre de NFTs émis et participe à l’authenticité de l’œuvre numérique.
Cependant, un collectible ou une carte numérique resteraient difficilement assimilables à une « œuvre d’art » au sens du droit fiscal ou même du droit d’auteur.
Enfin, si le paiement de 6,5 % sur la plus-value paraît séduisante de prime abord, l’application de ce régime impliquerait que chaque achat de NFT soit générateur d’impôt. Or, notamment dans le secteur du gaming, le nombre de transactions quotidiennes rendrait son application ingérable, chaque achat de NFT impliquant le calcul de la plus-value pour déclarer une ligne par transaction à la fin de l’année.
o et la TVA
Par définition, la TVA appréhende la quasi totalité des activités économiques, les exonérations devant s'interpréter strictement. En principe, une plateforme domiciliée en France et commercialisant des NFTs releverait de la TVA française.
Reste à déterminer la TVA applicable à cette nouvelle classe d’actif qui fait l’objet de beaucoup de débats. L’application d’une TVA à 20 % semble la plus probable.
Il serait également envisageable de tenir compte du sous-jacent du NFT. Par exemple, des cessions ou licences de droit d’auteur pourraient se voir appliquer une TVA à 10 %, et des œuvres originales adossées à un NFT à 5,5 %. Encore faudra-t-il là encore s’accorder sur la notion de « tirage original » défini dans le droit du marché de l’art par référence au Code général des impôts.
L’application de cette TVA pourrait être fonction du nombre de fichiers de l’œuvre numérique associée au NFT, pour ne pas tomber dans le régime moins avantageux du « reproductible ».
Cependant, en l'état du droit européen, l'"oeuvre d'art" au sens fiscal devant avoir été entièrement exécutée à la main, les oeuvres numériques ne pourront bénéficier de ce régime aux taux réduit.
L’application des régimes fiscaux existants aux NFTs apparaît maladroite, inadaptée et source d'insécurité juridique pour le contribuable. Une précision du législateur serait opportune, les différences de régime étant significatives.
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Me. Ronn HACMAN
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