NFT, trois lettres qui bouleversent l’écosystème numérique et révolutionnent les concepts de « rareté », de « propriété » et de « valeur ».
Toute révolution, qu’elle soit industrielle ou technologique, génère de nombreuses incertitudes juridiques. Considérée comme une alternative aux intermédiaires et notamment aux grandes entreprises, la blockchain, technologie sur laquelle reposent les NFT, fournit la plus grande et la plus transparente base de données décentralisée et déshumanisée.
Or, les transactions de tokens s’opèrent via des plateformes leaders reproduisant un mécanisme de système centralisé et structuré par des êtres humains faillibles.
En permettant une vente directe auprès des acquéreurs, le web 3.0 promet une réappropriation par les créateurs des revenus générés par l’exploitation de leurs créations. La concrétisation de cette promesse impliquera cependant un cadrage juridique solide destiné à protéger les acteurs de ces transactions de valeur.
CGV, trois lettres qui symbolisent dans l’inconscient collectif « transparence » et « protection juridique ».
Dans ce contexte, les Conditions générales des ventes produites par ces plateformes tierces au contrat de vente constituent souvent le seul cadre juridique régulant ces transactions décentralisées, et pour l’heure peu respectueuses de la réglementation.
Partant, la question se pose de la légitimité de l’intervention de ces plateformes dans l’encadrement de ces transactions.
En effet, en janvier 2022, Open Sea, l’une des plateformes de vente de NFT leader sur le marché, a procédé au gel de 16 NFT déclarés volés d’une valeur de 615 ETH (soit plus de 2 millions d’euros).
Il y a un an, dans des cas similaires, la plateforme concurrente Nifty Gateway a fait le choix contraire de ne pas intervenir. Cette même plateforme a par ailleurs fait l’objet d’une action formée par un collectionneur anglais qui mérite un bref retour sur les faits.
L’œuvre Abundance de BEEPLE fait l’objet d’une vente aux enchères sur la plateforme Nifty Gateway.
Pour rappel, Beeple, un infographiste encore inconnu il y a un an, est devenu le 3e artiste le plus cher au monde à la suite de la vente de son œuvre Everydays via la société britannique CHRISTIE’S pour un montant de 69 millions $.
Un collectionneur arrive deuxième dans l’ordre des enchérisseurs. Le premier lot est ainsi attribué pour une somme de 1,2 millions $ à Taylor GERRING, cofondateur d’ETHEREUM.
La plateforme indique au plaignant qu’il est arrivé deuxième, et qu’à ce titre il remporte un second lot composé de la deuxième édition de l’œuvre numérique, pour un prix fixé par la plateforme à 650 000 $.
En effet, la plateforme avait prévu au sein de ses CGV un mécanisme d’enchères dites « par rang » attribuant différents lots aux enchérisseurs dans l’ordre de leur place au sein des enchères de clôture. Les 99 premiers enchérisseurs devaient donc également payer une certaine somme pour une autre édition de l’œuvre.
Le collectionneur refuse de payer. La plateforme ayant prévu dans ses CGV un « droit de rétention » en cas d’inexécution contractuelle par l’utilisateur de la plateforme, le collectionneur voit son compte gelé et l’accès à ses 100 NFT bloqués (soit plusieurs millions de dollars). Il se retrouve par conséquent dans l’impossibilité de traiter ses actifs numériques, ne pouvant ni les vendre ni les déplacer.
L’enjeu du litige se situe sur le terrain de la responsabilité de l’inexécution contractuelle, la plateforme considérant que la force obligatoire du lien contractuel généré par les CGV obligerait le collectionneur à se soumettre aux règles d’enregistrement d’adjudication prévues.
Considérant que les CGV étaient imprécises quant au mécanisme d’enchères « par rang », le plaignant poursuit la plateforme en Grande Bretagne (lieu des faits) et aux États-Unis (lieu du siège de la société). Par ailleurs, ces conditions auraient été modifiées deux mois après son acceptation.
Les CGV visent le droit américain issu de la tradition de la common law dominée par la force du contrat et des risques acceptés par les parties. Ce droit est loin du système civiliste français, traditionnellement protecteur de la partie « faible », en l’occurrence le consommateur, et qui impose des obligations d’informations précontractuelles détaillées à la charge des professionnels sous peine de sanction.
En tout état de cause, le point de vue du juge sur cette affaire entraînera des conséquences sur la rigueur imposée aux plateformes quant à la rédaction de leurs CGV et de leur application dans l’espace. Encore faut-il que la clause d’arbitrage contenue dans les CGV ne soit pas retenue par le juge.
La perfection recherchée par les NFT trouve aujourd’hui sa limite dans des CGV inadaptées. Ainsi, pour que la révolution du web 3.0 soit pérenne et que les transactions y soient réellement sécurisées, les CGV devront être respectueuses de la réglementation en vigueur, et notamment des dispositions relatives au droit de la propriété intellectuelle et au droit de la consommation.
Cet enjeu civilisationnel de réappropriation de la valeur par ses créateurs sera fonction de la solidité du cadre contractuelle des transactions. Comme toute révolution, celle-ci doit s’inscrire dans un cadre innovant assurant sécurité juridique et confiance de tous ses acteurs.
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Me. Ronn HACMAN
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