Parvenir à créer de la rareté dans un monde numérique caractérisé par son abondance est sans doute l’aboutissement de la numérisation du monde. L’émergence des NFTs, véhicules de rareté numérique, marque la numérisation des notions de « propriété » et de « transaction ».
Comprendre l’importance des NFTs sur la propriété dans le monde numérique implique une appréhension préalable des fondamentaux relatifs à la technologique blockchain sur laquelle ils reposent, et notamment de leurs modalités de création et de circulation en son sein. Afin d’illustrer notre propos, nous prendrons l’exemple d’une œuvre d’art numérique comme actif sous-jacent lié au NFT.
Au même titre qu’une cryptomonnaie, un NFT pourrait être considéré comme un "actif numérique" par le droit français et européen (articles L.54-10-1 et L.552-2 du Code monétaire et financier et proposition de Règlement MiCA du Parlement européen en date du 24 septembre 2020). Cependant, contrairement à une cryptomonnaie qui est la représentation numérique d’une valeur, un NFT serait la représentation numérique d’un droit.
o LE LIEN ENTRE LE NFT ET L’ŒUVRE D’ART NUMERIQUE
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La création et la circulation du NFT au sein d’une blockchain
La blockchain est une base de données rassemblant un certain nombre d’informations sur une certaine période.
Une blockchain publique comporte trois propriétés principales :
- elle est fortement distribuée : elle est répliquée à l’identique sur des milliers d’ordinateurs répartis dans le monde entier, ce qui assure sa transparence ;
- elle est décentralisée : les ordinateurs sont connectés en réseau ahiérarchique et suivent des protocoles de consensus pour valider les informations stockées ;
- elle est infalsifiable : les données y sont enregistrées de manière immuable.
Au sein de cette technologie, un NFT est créé par un smart contract ou « contrat intelligent ». Pourtant, il ne s’agit ni d’un « contrat », ni d’un contrat « intelligent ». Un smart contract est un petit programme informatique écrit en langage spécifique (comme Solidity, Polygon ou Rust), enregistré dans une blockchain de façon définitive et exécuté afin de produire des résultats.
Son codage très simple est composé de clauses respectant le syllogisme formel « If… , then… » : si tel événement ce produit, cette disposition s’appliquera automatiquement. Par exemple, si tel NFT est cédé, l’adresse émettrice recevra automatiquement une partie du montant de la transaction. « Automate d’exécution de clauses contractuelles », la traduction française officielle de « smart contract », reflète davantage sa vocation d’exécution d’obligations préalablement définies.
Le smart contrat définit ainsi les caractéristiques du NFT et permet de l’identifier en lui attribuant une adresse unique sur un protocole blockchain. Il crée un lien entre l’identifiant du NFT et l’adresse initiale qui l’a émis.
Ainsi, le NFT est un token circulant sur une blockchain avec des instructions associées sur les conditions de son transfert.
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Les métadonnées : la description de l’œuvre numérique
La blockchain n’ayant pas vocation à contenir des formats complexes ou lourds, en principe le smart contract qui a créé le NFT contient une référence URL à un fichier stocké sur une base de données centralisée ou décentralisée externe à la blockchain : un fichier de métadonnées codées sous forme de caractères alphanumériques.
Les métadonnées peuvent également être stockées sur un certain type de blockchains (comme Arweave ou Filecoin).
Deux types de métadonnées principaux sont identifiés:
- des liens URL qui peuvent renvoyer vers l'adresse IPFS de l'image stockée sur une autre base de données off chain ou encore l'adresse IPFS d'une licence;
- les attributs: le nom de l’œuvre numérique associée au NFT, le nom de son auteur, sa description , son historique de propriété, voir les droits intégrés à sa vente comme les licences d’utilisation mises à la disposition du détenteur du NFT.
Il est également possible d'intégrer un lien vers un contrat en format PDF ou JPEG décrivant précisément les droits associés au NFT en respectant le formalisme propre au droit de la propriété intellectuelle.
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Le serveur contenant les données off chain : l’œuvre numérique
Ce fichier de métadonnées ne comprend pas encore l’œuvre numérique qui ne peut pas être codée sous forme de simples caractères alphanumériques. C’est la raison pour laquelle ce fichier comprend également un lien URL faisant référence à un autre fichier informatique externe : le fichier des données comprenant l’œuvre.
Dès lors, si la blockchain contenant le NFT est presque infaillible, le risque cyber sur les métadonnées et les données off chain demeure.
Ainsi, s’agissant par exemple d’une œuvre numérique, il convient de distinguer ces 3 parties:
- la blockchain contenant le NFT créé par smart contract et composé de l’adresse de l’émetteur, d’un identifiant NFT, et d’un lien URL conduisant aux métadonnées ;
- le serveur contenant les métadonnées précisant les caractéristiques de l’œuvre numérique et un lien URL conduisant aux données ;
- un serveur contenant les données, l’œuvre numérique elle-même.
Ce préambule technique est indispensable pour déceler le lien qui existe entre le NFT et l’œuvre. En effet, le NFT n’est pas l’œuvre. Le NFT contient un lien pointant un fichier de métadonnées, pointant lui-même un fichier de données contenant l’œuvre localisée hors de la blockchain.
o LE NFT COMME TITRE DE PROPRIETE NUMERIQUE
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L’œuvre numérique
Le droit d’auteur s’applique à une œuvre dite « originale », c’est-à-dire comprenant l’empreinte de la personnalité de son créateur. Telle peut être le cas d’une œuvre numérique, œuvre supportée par un fichier numérique particulier auquel est associé un NFT, ce qui permet de valoriser ce support.
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Le support numérique
Le droit d’auteur distingue l’œuvre de son support. En effet, l’œuvre étant un élément immatériel vivant dans l’univers du mental et non perceptible par les sens, le support a pour fonction d’incarner l’œuvre.
C’est ce que précise le Code de la propriété intellectuelle notamment en son article L111-3 :
« la propriété incorporelle […] est indépendante de la propriété de l’objet matériel. »
Dans le monde physique, tout support d’une œuvre est unique, non fongible et donc irremplaçable. Pour l’heure, concernant les arts graphiques, seul le support physique est reconnu par le droit français. A priori, l’acquéreur d’un support physique ne se voit reconnaître que le bénéfice d'une exception au droit d'auteur, à savoir un droit d’exposition de ce support physique, à l'exclusion de tout droit de propriété intellectuelle attaché à l’œuvre, faute de cession y relative prévue par contrat distinct.
Dans le monde numérique, un support numérique est fongible et donc interchangeable. En effet, une œuvre sous format JPEG ou HTML est aisément reproductible à l’identique. Cette copie parfaite ne peut pas être distinguée de l'original. Ces supports ne s’épuisant pas de par leur consommation, les économistes parlent de « non-rivalité ». Cette logique de duplication a pour conséquence que les fichiers sont toujours disponibles, évacuant ainsi les possibilités de rareté, de valeur et donc de création d'un marché de l'art numérique.
C’est pourquoi une œuvre numérique contenue sur un support numérique n’est pas considérée par le droit français comme une « œuvre avec un support ». Partant, l’acquisition d’une œuvre numérique n’emporte pas a priori acquisition des droits sur le support qui incarne cette œuvre.
C’est là que le NFT intervient. Le support numérique, bien qu’identique aux autres supports numériques, peut devenir unique de par son association à un NFT par définition non fongible. Le NFT inclut dans la blockchain et associé au support numérique va en effet permettre à ce support d’être répertorié, localisé et ainsi d’être unique. La logique de possession / dépossession est introduite par le NFT, une transaction de NFT impliquant la dépossession de l'ancien propriétaire et la mise en possession de son acquéreur. Le NFT associé au support permet ainsi de créer de l’unicité, ce qui va probablement entraîner une évolution de la notion même de « support ».
Cependant, comme dans le monde physique, le transfert du support numérique n’implique pas en soi le transfert des droits sur l’œuvre incarnée dans le support. Si une œuvre d’art sous format JPEG est adossée à un NFT transféré via une blockchain, il n’y a donc pas de transfert de droits quelconque a priori. L’acheteur du NFT n’a aucun droit d’auteur sur l’œuvre achetée. La cession doit être explicitement formalisée par ailleurs.
Pour conclure, le NFT n’est ni l’œuvre, ni le support de l’œuvre, ni une reproduction du support de l’œuvre.
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Un titre de propriété numérique
Dans le monde physique, l’achat d’une œuvre d’art s’accompagne souvent de la remise d’un certificat émis par le peintre, ses héritiers, une galerie ou un comité d’artistes authentifiant le support comme "original".
En effet, en droit français du marché de l’art, le Décret Marcus en date du 3 mars 1981 relatif à la répression des fraudes en matière de transactions d’œuvres d’art et d’objets de collection oblige les vendeurs d’objet d’art ou de collection, antiquaires ou sociétés de ventes, en cas de demande de l’acheteur, de lui délivrer un certificat d’authenticité contenant des informations sur l’œuvre acquise : sa nature, sa composition, son origine, ses dimensions, sa date de création, la signature de l’auteur,... Ce certificat d’authenticité est une garantie dont la valeur est fonction de l’autorité scientifique de son émetteur.
Dans le monde numérique, le NFT n’est pas en soi un certificat d’authenticité ou d’unicité d’une œuvre d’art. S'il est un titre de propriété numérique infalsifiable ancré dans une blockchain auquel est associé le fichier d’une œuvre, le NFT ne garantit pas à lui seul ni que l’émetteur est bien l’auteur de l’œuvre, ni que la personne qui a minté le NFT est le titulaire des droits y relatifs, ni encore que le fichier de l’œuvre est unique. Des œuvres de l’artiste Xcopy ont ainsi pu être mintées frauduleusement par un minteur utilisant l’adresse de Xcopy, alors que l’artiste n’était pas à l’origine du mintage.
Ainsi, l’authenticité de l’œuvre et sa corrélation avec l’auteur émetteur seront apportées par un faisceau d’indices.
D’abord l’audit du smart contract qui a créé le NFT adossé à l’œuvre permettra d’évaluer sa fiabilité technique.
Des vérifications élémentaires doivent être effectuées par ailleurs par l’acquéreur relatives à l’identité de l’artiste émetteur et à la communauté qui le soutient, le fameux « Do Your Own Research » (= DYOR) : qui a minté l’œuvre ? Comment l’œuvre a-t-elle été sélectionnée ? L’auteur est-il connu par une communauté d’artistes ? Quels sont les critères de cooptation de l’émetteur par d’autres artistes ? L’intermédiation d’un tiers garant de l’identité de l’auteur peut également aider à renvoyer vers une identité certaine de l’émetteur qui est plausiblement l’auteur revendiquant être le créateur de l’œuvre.
Enfin intervient la consistance du NFT, qui pourrait alors faire office de certificat d’authenticité adapté à l’œuvre numérique.
On pourrait même insérer dans le NFT via le lien IPFS pointant les métadonnées un certificat d’authenticité, voir des CGV, qui en tant qu’accessoire de la vente répondraient notamment aux exigences du Décret Marcus, et permettrait de suivre les reventes successives de l’œuvre. Ces métadonnées pourraient être consultées en amont par l’acheteur aux fins de respect du droit de la consommation.
Les CGV intégrées dans le NFT pourront par exemple préciser s’il s’agit d’une cession ou d’une licence de droits de propriété intellectuelle. Ces droits d’exploitation de l’œuvre seraient intégrés au NFT lors de son émission et accompagneraient son achat et toute sa circulation.
Un NFT peut également être lié à une œuvre d’art physique. Il va alors encrer les spécifications de l’œuvre dans la blockchain et permettre au propriétaire initial du support matériel physique d’être rémunéré sur les reventes du support matériel. Mais cette cession reste indépendante des droits sur l’œuvre incorporée au support. Seule une cession de droits par contrat distinct relatives aux éléments liés au NFT permettrait à l’acquéreur d’exploiter l’œuvre.
La valeur du NFT est fonction de sa rareté qui est garantie par l’effectivité des droits accordés à leur détenteur. Les années 2020 offrent aux créateurs une belle opportunité de valoriser et d’optimiser la monétisation de leur art auprès d’un public élargi, à la condition de s'approprier l’encadrement juridique du NFT.
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Me. Ronn HACMAN
Avocat à la Cour
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