Aujourd’hui, plus du tiers des licenciements pour motif personnel font l’objet d’un recours devant le conseil des prud’hommes. Chargée de régler les conflits liés à un contrat de travail, principalement les licenciements contestés, la justice prud’homale à la française est atypique : là où les autres Etats européens confient cette mission à des juges professionnels, la France attribue cette mission à des salariés et des employeurs. Cette méthode se veut plus démocratique mais aussi plus pratique, puisque les juges sont issus du monde du travail et connaissent ses vicissitudes.
La loi °42015-990 du 6 aout 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances, dites loi Macron, prévoit une série de mesures qui viennent bousculer cette institution, exception française, vieille de 200 ans.
Auparavant, la procédure aux prud'hommes se déroulait comme suit : passage des parties devant un bureau de conciliation (étape couronnée de succès dans seulement 6% des cas), puis, audience devant un bureau de jugement composé de deux conseillers salariés et deux conseillers employeurs. Quand ce bureau paritaire n'arrivait pas à faire émerger une décision (dans 20% des cas), l'affaire était portée devant une formation de départage présidée par un juge professionnel.
Si la procédure est jusque-là, relativement simple, force est de constater qu'elle se déroule sur un calendrier extrêmement long (en moyenne une procédure dure 15,6 mois, voire 29 mois quand l'affaire passe en départage) et les décisions rendues sont à 64,5 % portées en appel
(Contre 5,9 % pour les TI et 18,3 % pour les TGI). Et parmi les appels, 71,7 % emportent l’infirmation totale ou partielle du jugement de prud’hommes (contre 53,6 % pour les jugements des TI et 54% pour les TGI). Au final, il reste donc à peine plus de la moitié des jugements de prud’hommes non déjugés (53,75%) contre 96,84 % pour ceux des TI et 90,12 % pour ceux des TGI. Ces dernières statistiques incontestablement traduisent un problème de qualité.
De plus ces délais correspondent à la seule durée séparant la saisine du jugement ; or, les pratiques de nombreux conseils de prud’hommes, par lesquelles le jugement est rédigé après son prononcé allonge encore l’attente du jugement. A titre d'exemple dans la section commerce du conseil de prud'hommes de Paris il peut y avoir plus de six mois d'attente entre le délibéré et la notification du jugement (essentielle pour faire courir le délai d’appel).
La loi Macron est intervenue dans un souci de simplification et surtout d'accélération de la procédure, notamment sur les points suivants :
1) La Formation obligatoire des conseillers
Actuellement, aucune formation initiale de quelque ordre n’est prévue par le Code du travail. Seule une formation continue (en cours de mandat) existe.
Avec la loi Macron, les conseillers prud’homaux employeurs et salariés auront désormais l’obligation de suivre une formation initiale commune, faute de quoi ils seront considérés comme démissionnaires. De plus, ces conseillers devront se conformer à certaines obligations déontologiques. La loi prévoit également la création d’une commission nationale de discipline qui aura le pouvoir de sanctionner les conseillers. Du simple avertissement à la déchéance définitive. Un conseiller pourra être déchu s’il a accepté de se conformer aux directives de son organisation de rattachement au lieu de juger une affaire sur le fond. Le défenseur syndical, qui assiste ou représente le salarié ou l’employeur, aura un vrai statut avec des autorisations d’absence pour l’exercice de ses fonctions et pour ses périodes de formation.
2) Des procédures accélérées grâce à un nouveau bureau de conciliation et d'orientation
Actuellement le passage devant le bureau de Conciliation n'est souvent que pure formalisme et s'avère pour la plupart du temps inefficace. Il s'agit surtout d'établir un calendrier de procédure avec fixation des dates de communication de pièces pour les parties.
Le nom et les attributions du bureau de conciliation sont modifiées par la loi « Macron ».
Le nouveau bureau de conciliation et d’orientation, reste plus que jamais la première étape dans une procédure devant le conseil de prud’hommes, celle de la conciliation. Ses missions sont élargies afin de réduire le délai de jugement.
Le bureau de conciliation et d’orientation est chargé de concilier les parties qu’il peut entendre séparément et dans la confidentialité.
En cas d’échec de la conciliation sur une affaire de licenciement ou de résiliation judiciaire du contrat de travail il peut décider de renvoyer employeur et salarié pour jugement :
- soit devant le bureau de jugement en formation restreinte (1 conseiller prud’homme employeur et 1 conseiller salarié), avec leur accord et si le litige porte sur un licenciement ou une demande de résiliation du contrat de travail. Le bureau devra statuer dans un délai de 3 mois ;
- soit devant le bureau de jugement en formation normale (2 conseillers employeurs et de 2 conseillers salariés) mais présidée par un juge du tribunal de grande instance (juge professionnel), si les parties le demandent ou si la nature du litige le justifie ;
- soit aussi, à défaut de conciliation, devant le bureau de jugement en formation normale simple (2 conseillers employeurs et de 2 conseillers salariés).
Enfin, si une des parties ne comparaît pas personnellement ou représentée (le plus souvent l'employeur en pratique), le bureau peut maintenant juger seul l’affaire, c’est à dire statuer en tant que bureau de jugement en formation restreinte.
Avant de statuer sur l’interprétation d’une convention ou d’un accord collectif, le conseil des prud’hommes peut aujourd’hui solliciter l’avis de la Cour de cassation.
Si le changement de dénomination est immédiat, il n’en va de même des prérogatives nouvellement allouées au bureau de conciliation et d’orientation qui, elles, ne seront mobilisables que pour les seules instances qui auront été introduites à compter de la publication de la loi Macron au journal officiel.
Aussi, s’agissant des dossiers « anciens », le bureau de conciliation et d’orientation continuera à jouir des mêmes prérogatives que celles dont disposait le bureau de conciliation préalablement à la réforme.
On peut regretter toutefois, dans cette optique d'accélération de la procédure, que la version définitive de la loi ait abandonné la possibilité, pour les dossiers "sériels", d’être regroupés au sein d’un seul et même conseil de prud’hommes.
3) L'encadrement des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
La loi établit un barème obligatoire d’indemnités pour les licenciements sans cause réelle et sérieuse. Cette mesure de plafonnement des indemnités aux prud'hommes de la loi Macron a toutefois connu quelques rebondissements. Elle a été Invalidée par le conseil constitutionnel en août dernier mais devrait faire son retour dans les mois à venir.
Indemnités pour une salarié d’une entreprise de moins de 20 salariés / montant en mois de salaire |
Indemnités pour une salarié d’une entreprise de 20 à 300 salariés / montant en mois de salaire |
Indemnités pour une salarié d’une entreprise de plus de 300 salariés / montant en mois de salaire |
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Ancienneté dans l’entreprise < à 2 ans |
3 mois maximum |
4 mois maximum |
4 mois maximum |
Ancienneté dans l’entreprise entre 2 et 10 ans |
2 mois minimum 6 mois maximum |
4 mois minimum 10 mois maximum |
6 mois minimum 12 mois maximum |
Ancienneté dans l’entreprise > ou égale à 10 ans |
2 mois minimum 12 mois maximum |
4 mois minimum 20 mois maximum |
6 mois minimum 27 mois maximum |
Le Conseil Constitutionnel a validé le critère d'ancienneté, mais a rejeté celui associé à la taille de l'entreprise les estimant ce critère contraire au principe d'égalité. Le gouvernement avait voulu rendre plus supportable le coût des licenciements pour les TPE et PME, sans vraiment porter atteinte aux salariés des entreprises les plus importantes qui perçoivent fréquemment des indemnités très élevées, lorsque le conseil de prud’hommes juge le licenciement non justifié. Plus globalement, Emmanuel MACRON avait expliqué que l’objectif visé était d’éviter des excès, qui participant à l’inquiétude des employeurs les conduisent à ne pas embaucher ou à préférer le CDD au CDI. Ce barème était donc destiné à réduire l’incertitude.
Toutefois, en cas de faute de l’employeur de type harcèlement moral ou sexuel, licenciement discriminatoire, violation de l’exercice du droit de grève…, le juge peut dépasser ce barème. A noter que le montant des indemnités perçues s’ajoute aux indemnités légales, contractuelles ou conventionnelles de licenciement dont les barèmes restent eux inchangés.
Ce plafonnement des indemnités prud'homales réclamé par le patronat, fait l'unanimité des syndicats contre lui.
Enfin il importe de préciser que la mise en œuvre de ce fameux plafonnement fait partie des dispositions qui sont présentées par, la loi Macron elle-même, comme étant d’application immédiate. Mais en pratique, ce ne sera pas le cas puisque cette disposition renvoie, pour sa mise en œuvre, à un « décret en conseil d’État » dont la publication n’est, pour l’heure, pas même envisagée....
D'ailleurs et de manière plus générale, ces dispositions ne s’appliquent qu’aux instances prud’homales qui ont été introduites à compter la publication de la loi au journal officiel. Cela sera est de nature à créer, de manière certes très transitoire, une forme de double régime. Les « nouveaux » et les « anciens »dossiers n’étant pas exactement soumis aux mêmes dispositions.
La loi Macron prévoit ici une graduation en trois temps. Certaines dispositions ne seront applicables qu’à horizon d’un an (2-1), d’autres à horizon d’un an et demi (2-2) et d’autres, enfin, pas avant deux ans et demi (2-3).
Au final l'avenir seulement nous dira si cette loi saura participer ou non à l'efficacité, à la simplification et à l'accélération de la procédure.
On peut regretter toutefois que ces litiges salariés/employeurs ne puissent pas être aussi traités en amont, au sein même de l'entreprise via une véritable procédure anticipative interne de résolution des conflits et ce, dans le respect du contradictoire et donc avec un véritable audit du salarié. Actuellement, l'entretien préalable au licenciement est souvent traité comme une simple "formalité" voyant l’employeur ou un DRH lever la séance aussitôt après avoir sèchement notifié le ou les motifs du licenciement envisagé.
L'entretien préalable est pourtant une phase de conciliation, il doit permettre qu'un vrai dialogue puisse s'instaurer et conduire à une solution du problème qui ne se traduise pas nécessairement par le licenciement du salarié.
Pourtant en pratique a ce stade, les "dés sont souvent joués " et le salarié qui veut faire prendre en compte son problème a pour seule option de saisir les prud’hommes, au risque de perdre son emploi s’il le fait quand il est en poste, pour une justice qu'il espèrera rapide et efficace.
SOURCE • Loi n° 2015-990 du 6 août 2015, JO 7 août