LE POINT SUR LA DECHEANCE DE LA NATIONALITE EN DROIT FRANCAIS

Publié le Modifié le 05/01/2016 Vu 9 010 fois 2
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Le projet de loi constitutionnelle de protection de la nation qui prévoit d’étendre la déchéance de nationalité à tous les binationaux, y compris ceux nés en France, pour les auteurs de crimes les plus graves, suscite une controverse passionnée. Or la déchéance de nationalité visant à sanctionner les auteurs des «crimes contre la vie de la Nation» ne date pas aujourd’hui et apparaît extrêmement déjà encadré par l’arsenal législatif français.

Le projet de loi constitutionnelle de protection de la nation qui prévoit d’étendre la déchéance de nati

LE POINT SUR LA DECHEANCE DE LA NATIONALITE EN DROIT FRANCAIS

Le projet de loi constitutionnelle de protection de la nation qui prévoit d’étendre la déchéance de nationalité à tous les binationaux, y compris ceux nés en France, pour les auteurs de crimes les plus graves, suscite une controverse passionnée. Or la déchéance de nationalité visant à sanctionner les auteurs des «crimes contre la vie de la Nation» ne date pas d’aujourd’hui et apparait extrêmement déjà encadré par l’arsenal législatif français.

Sur le plan du droit, il convient tout d’abord de distinguer le régime de la « perte » de la nationalité française, du régime de la « déchéance » de la nationalité française. Les articles 23 à 23-9 du code civil définissent les cas pour lesquels la perte de la nationalité française est possible, soit à la demande de la personne elle-même, soit par à titre de conséquence d’un comportement précis qui peut entraîner cette perte de la qualité de français, même sans l’accord de la personne intéressée.

Pour leur part, les articles 25 et 25-1 du code civil organisent la "déchéance" de nationalité pour un individu qui a acquis la nationalité française et en détient une autre.

A l’heure actuelle, les bi nationaux de naissance sont « épargnés » par les dispositions de l’article 25 du Code Civil et donc ne peuvent être déchus de leur nationalité. Toutefois, l'article 23-7 du Code civil prévoit la perte de nationalité lorsqu'un citoyen français "se comporte en fait comme le national d'un pays étranger", quel que soit le mode d'acquisition de sa nationalité française (né en France ou naturalisé). En tout cas, il n'est pas applicable aux djihadistes binationaux puisque l’organisation état islamique (Daech) n'est pas reconnue internationalement comme un État. C'est pour cette raison que François Hollande veut créer, par la loi, un cas supplémentaire qui serait opposable aux terroristes nés français.

Le Conseil d'État, sollicité par le gouvernement, lui recommande de modifier préalablement la Constitution.

  • Sur les évolutions historiques de la déchéance et de son champ d’application :

- Avant 1940 : Sur la déchéance pour tout français pratiquant l’esclavage et lors de la 1ere guerre mondiale, élargie aux français originaires de pays ennemis.

La procédure de déchéance de nationalité est née avec le décret d'abolition de l'esclavage en 1848, qui précise que tout Français qui continue de pratiquer l'esclavage pourra être déchu de sa nationalité.

Une mesure exceptionnelle qui a ensuite été régulièrement élargie en période de conflits: au moment de la Première Guerre mondiale, lorsqu'une législation spéciale permettait de déchoir des Français originaires des pays avec laquelle la France était en guerre en cas de trahison. Plus de 500 personnes sont touchées.

-Sous le régime de Vichy et jusqu’en 1945 : la déchéance massive et arbitraire touchant les français de naissance

Sous le régime de Vichy, la déchéance a été massive ; À la suite de la loi du 22 juillet 1940, Alibert,  ministre de la justice, crée une commission de révision des 480 000 naturalisations prononcées depuis 1927 (1927, parce que la loi du 10 août 1927 facilitait l’acquisition de la nationalité française en réduisant de dix à trois ans la durée de domiciliation sur le territoire (cinq ans aujourd’hui) et en multipliant les cas d’accession automatique).

En réalité, même si la loi n’en soufflait mot, la commission  était d’abord dirigée contre les juifs. 15 000 personnes, dont 40 % de juifs, ont été déchues de leur nationalité sous le régime de Vichy.

Avec la loi du 22 juillet 1940 : tous les français, naturalisés ou de naissance, étaient touchés par la déchéance et ce de façon officiellement arbitraire puisque Philippe Pétain entendait réviser « toutes les acquisitions de nationalité française ».

Ces dispositions ont été annulées après-guerre et une ordonnance de 1945 a fixé les grandes lignes de la déchéance de nationalité. Elles ont peu bougé depuis.
 

  • Sur le droit actuellement en vigueur et la restriction de la déchéance aux seuls français binationaux ayant acquis la nationalité française.

Depuis 1973, l’acquisition de la nationalité française n’est plus subordonnée à la renonciation à la nationalité étrangère. Il y a donc un certain nombre de binationaux.

Aujourd’hui, la déchéance de nationalité est régie par l'article 25 du code civil et ne concerne plus que les binationaux ayant acquis la nationalité française.

A ce titre il convient de rappeler que le droit de la nationalité actuellement en vigueur prévoit que l’acquisition de la nationalité française peut s’opérer selon deux modes principaux :

  • par attribution en vertu du droit du sang ou par l’effet du double droit du sol. Le droit du sang est établi par l’article 18 du code civil : "est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français". Le double droit du sol est prévu par l’article 19-3 du code civil : "est français l’enfant né en France lorsque l’un de ses parents au moins y est lui-même né".

Dans des cas exceptionnels (enfant né de parents inconnus ou apatrides), un droit du sol pur permet d’attribuer la nationalité française sans autre condition que la naissance sur le sol français.

  • par acquisition. Un étranger peut acquérir la nationalité française soit au titre de la naissance et de la résidence en France, soit en raison de son mariage avec un conjoint français, soit en raison d’une décision de l’autorité publique au terme d’une procédure de naturalisation.

L’article 25 ne cite que quatre conditions pour être déchu de sa nationalité:

  • le terrorisme,
  • la haute trahison,
  • l'espionnage,
  • ou les actes préjudiciables à la France commis au profit d'un Etat étranger. 

Il faut donc être binational, c'est-à-dire posséder une autre nationalité que la nationalité française. Mais jusqu'à présent,  les binationaux nés en France ne peuvent pas être déchu de leur nationalité française.

La loi indique également que pour perdre sa nationalité, il faut l'avoir acquise.

Un individu né en France ne peut donc pas être déchu de sa nationalité, sous peine de devenir apatride et d'aller ainsi à l'encontre de l'article 15 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, lequel dispose que «tout individu a droit à une nationalité» et «nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité».

Autrement dit, dans le droit actuel, la déchéance de nationalité ne peut concerner que les personnes qui ont acquis la nationalité française et qui ont une double nationalité (depuis la loi Guigou de 1998, la déchéance étant exclue si elle a pour résultat de rendre apatride). Elle ne peut être prononcée que si les faits reprochés se sont produits avant l’acquisition de la nationalité française ou dans un délai de dix ou quinze ans (crime relevant du terrorisme ou de l'atteinte aux intérêts de la Nation) à compter de la date de cette acquisition.

En conséquence, déjà, bien avant 2015, la loi opérait une distinction entre les français : les binationaux et les uni nationaux. Et au sein des binationaux : ceux né en France et ceux naturalisés. Personne ne s’en était jamais offusqué.

En pratique, la disposition est peu usitée. Selon le ministère de l’Intérieur, 26 déchéances de nationalité ont été prononcées depuis 1973, dont 13 pour terrorisme.

Le droit de la déchéance de la nationalité n’a donc pas vraiment évolué depuis la loi Guigou de 1998.

En 2010, Nicolas Sarkozy avait souhaité étendre la déchéance à  « toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un policier, d’un gendarme ou de toute personne dépositaire de l’autorité publique. » L’ancien président visait les délinquants d’origine étrangère et ne se limitait pas aux actes de terrorisme.

A cette époque, François Hollande alors dans l’opposition, jugeait ce projet dangereux et un certain Manuel Valls le considérait « insupportable »…

  • Que changerait le projet d’extension ?

Outre son inscription dans la Constitution française, validée par le Conseil d'Etat, François Hollande souhaite étendre la possibilité de déchéance de nationalité aux binationaux nés en France.  Avec cette extension, la déchéance ne touchera donc pas seulement les naturalisés mais les bi-nationaux à la naissance. 

En revanche et toujours dans le souci d’éviter la situation d’apatride, les individus nés en France et n'ayant pas d'autre nationalité, eux, ne peuvent toujours pas être déchus de leur nationalité.

Il semble donc au contraire que le projet Hollande ne porte pas atteinte au principe d’égalité en ce que la distinction binationaux nés en France et binationaux naturalisés sera abandonnée. Et c’est ce qu’a d’ailleurs considéré le Conseil d’Etat jugeant qu’il est déjà possible de priver de leur nationalité les Français qui l’ont acquise.

En aucun cas il ne s’agit d’un retour aux critères de 1940, puisque seuls sont visés les binationaux et que la loi reste toujours encadrée par les strictes conditions de l’article 25.

Ce projet d’extension qui exige une révision de l’article 34 de la constitution rendrait donc possible une déchéance de nationalité « pour les binationaux nés Français », et plus seulement pour ceux qui ont acquis la nationalité.
 

Cependant le Conseil d’Etat rappelle que cette mesure « pourrait se heurter à un éventuel principe fondamental reconnu par les lois de la République » qui interdit de priver les Français de naissance de leur nationalité. Surtout, la nationalité est « un élément constitutif de la personne », dont la privation pourrait être regardée « comme une atteinte excessive et disproportionnée » par la Cour européenne des droits de l’homme. La Cour de justice de l’Union européenne pourrait également avoir à se prononcer sur la conformité au droit de l’Union.

Alors que certains s’inquiètent pour l’ensemble des binationaux, dont le nombre est évalué entre 3 et 3,5 millions en France, Manuel Valls l’a admis lui-même : cette extension « ne concernera qu’un nombre limité de personnes » et sera surtout symbolique. Seuls deux des auteurs des attentats du 13 novembre, par exemple, auraient été visés par le dispositif : Ismaïl Mostefaï, franco-algérien, et Bilal Hadfi, franco-belge. Les quatre autres terroristes n’avaient qu’une seule nationalité.

En réalité, c’est sur l’utilité et le fondement juridique de la mesure que le débat devrait se situer.

Et l’organisation Etat islamique n’imaginait sans doute pas qu’elle amènerait la France à changer sa loi suprême et sanctionner la haine de la France par la déchéance est évidemment extrêmement symbolique. Or, la vocation d’une sanction est-elle vouée à rester symbolique ? Ne serait-il pas plus coercitif d’agir sur le terrain pratique de la solidarité nationale dont bénéficient souvent les terroristes eux-mêmes, les candidats au jihad et leurs familles ? Le RSA et les allocations familiales étant très probablement plus précieux à leurs yeux que la nationalité française.

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1 Publié par Visiteur
29/12/2015 20:00

Tres clair. Enfin un point précis.

2 Publié par Visiteur
29/12/2015 20:04

Par contre je ne partage pas votre avis, les symboles sont essentiels en politique ! Merci a vous