Cet été, une trentaine de communes dont Cannes et Villeneuve-Loubet, ont fait interdire sur leurs plages des tenues regardées comme manifestant de manière ostensible une appartenance religieuse.
La première mairie à avoir déposé un arrêté de ce type étant celle de Cannes, le 28 juillet interdisant le port du burkini, maillot de bain couvrant le corps des chevilles aux cheveux, permettant aux femmes musulmanes pratiquantes de porter une tenue en adéquation avec leurs pratiques religieuses.
Ces décisions ont indigné la presse internationale et provoqué un débat dans la classe politique française et jusqu’au sein même du gouvernement, ravivant les tensions au sein de la population française, dans un contexte marqué par une série d'attentats.
Deux visions de la laïcité sont confrontées, l'une, radicalement républicaine et laïciste. L'autre, multiculturaliste et libérale.
S’en sont suivis des recours formés notamment, par, la Ligue des Droits de l’Homme.
S’agissant de l’arrêté de Villeneuve-Loubet, c’est la procédure du référé-liberté qui a été utilisée, lequel permet, dès lors que l’on considère qu’une liberté fondamentale a été violée par l’administration, de saisir le juge administratif d’une procédure d’urgence à l’occasion de laquelle les délais d’examen sont très courts.
Le juge des référés du Tribunal Administratif de Nice a considéré que l’arrêté s’il portait atteinte à une liberté publique, était justifié par un risque de troubles à l’ordre public.
Et c’est sur cette interprétation que le conseil d’État est revenu. Il s’est donc prononcé uniquement sur la décision prise en référé et la décision au fond n’a toujours pas été prise.
Le Conseil d’Etat, s’est prononcé, vendredi 26 août, contre l’arrêté « anti-burkini » de Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes). L’ordonnance du tribunal administratif de Nice qui l’avait validée le 22 aout, a été ainsi annulée par la plus haute juridiction administrative. L’exécution de l’arrêté est donc suspendue.
Cette ordonnance suspendant le caractère exécutoire de cet arrêté anti-burkini a fait l’objet d’une instrumentalisation immédiate : par les « pro-burkini » d’une part, comme une victoire contre la répression des libertés individuelles, et par les « anti-burkini » comme la démonstration d’une certaine forme de soumission à l’islamisme radicale et la nécessité de légiférer considérant le burkini comme le support d’une conviction religieuse intégriste à combattre.
Et c’est l'éternel débat juridique et politique sur le rapport entre sécurité et liberté qui est ici ravivé.
La presse s’est enflammée considérant qu’il s’agissait d’un « arrêt de principe » et que par conséquent les 25 autres arrêtés anti-burkini devaient être retirés par les maires qui les avaient pris.
Or, cette décision n’est pas ce que l’on appelle un arrêt de principe, c’est une « décision d’espèce », et l’ordonnance ne concerne que l’arrêté du maire de Villeneuve-Loubet.
En outre, rappelons qu’il s’agit d’une « ordonnance de référé », et non d’une décision au fond, et que celle-ci ne dispose pas de ce que l’on appelle « l’autorité de la chose jugée ».
Elle a simplement « force exécutoire » dans sa suspension du caractère exécutoire de l’arrêté.
Cela signifie que le Tribunal Administratif de Nice, lorsqu’il va juger au fond la légalité de l’arrêté de Villeneuve-Loubet, peut très bien ne pas l’annuler.
Autrement dit, ce débat est loin d’être clos puisque la bataille juridique ne fait que commencer.
Que dit la loi ?
Interdire le burkini ne relève pas du domaine de la loi.
Depuis la loi du 11 octobre 2010, seul le port du voile intégral (qui recouvre le visage) est interdit, il inclut la burqa et le niqab, dans les lieux publics. Sont ainsi concernés la rue, les transports en commun, les commerces, les hôpitaux, les administrations ou encore les cinémas. Aucune référence à l'islam n'est néanmoins mentionnée dans le texte de loi. Celui-ci dispose que «Nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage», en ce sens que ces pratiques «peuvent constituer un danger pour la sécurité publique et méconnaissent les exigences minimales de la vie en société».
Cela ne concerne pas le burkini qui couvre uniquement les cheveux.
Le hijab, tout comme le tchador iranien, sont autorisés en France dans tout l'espace public, à l'exception des écoles, collèges et lycées publics, et ce depuis la loi du 15 mars 2004 qui interdit le port de signes religieux jugés « ostensibles» dans les établissements scolaires. Le texte de loi proscrit également le port de la kippa, de grandes croix chrétiennes ou encore du dastar.
Mais la plage n’est pas un établissement scolaire.
Il revient donc au maire de décider, ou non, de l'interdire. Il faut un motif : dans ce cas, il s'agit du risque de troubles à l'ordre public. L'arrêté municipal de Cannes invoque "le contexte de l'état d'urgence et les récents attentats islamistes" pour interdire "l'accès aux plages et à la baignade à toutes personne qui n'aurait pas une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité". Une interdiction qui était ponctuelle jusqu'au 31 août, sanctionnée en cas d'infraction d'une amende de 38 euros.
Alors quels sont les arguments des uns et des autres ? et quelle est leur force juridique ?
1. Les arguments « anti-burkini »
Les partisans de l'interdiction du burkini invoquent de nombreux arguments « non juridiques », ayant attrait notamment à la laïcité et l’égalité hommes/femmes ;
- La laïcité
Les anti-burkini invoquent le non-respect de la laïcité, estimant que le port du burkini n'est « pas compatible avec les valeurs de la France et de la République ». Le Premier ministre a considéré que « les plages, comme tout espace public, doivent être préservées des revendications religieuses ».
Or que dit la loi de 1905 sur la laïcité ? Cette loi affirme la neutralité de l'État vis-à vis de tous les cultes.
Cela ne signifie pas que l'espace public doit être laïc, ni que les citoyens doivent l'être.
Il était donc difficile, d'un point de vue juridique, de justifier l'interdiction du burkini sur le fondement de la loi de 1905, sauf à en faire une interprétation extensive et à confondre laïcité et laïcisme.
- L’égalité hommes/femmes
Le burkini est-il un vêtement neutre, ou un marqueur communautaire ayant une réelle signification politique fondé notamment sur l'asservissement de la femme ? M. Valls, a déclaré que, derrière le burkini, « il y a l'idée que, par nature, les femmes seraient impudiques, impures, qu'elles devraient donc être totalement couvertes ».
Là encore s’il est manifeste que le burkini n'est pas un vêtement neutre, Il est difficile de le considérer comme le signe d'un asservissement de la femme lorsqu’il est porté par la personne de son propre gré et de manière quasi militante.
L’argument de l’inégalité entre l'homme et la femme ne pouvait être utilement soutenu devant la juridiction administrative. C’est pourquoi le trouble à l'ordre public est le seul fondement juridique qui pouvait justifier cette interdiction.
- L’argument retenu par le tribunal : le risque pour l’ordre public
Le Tribunal administratif a préféré invoquer la notion de risque pour l’ordre public afin de justifier l’interdiction. En effet, en l'absence de loi interdisant cette tenue, le trouble à l'ordre public est le seul fondement juridique qui peut justifier cette interdiction.
Alors que la France a été touchée par une série d'attentats perpétrés au nom de l'islam radical, les maires craignent que le port du burkini attise les tensions et suscite la crainte des autres baigneurs, qui pourraient assimiler, à tort, cette tenue à celle des adeptes de l'islam radical.
Cette interdiction se veut donc sécuritaire et préventive.
Un aspect important du jugement rendu par le tribunal administratif de Nice était en outre invoqué : le «contexte » des attentats terroristes qui justifiait, selon le tribunal, l’arrêté de Villeneuve-Loubet. Sur ce point, le Conseil d’Etat réplique que « l’émotion et les inquiétudes résultant des attentats terroristes, et notamment de celui commis à Nice le 14 juillet dernier, ne sauraient suffire à justifier légalement la mesure d’interdiction contestée ».
Il est possible toutefois que la décision au fond à venir revienne sur ce fondement.
2. L’argumentaire « pro burkini »
C’est avant tout le principe de liberté qui est invoqué, au premier rang duquel figure celle de conscience, qui suppose que chaque individu doit être libre de ses choix, notamment en matière vestimentaire. Les opposants à l'interdiction du burkini soutiennent que le principe de liberté doit primer sur le reste.
L’ordonnance du Conseil d’Etat précise notamment que « l’arrêté litigieux a (…) porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle ».
« Si le maire est chargé du maintien de l’ordre dans la commune, il doit concilier l’accomplissement de sa mission avec le respect des libertés garanties par les lois »
Et s’il restreint des libertés, il ne peut le faire qu’en considération de « risques avérés d’atteinte à l’ordre public ».
Et imparablement, le Conseil d’État a constaté « qu’il ne résulte pas de l’instruction que des risques de troubles à l’ordre public aient résulté sur les plages de la commune de Villeneuve-Loubet de la tenue adoptée en vue de la baignade par certaines personnes. »
Faut-il légiférer ?
Pourtant près de 70 % de français sont opposés au burkini comme emblème de l’islamisme radical . Et dont ils considèrent, à tort ou à raison qu’il alimente le djihadisme, mais surtout qu’il propose une France communautarisée dont ils ne veulent pas.
Force est de constater que les arguments anti burkinis auront du mal à céder sous le poids des libertés fondamentales garanties par les lois de la république.
Le débat a pourtant le mérite d’exister en France et nulle part ailleurs. Car on l’a bien compris, ce n’est pas contre le burkini que ses opposants se proposent de lutter, mais contre la progression de cet islam intégriste et anti-républicain.
L’arsenal législatif actuel semble peu adapté pour ce combat.
Alors faut-il légiférer ? et de quelle manière ? en 2010, sur la question du voile, on a trouvé un équilibre qui nous a fait interdire la croix et la kippa dans l'école. Sur la burqa, c'est de se couvrir le visage…Comment ne pas tomber dans l’écueil de l’anti constitutionnalité ? autant de questions passionnantes qui viendront alimenter un peu plus ce débat sous lequel se cache au fond un combat éminemment plus large.