D’abord un bref historique. En matière civile, c’est le code civil de 1804 qui reste en vigueur au Bénin. Le siège de la responsabilité civile des enseignants est l’article 1384 alinéa 4 du Code suscité qui dispose : « Les instituteurs et les artisans, du dommage causé par leurs élèves et apprentis pendant le temps qu'ils sont sous leur surveillance».
Ainsi, la responsabilité des enseignants peut être engagée tant pour les dommages subis du fait de l'élève que pour ceux qu'il est susceptible d'occasionner pendant le temps scolaire.
Puis les personnes concernées par l’article 1384 du Code civil. Il s’applique indifférement aux enseignants des établissements publics et privés.
Ensuite la juridiction compétente. La question se pose avec plus d'acuité quand c'est la responsabilité de l'enseignant d'un établissement public qui est mise en cause. On est alors tenté de répondre que c’est la juridiction administrative qui est compétente pour connaître de ces litiges. En effet, on semble reconnaître un cas de responsabilité de l’Etat pour les dommages causés par le fait de leurs agents. Mais ce schéma de pensée est erroné pour une unique raison: l'existence de la loi du 5 avril 1937 modifiant les règles de preuves en ce qui concerne la responsabilité des instituteurs et le dernier alinéa de l'article 1384 du Code civil relatif à la substitution de la responsabilité de l'Etat à celle des membres de l'enseignement public.
Celle-ci, en son article 2, substitue dans un premier temps la responsabilté de l'Etat à celle des membres de l'enseignement public engagée à la suite d'un fait dommageable commis par des élèves sous leur surveillance. Dans un second temps, elle donne compétence aux tribunaux judiciaires de droit commun pour connaître des actions exercées contre l’Etat pris, non comme civilement responsable, mais comme substitué aux membres de l’enseignement public.
On ne refera pas ici l’historique de la constitution du droit positif béninois. On n’insistera pas sur sa dualité juridique : d’une part de nouvelles lois consacrées par le législateur béninois, d’autre part des lois édictées par l’administration coloniale et qui ont été simplement reconduites par les Etats indépendants.
La seule question qui intéresse quant à la loi du 5 avril 1937 est de savoir si elle est applicable au Bénin. La réponse à cette préoccupation suppose la vérification de deux éléments. Le premier procède de ce que la loi dont s’agit a vu son application élargie aux colonies de la France. Le second a trait à sa non abrogation par des textes postérieurs.
Le premier élément. Il s’agit de rechercher le décret d’application de la loi du 5 avril 1937. A cet égard, on rapporte l'existence du décret du 3 juillet 1938 portant extension aux colonies, exception faite pour les Antilles et la Réunion ainsi qu'aux pays de protectorat et du ministère des colonies des dispositions de la loi du 5 avril 1937 sur la responsabilité civile des membres de l'enseignement public. dès lors, l’application de la loi sus citée a été étendue aux colonies françaises dont le Dahomey d’alors et Bénin d’aujourd’hui.
Le second élément. Il n’existe, à notre connaissance, dans l’ordonnancement juridique béninois aucune loi abrogeant explicitement ou implicitement cette loi et subséquemment son décret.
De ce qui précède, on peut conclure que le Bénin a réceptionné dans son arsenal juridique la loi du 5 avril 1937 relative à la responsabilité des membres de l’enseignement public. Par conséquent, la juridiction compétente pour connaître de la responsabilité de l'Etat substitué aux enseignants d'établissements publics est le tribunal de l’ordre judiciaire.
Enfin la portée de la loi du 5 avril 1937. Cette loi a institué une responsabilité générale de l’Etat, mise en jeu devant les tribunaux de l’ordre judiciaire, pour tous les cas où un dommage causé par un élève a son origine dans la faute d’un membre de l’enseignement public. Néanmoins, il peut être dérogé à cette règle dans le cas où le préjudice subi doit être regardé comme indépendant du fait de l’agent, soit que ce préjudice ait son origine dans un dommage afférent à un travail public, soit qu’il trouve sa cause dans un défaut d’organisation du service.
CE 25 mars 1983, Héritiers de J. Bacou : JCP 1984. II. 20287, note Mirieu de Labarre.
T. Conflits 4 mai 1987 : D. 1987. IR 157.
6 mars 1989 : D. 1989. IR 137.
Néanmoins la disposition selon laquelle la responsabilité de l’Etat est substituée à celle des membres de l’enseignement public, lesquels ne peuvent jamais être mis en cause devant les tribunaux civils par la victime ou ses représentants, par sa généralité, ne permet pas d’exclure l’hypothèse d’un préjudice de quelque nature que ce soit causé à l’enfant par le professeur lui-même.
Civ. 2ème, 3 oct. 1984 : Bull. civ. II, n° 141 ; R., p. 106.
Civ. 2ème, 28 mars 1966 : Bull. civ. II, n° 422 ; JCP 1966. II. 14835, note Bigot.
Aussi, le recours contre l'Etat prévu par la loi du 5 avril 1937 n'est pas réduit à la victime
ou à ses parents. L'élève reconnu responsable ou l'assureur subrogé dans ses droits, sont fondés à exercer ce recours pour obtenir un partage de responsabilité entre cet élève et l'Etat, lorsqu'un défaut de surveillance a permis le jeu dangereux au cours duquel est survenu l'accident.
Paris, 18 janv. 1964, D. 1964. Somm. 97.
Loi du 5 avril 1937 modifiant les règles de la preuve en ce qui concerne la responsabilité des instituteurs et le dernier alinéa de l’article 1384 du Code civil relatif à la substitution de la responsabilité de l’Etat à celle des membres de l’enseignement public
Art. 1 – Les dispositions de l'article 1384 (paragraphe 5) du Code civil sont modifiés de la façon suivante : " La responsabilité ci-dessus a lieu, à moins que les père et mère et les artisans ne prouvent qu’ils n’ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité.
" En ce qui concerne les instituteurs, les fautes, imprudences ou négligences invoquées contre eux
comme ayant causé le fait dommageable, devront être prouvées, conformément au droit commun, par le demandeur, à l’instance. "
Art. 2 – La loi du 20 juillet 1899 est abrogée et remplacée par les dispositions suivantes :
" Dans tous les cas où la responsabilité des membres de l’enseignement public est engagée à la suite ou à l’occasion d'un fait dommageable commis, soit par les enfants ou jeunes gens qui leur sont confiés à raison de leurs fonctions, soit à ces enfants ou jeunes gens dans les mêmes conditions, la responsabilité de l’État sera substituée à celle desdits membres de l’enseignement, qui ne pourront jamais être mis en cause devant les tribunaux civils par la victime ou ses représentants.
" Il en sera ainsi toutes les fois que, pendant la scolarité ou en dehors de la scolarité dans un but d’éducation morale ou physique, non interdit par les règlements, les enfants ou jeunes gens confiés ainsi aux membres de l’enseignement public se trouveront sous la surveillance de ces derniers.
" L'action récursoire pourra être exercée par l’État, soit contre l'instituteur, soit contre les tiers, conformément au droit commun.
" Dans l’action principale, les membres de l’enseignement public contre lesquels l’État pourrait éventuellement exercer l’action récursoire ne pourront être entendus comme témoins.
" L’action en responsabilité exercée par la victime, ses parents ou ses ayants droit, intentée contre l’État ainsi responsable du dommage, sera portée devant le tribunal de grande instance ou le juge d’instance du lieu où le dommage a été causé et dirigée contre le préfet du département.
" La prescription en ce qui concerne la réparation des dommages prévus par la présente loi sera acquise par trois années à partir du jour où le fait dommageable a été commis. "