La constitution d’une société est un engagement entrepreneurial, mais également et surtout un acte juridique « par lequel deux ou plusieurs personnes conviennent d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice, de profiter des économies qui pourra en résulter, ou le cas échéant de contribuer aux éventuelles pertes » (Article 1832 du Code Civil).
La prérogative principale de l’actionnaire d’une société est son droit de vote lors des assemblées générales.
Le droit de vote est un principe fondamental qui est affirmé par l'article 1844 du Code civil qui dispose ainsi que « tout associé a le droit de participer aux décisions collectives ».
En fonction du type de sociétés et du type de résolutions soumis au vote des actionnaires lors des assemblées générales, les règles de majorité varient.
Cependant, les statuts peuvent modifier les règles de majorité des votes, notamment dans les SAS, et ce en fonction des résolutions soumises au votre lors des assemblées générales ordinaires ou extraordinaires.
Les actionnaires majoritaires et les actionnaires minoritaires peuvent avoir des intérêts divergents, et des tensions peuvent naître à l’occasion du vote d’un certain nombre de délibérations.
Un tel rapport de force entre ces deux catégories d’actionnaires peut donner lieu à des conflits dont notamment l’« abus de majorité » qui se définit d’une manière générale par le fait qu’une majorité d’actionnaires ou d’associés utilisera son droit de vote en assemblée générale dans le but de nuire aux actionnaires ou associés minoritaires.
Deux critères doivent être remplis d’une manière cumulative pour constituer un abus de majorité :
· Un vote des majoritaires contraire à l’intérêt de la société
· Un non-respect de l’égalité entre les associés : une décision prise dans l’unique but de favoriser les membres de la majorité au détriment des membres de la minorité
Une fois ce cadre juridique posé, le juge décidera ou non de l’existence d’un abus de droit en prenant en compte les causes et les conséquences du vote ou du non-vote lors de l’assemblée générale.
Ci joint, quelques exemples concrets d’abus de majorité retenus par la jurisprudence :
- Le cas des de la mise en réserve systématique des bénéfices au poste « réserves » ou « report à nouveau » :
Lorsque les actionnaires majoritaires décident d’affecter systématiquement la totalité des bénéfices de la société en réserve sans intentions d’investir ou d’améliorer la trésorerie de la société ou la valeur des actions, il pourrait s’agir d’un abus de majorité.
Dans une décision de la Cour de cassation (Civ. 3e ch. 12 novembre 2012, n° 14-23716) les magistrats avaient jugé que les délibérations n’avaient pas été justifiées par des investissements de l’intérêt de la société. Ces délibérations avaient au contraire nui à l'associé minoritaire qui n’avait lui aucune autre source de revenus ; ces votes des majoritaires avaient constitué un abus de majorité privant le minoritaire d’un droit à dividendes.
En l’espèce, l’assemblée générale ordinaire d’une SCI avait affecté la quasi-totalité des bénéfices réalisés pendant quatre ans au compte « report à nouveau ». L’associé minoritaire avait assigné la SCI en annulation des délibérations.
La Cour suprême a approuvé la décision de la Cour d’appel d’avoir annulé de telles délibérations. En conséquence, la SCI fut condamnée à indemniser le minoritaire en lui accordant des dommages et intérêts à hauteur des dividendes qu’il aurait dû percevoir.
- Le cas d’un accord d’une caution hypothécaire :
Une assemblée générale appelée à se prononcer sur une délibération relative à l’autorisation pour la société de donner une garantie hypothécaire à un tiers pourra éventuellement être constitutif d’un abus de majorité. Tel a été le cas dans cette décision de la Cour de cassation (Cass. 3e civ. 25-3-1998 n° 96-17.307) où une société avait apporté son bien immobilier en garantie d’un prêt contracté par un des associés majoritaires. A l’évidence cette garantie apportée par la société est contraire à l’intérêt de la société et ne peut qu’être nuisible à l’associé minoritaire. En effet, dans ce cas précis le prêt avait été contracté au profit de l’actionnaire majoritaire seul, rompant ainsi l’égalité entre les associés ; créant au surplus un risque pour la société si le prêt n’est pas remboursé par l’associé majoritaire. Il s’agit là d’un cas grave d’abus de majorité.
- Le cas d’une rémunération excessive du gérant :
La rémunération du gérant est fixée soit par les statuts de la société soit par une décision collective des associées prise lors d’une assemblée générale. D’après la décision de la Cour de cassation (Cass. Com 4 octobre 2011), le gérant a le droit de vote lors d’une assemblée générale pour statuer sur le montant de sa rémunération. Cependant, le gérant qui est aussi associé majoritaire peut dans certains cas s’octroyer une rémunération dite abusive allant à l’encontre des intérêts de l’associé minoritaire mais également à l’encontre de la santé financière de la société.
La jurisprudence a retenue l’existence d’abus de majorité en s’appuyant sur une première décision de la Cour de cassation du 04 Octobre 2011 (Cass Com, 4 octobre 2011, 10-23.398) confirmant une rémunération abusive du gérant car le solde de la rémunération correspondait à deux fois le montant du bénéfice d’une année de la société. De plus, une deuxième décision de la Cour de cassation du 1er Juillet 2003 dénonce l’accord à titre de prime aux gérants d’un montant abusif et contraire à une politique d’investissement inexistante de la société. Il s’agit d’un cas précis d’abus de majorité à l’encontre de l’intérêt social.
Comment l’avocat peut-il défendre les actionnaires minoritaires ?
Les actionnaires ou associés minoritaires qui sont victimes d’abus de majorités dans les assemblées générales des sociétés peuvent faire appel à un avocat spécialisé en droit des sociétés afin de défendre ses intérêts et le conseiller dans les actions judiciaires à mener.
Si l’abus de majorité est constitué, quelles sont les conséquences s’agissant des délibérations litigieuses : sont-elles nulles ? l’actionnaire minoritaire peut-il réclamer des dommages et intérêts ?
Tout d’abord l’avocat peut conseiller l’actionnaire minoritaire de demander l’annulation de la décision constitutive d’un abus de majorité sur le fondement de l’article 1844-10 du Code Civil et ce auprès du Tribunal compétent (tribunal de commerce si la société est commerciale et tribunal de grande instance si la société est une SCI par exemple). La décision peut donc être annulée, et les associés devront alors se réunir à nouveau afin de se prononcer à nouveau sur la délibération litigieuse (Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 20 septembre 2011, 10-24.564).
Mais l’avocat peut également conseiller l’actionnaire minoritaire de saisir le tribunal compétent afin de solliciter la condamnation des actionnaires coupables d’abus de majorité au versement de dommages et intérêts pour réparation de la décision abusive; dans le cadre de cette demande, l’avocat qui représentera la partie minoritaire intentera la demande directement contre les associés majoritaires qui sont à l’origine de l’abus et non contre la société sur le fondement de l’article 1240 du Code Civil.
Ces deux solutions peuvent être exclusives et/ou cumulatives, à définir au cas par cas par l’avocat en concertation avec son client victime de l’abus de majorité.
Enfin, il convient d’apporter des précisions fondamentales sur les délais dans lesquels ces actions judiciaires peuvent être menées.
S’agissant du délai de prescription de l’action en nullité de à l’encontre d’une délibération d’une assemblée générale pour abus de majorité, elle est de 3 ans à compter du jour où la nullité est encourue sur le fondement de l’article L. 235-9 du code de commerce. Selon l’article 1844-14, le délai de prescription de l’action en nullité qui est de trois ans est valable également pour les sociétés civiles.
A l’inverse, le délai de prescription relatif à la demande de réparation du préjudice subi par l’actionnaire minoritaire en cas d’abus de majorité est, lui, de 5 ans sur le fondement de l’article 2224 du code civil.
L’actionnaire minoritaire qui n’est plus en situation favorable de demander la nullité de la décision, le délai des 3 ans de prescription ayant expiré peut tout de même demander réparation du préjudice subi par le versement de dommages et intérêts provenant des actionnaires majoritaires en formulant sa demande dans les 5 ans qui suivent la date de la décision dénonçant l’abus de majorité.