Les détenus peuvent-ils être salariés ?
Plus largement, qui est salarié ?
Cette question d’apparence simple révèle pourtant de nombreuses surprises lorsqu’on l’analyse de plus près ;
Car dans certains cas, la loi pose des assimilations et des présomptions légales de salariat alors qu’il n’existe pas de contrat de travail, et à l’inverse, elle prévoit des cas d’exclusion alors que tous les critères légaux du contrat de travail sont réunis : c’est le cas du travail pénitentiaire sur lequel il faudra revenir après un bref rappel du droit positif.
Par principe, le salarié est celui qui est titulaire d’un contrat de travail.
La qualification de ce contrat de travail est d’ordre public, ce qui signifie que même en l’absence de contrat écrit, ou en présence d’un contrat "déguisé" sous un autre nom, le juge DOIT qualifier ou requalifier la relation entre le travailleur et le donneur d’ordre en contrat de travail lorsque les critères sont réunis (art. 12 du Code de Procédure civile).
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Il existe 3 critères du contrat de travail qui sont cumulatifs :
- Une rémunération
- Une prestation de travail
- Un lien de subordination
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Comme je le souligne dans ma thèse de doctorat ("Le lien de subordination dans les relations de travail"* - http://www.theses.fr/2010MON10021), le lien de subordination est le critère clé du contrat de travail, car il le distingue de tous les autres contrats qui donnent lieu à une rémunération contre un travail.
Ainsi, la jurisprudence est parfois tentée d’aller jusqu’à réduire le contrat de travail à la seule constatation d’un lien de subordination, laissant aux deux autres critères une place subsidiaire et non nécessaire à la reconnaissance du contrat de travail.
Se pose donc la question primordiale de la définition de ce lien de subordination*.
Selon la formule désormais célèbre, issue de l’arrêt dit « société générale » rendu par la Cour de cassation en 1996, le lien de subordination est caractérisé par trois éléments : « l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné » (Cass. Soc. 13 novembre 1996 - nº 94-13187).
Cette définition est prétorienne, ce qui signifie que ce sont les juges qui façonnent cette notion au fil des jurisprudences. D’où un risque d’insécurité juridique ayant inspiré le sujet de la thèse précitée, lequel risque avait à l’époque défrayé la chronique dans l’affaire « île de la tentation » où des candidats avaient obtenu la requalification de leur participation à l’émission TV en contrat de travail.
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Aujourd’hui, cette insécurité frappe l’État au cœur du milieu carcéral.
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En effet, une détenue a réussi à obtenir l’application des règles du droit du travail à son bénéfice devant le conseil des prud'hommes de Paris.
Pourtant, le juge est soumis à la loi. Or, dans le cas des détenus, le principe légal est posé par l’article 717-3 alinéa 3 du Code de Procédure pénale qui dispose que : « Les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l'objet d'un contrat de travail ».
La formule est lapidaire, et jusqu’ici, elle a été en rempart efficace ;
Si le travail conçu en tant que sanction pénale puise ses origines dans les galères et le bagne des forçats, aujourd’hui, le travail pénitentiaire est censé s’entendre du travail accompli dans le cadre d’une peine privative de liberté [] distincte de la peine (à savoir l’enfermement) et il est censé être distinct du travail pénal c'est-à -dire du travail entendu comme peine.
En effet, selon la formule célèbre « La prison c'est la privation de la liberté d'aller et de venir et rien d'autre » (VGE). Malgré cela, la Cour de cassation a toujours refusé de prendre position et s’est ainsi déclarée incompétente pour statuer sur le sort d’une personne incarcérée qui avait travaillé trois semaines pour le compte d’une entreprise et avait perçu 30,53 euros.
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Mais une brèche vient d’être ouverte par le Conseil de Prud’hommes de Paris :
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Mme Marilyn Moureau, détenue, travaillait pour la plate-forme téléphonique MKT Societal, et demandait que la fin de sa collaboration avec l'entreprise soit requalifiée en licenciement. Elle a obtenu gain de cause et différentes indemnités ce qui constitue une première.
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Cette décision était prévisible, car les détenus fournissent un travail rémunéré dans un lien de subordination pour un donneur d’ordre qui en tire profit.
Dans cette perspective, on peut être autorisé à considérer que l’exclusion des droits salariés aux détenus ne trouve aucune légitimation au regard des libertés et droits fondamentaux.
Devrait donc se poser plus largement, la question de la constitutionnalité de l’article 717-3 alinéa 3 du Code de Procédure pénale : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. » - Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, Article 1.
Pourtant, force est de constater que l'exclusion du statut salarié dont font l'objet les détenus vient se cumuler à la peine privative de liberté, alors même qu'ils réunissent tous les attributs légaux du salariat y compris la productivité au bénéfice d'employeurs de droit privé en concurrence sur le marché...
Le fondement de cette distinction entre les détenus et les non-détenus est donc difficile à légitimer. Étant observé - in fine - que ce travail quasi gratuit ne bénéficie pas à « l’utilité commune », ce qui serait par exemple le cas de travaux d’intérêt général, mais au contraire, bénéficie à des intérêts privés puisque ce sont des entreprises commerciales qui tirent profit de ce travail rémunéré et subordonné.
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La question peut donc se poser sous un autre angle : à considérer que les détenus ont par nature des restrictions de droits en raison de leurs crimes et délits justifiant qu'ils soient exclus du droit du travail, qu'est-ce qui justifie que des entreprises bénéficient d'un travail subordonné sans avoir a respecter le droit du travail, ni la règlementation relative au SMIC, ni encore à payer de charges sociales...alors que ces entreprises sont en libre concurrence avec d'autres entreprises qui, elles, doivent faire face à ces charges financières.
Ces entreprises peuvent ainsi pratiquer des tarifs bien plus bas que leurs concurrents, ce qui au final vient fausser le jeu de la libre concurrence sur le marché. Ce problème se pose de la même manière pour les travailleurs des Centres d’Aide pour le Travail (CAT).
Enfin, il pourrait aussi être remarqué que même en l’absence de contrat de travail et donc de lien de subordination, l’article 225-13 et suivants du Code pénal prévoit que « le fait d'obtenir d'une personne, dont la vulnérabilité ou l'état de dépendance sont apparents ou connus de l'auteur, la fourniture de services non rétribués ou en échange d'une rétribution manifestement sans rapport avec l'importance du travail accompli est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende ».
Le texte n’exige pas de contrat de travail, le rempart de l’article L.717-3 alinéa 3 du code de procédure pénale excluant l’existence d’un contrat de travail devrait donc dans ce cas s’avérer inefficace.
Au regard de ces différents éléments, il y donc lieu penser que le droit des salariés peut prendre le pas sur l’absence de droits que dénoncent de plus en plus de détenus qui travaillent pour le compte d’une entreprise privée pendant leur peine. Cette décision est donc un premier pas courageux du Conseil de Prud'hommes de Paris et mérite d'être saluée, mais elle ne manquera pas d'engendrer rapidement quelques levées de boucliers.
à suivre..
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*Thèse disponible en téléchargement gratuit sur le site www.avocat-nicolaspepin.fr
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