Protection des droits de l'homme dans le contexte de la santé publique

Publié le 22/11/2014 Vu 3 181 fois 0
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Toute personne malade a droit au respect de sa dignité. Son pendant, destiné au secteur social et médico-social, exige que l’exercice des droits et libertés individuels soit garanti à toute personne prise en charge par des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Dans le respect des dispositions législatives et réglementaires, lui sont assurés le respect de sa dignité, de son intégrité, de sa vie privée, de son intimité et de sa sécurité (…).

Toute personne malade a droit au respect de sa dignité. Son pendant, destiné au secteur social et médico-so

Protection des droits de l'homme dans le contexte de la santé publique

Cet article a paru dans la Revue Les Analyses juridiques n° 13/2008, janvier-février-mars-avril, pp. 35-46.

Toute personne malade a droit au respect de sa dignité. Son pendant, destiné au secteur social et médico-social, exige que l’exercice des droits et libertés individuels soit garanti à toute personne prise en charge par des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Dans le respect des dispositions législatives et réglementaires, lui sont assurés le respect de sa dignité, de son intégrité, de sa vie privée, de son intimité et de sa sécurité (…) La dignité de la personne humaine est donc,  ainsi que l’écrivent Benjamin Pitcho et Valérie Sebag-Depadt, ce qui fonde un ensemble de prérogatives directement invocables par les patients et les résidents, afin d’obtenir le respect de leur qualité d’être humain[1].

Depuis le premier cas de SIDA, il y a 29 ans[2], le virus est devenu la cause principale des décès prématurés en Afrique subsaharienne, et la quatrième cause de décès dans le monde. La République Démocratique du Congo n’en est pas épargnée. En effet, plus de 20 millions de personnes sont mortes depuis le début de l’épidémie et on estime à 39 millions le nombre de personnes vivant avec le VIH à la fin de 2004[3]. Outre les souffrances impossibles à chiffrer qu’elle a imposées, l’épidémie a effacé des décennies de développement dans les pays les plus touchés. Les pays qui ont échappé au fléau sont très rares. Certains auteurs affirment même que le SIDA a fait plus de victimes que la première guerre mondiale[4]. Retenu comme sixième parmi les huit Objectifs du Millénaire pour le développement tirés de la Déclaration du Millénaire des Nations Unies et considéré comme une nouvelle calamité des temps modernes, le SIDA a ressuscité les peurs ancestrales tant connues au moyen-âge. Le caractère inquiétant voire angoissant de cette maladie dû à l’impuissance de la recherche médicale a inspiré l’imaginaire collectif. L’histoire a démontré jusqu’à présent à quel point la peur pouvait faire surgir la haine et le rejet, le droit ayant adopté à l’époque de la peste, de la variole, de la maladie du sommeil, de la syphilis, de la tuberculose ou du choléra, une attitude peu digne du respect de la personne. Le droit a fait de la médecine sa complice lors de ces événements. Ni la médecine, ni le droit ne sont pas les mêmes aujourd’hui. Inspiré par le passé, le droit doit éviter les erreurs déjà commises et ne pas oublier que nous vivons actuellement dans une société qui cherche à valoriser les droits de l’homme.

Depuis le début de l’épidémie de VIH/SIDA, les organismes supra-étatiques, étatiques et les ONG qui s’en occupent touchent à des dimensions liées aux droits de la personne dans le cadre de leur travail de prévention, de soins, de traitement et de soutien.

A l’origine, ces acteurs utilisaient peu la terminologie des droits de l’homme pour décrire leur travail dans ce domaine. En fait, ils avaient tendance à considérer les droits de la personne comme étrangers à leur travail ou comme des éléments de la rhétorique de documents légaux. Pourtant, dès le départ, les principes sous-jacents aux droits de la personne étaient bien présents dans la réponse de la communauté face au VIH/SIDA. Avec la progression de l’épidémie, la force du lien entre les droits de la personne et le VIH/SIDA s’est révélée et les aspects liés aux droits de la personne dans le travail de ces acteurs ont été mieux saisis. Ils ont bientôt orienté leur vision et leur pratique, de sorte que les droits de la personne deviennent partie intégrante de la réponse communautaire au VIH/SIDA, qu’ils soient accessibles à tous et que le travail dans ce domaine soit adapté aux expériences des personnes affectées par le VIH/SIDA[5].

Cette étude illustre bien la force du lien entre les droits de la personne et le VIH/SIDA, dissipant par là deux mythes généralement entretenus, à savoir : - qu’il y a un conflit inévitable entre les droits de l’individu et la santé publique ; - que le respect des droits de la personne humaine pourrait être une sorte de vernis qu’on ajouterait à d’autres aspects de la politique de lutte contre le VIH/SIDA.

Dans certains pays comme la République Démocratique du Congo, on est finalement arrivé à prendre un texte de caractère général pour réglementer la protection des droits de personnes vivant avec le VIH/SIDA et les personnes affectées[6]. Nous reviendrons tout au long du développement de cette analyse sur l’examen de la loi n° 08/011 du 14 juillet 2008 portant protection des droits des personnes vivant avec le VIH/Sida et des personnes affectées en vue de démontrer finalement l’apport de l’Etat congolais sur la protection des victimes de ce fléau et des personnes qui les côtoient.

Les histoires qui vont suivre permettent à des non initiés aux questions de Sida face aux droits de la personne ou à ceux qui n’en ont qu’une idée imprécise de mieux saisir notre problématique (I). Nous déterminerons ensuite la façon particulière par laquelle la République Démocratique du Congo lutte contre le VIH/SIDA depuis plusieurs années (II). Nous nous efforcerons également de dégager le rapport existant ou pouvant exister entre les droits de l’homme et le Sida (III). Les mécanismes nécessaires à mettre en œuvre pour le respect effectif des droits de l’homme propres à cette catégorie des personnes (IV) suivis d’une conclusion termineront cette analyse.

 I. TROIS HISTOIRES VRAIES

 La première histoire se passe en Inde[7] 

 C’était à 8 heures un matin, le 4 février 1989, quand un jeune homme vivant dans une province côtière de l’Inde a reçu la visite de policiers qui l’ont invité à se présenter dans la journée au commissariat. Aucune raison n’était donnée, mais le jeune homme a supposé qu’un de ses amis était en difficulté et l’avait appelé à son aide. A son arrivée au poste, il a été emmené immédiatement à l’hôpital local par deux policiers qui lui ont dit qu’il devait subir un examen médical. Il commença alors à avoir très peur, car il ne savait pas pourquoi il était interpellé. Ses craintes ne furent pas dissipées quand il vit six policiers en faction devant la porte du pavillon des urgences, dont deux étaient armés de fusils, et les autres de cannes de bambou. Le praticien inscrivit son nom dans un registre, dont il a pu voir que la couverture portait le mot « AIDS »[8]. C’est ainsi qu’il a appris qu’il était infecté par le VIH – aucune explication, aucun conseil, pas même quelques mots de sympathie ou de soutien qui eussent pu suggérer que rien n’était encore perdu. Mais le pire était à venir. Sorti de l’hôpital, le jeune homme a été emmené par les policiers jusqu’à un ancien sanatorium où il a été détenu contre son gré pendant 64 jours. Complètement seul, il est resté confiné dans une petite pièce sale, sans savoir pourquoi il se trouvait là ni ce qui allait lui arriver. Il n’a pas pu prendre contact avec sa famille ou avec ses amis pour leur donner de ses nouvelles. Selon ses propres termes, si pendant ses 24 premières heures, il a pu survivre, c’est qu’il n’avait pas sur lui de couteau ni d’arme à feu pour mettre fin à ses jours. Pendant les jours qui suivirent, la raison de sa détention a progressivement été élucidée. Il avait donné du sang plusieurs mois auparavant. L’hôpital local avait testé ce sang pour y dépister la présence de VIH, sans son consentement, et même sans qu’il soit informé, et avait constaté qu’il était séropositif. Mais au lieu de l’en informer, l’hôpital avait pris contact avec la police locale qui, s’appuyant sur la loi sur la santé publique en vigueur dans la province et prescrivant la détention obligatoire de toute personne séropositive, l’avait alors interpellé.

Aux termes de cette loi, la détention était de durée indéterminée, qu’il y eût ou non un risque réel de transmission du virus à autrui. Un mois passa, et le jeune homme resta en détention. Mais sa famille et ses amis avaient pu faire des représentations, en son nom, aux autorités, montrant l’injustice, et même l’inutilité de sa détention. Il a bénéficié d’un appui extraordinaire de la part des habitants de son propre village, qui ont écrit pour demander sa mise en liberté. Il a pu intenter une action en justice contre la législation autorisant sa détention et, après 64 jours, a été provisoirement autorisé à rentrer chez lui non pas en raison d’une illégalité quelconque des dispositions relatives à la détention en soi, mais uniquement parce que le tribunal a estimé que la procédure de dépistage du VIH qui avait été suivie n’était pas suffisamment fiable pour justifier sa détention. Il s’agit là de l’affaire du héro Dominic d’Souza, qui est devenu par la suite l’un des principaux défenseurs, en Inde, des Personnes Vivant avec le VIH/SIDA (PVVS). Il est mort du SIDA en mai 1992.

Quiconque, en entendant cette histoire, sera convaincu que le droit a un rôle à jouer dans la réponse à l’épidémie du VIH. Les questions juridiques se posent à tout moment dans l’histoire de Dominic : il a fait l’objet d’un dépistage du VIH sans son consentement, l’hôpital ne lui a pas révélé qu’il était infecté, le secret professionnel a été violé lors de la transmission de l’information à la police, et il a été détenu en vertu de la loi sur la santé publique. Et pour Dominic, l’histoire ne s’arrête pas là. Quand il a tenté de retourner à son travail, il a constaté qu’il n’avait plus son emploi, que celui-ci avait été donné à un autre, et son employeur lui a demandé de démissionner de crainte que ses collègues ne veuillent pas travailler avec une PVVS.

La deuxième se passe au Nigeria 

Le 14 juillet 2000, le Centre d’Action pour les Droits Sociaux et Economiques (SERAC) intentait le tout premier procès au Nigeria en matière de discrimination relative au VIH/SIDA (Affaire Dame Georgiana Ahamefule c. Imperial Medical Centre et Dr Alex K. Molokwu, n° ID/1627/2000, Tribunal de grande instance de Lagos) pour, entre autres, rupture du contrat de Dame Ahamefule, aux motifs qu’elle était séropositive[9]. La demanderesse y était employée comme infirmière auxiliaire. En 1995, elle était tombée enceinte et commença à présenter des furoncles, ce qui l’amena à solliciter des soins du deuxième défendeur, qui était en même temps Médecin-chef dudit Centre. Le Dr. Molokwu effectua des examens médicaux sur la patiente mais n’en révéla les résultats à cette dernière ; il lui accorda plutôt un congé maladie de deux semaines en lui demandant de se rendre (avec un pli fermé) chez le Dr Okany du Centre hospitalier universitaire de Lagos (LUTH). Après avoir pris connaissance du contenu du pli, le Dr Okany dit à la demanderesse de revenir le voir accompagnée de son époux ; c’est alors qu’il leur fit prélever du sang sans aucune explication. Lors de la visite suivante de Dame Ahamefule chez le Dr Okany, celui-ci annonça à cette dernière qu’elle avait été testée séropositive, tandis que les résultats de son époux étaient négatifs. A sa reprise de service au terme de son congé maladie, le Dr Molokwu la renvoya brusquement sans indemnité de licenciement appropriée, malgré les cinq années de services satisfaisants rendus à la clinique. La lettre de licenciement mentionnait sa séropositivité comme motif de son licenciement. Quelques temps après, la demanderesse eut un avortement. Le Dr Molokwu refusa d’effectuer le curetage prescrit pour évacuer les restes du fœtus, au motif que Dame Ahamefule était porteuse du VIH et de peur de souiller ses instruments. Cette dernière décida alors d’engager une action contre la Clinique et le Dr Molukwu devant le Tribunal de Grande Instance de Lagos. Elle estimait que son licenciement pour séropositivité constituait un cas de discrimination illégale, conformément aux articles 2, 18 (3) et 28 de la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (ratifiée et en vigueur), que le fait de lui avoir fait subir le test du VIH sans l’en avoir informé au préalable et sans son accord était illégal, que le fait pour le défendeur de ne lui avoir pas fourni les services de conseil avant et après le test constituait une faute professionnelle, et que son refus de lui apporter les soins médicaux du fait de sa séropositivité signifiait violation de son droit à la santé reconnu par la charte citée supra, le chapitre 10 de la Constitution du Nigeria et l’article 12 de la Convention internationale sur les droits économiques, sociaux et culturels (ratifiée par le Nigeria en 1993). La victime a exigé 5 millions de niara pour lui avoir fait subir le test sans son consentement et pour la négligence du défendeur ; et enfin 2 millions de niara de dommages positifs pour les actes répréhensibles du défendeur. Pour la défense, les défendeurs ont soutenu avoir mis un terme au contrat de la demanderesse dans l’intérêt de la sécurité publique. Ils ont fait valoir qu’ils sont statutairement tenus de veiller à ce que l’hôpital soit un lieu sûr, que le public n’y courre aucun danger et de protéger ce dernier de toute maladie infectieuse ou contagieuse. Ils ont ajouté avoir une obligation (de protéger le public en général contre l’infection du VIH) et qu’ils n’exprimaient aucun regret d’avoir licencié la demanderesse, dans la mesure où elle constituait un danger pour la communauté en général et pour les patients en particulier.

Le cas de cette Dame a suscité une attention particulière auprès des médias nigériens et étrangers. Il est venu placer au centre du débat national le problème des droits des PVVS, même si cela n’a pas été facile. Il a soulevé de brûlantes questions de droits de l’homme et d’éthique relatives au VIH/SIDA, et ont également mis en relief le lien étroit entre le droit, les droits de l’homme et la santé publique.

La troisième histoire se passe en Afrique du Sud[10]

La plupart des procès qui ont eu lieu en Afrique sur le VIH/Sida l’ont été en Afrique du Sud. Les tribunaux Sud Africains ont été les plus actifs du continent en ce qui concerne le VIH/Sida. Une multitude d’affaires, y compris les recours collectifs en justice (procès d’intérêt public) ont réussi à imposer les droits des PVVS en Afrique du sud, notamment leur droit à la non-discrimination et à l’accès au traitement. Dans l’affaire Hoffman c. South Africa Airways (affaire 2000 2SA 628) par exemple, le Tribunal constitutionnel d’Afrique du Sud a rendu une décision en date du 28 septembre 2000 selon laquelle le SAA avait violé les droits constitutionnels de Jacques Hoffman pour avoir refusé, 4 ans plus tôt, de le recruter comme steward, juste parce qu’il était séropositif. Dans sa décision, le Tribunal déclarait en substance : « Les personnes vivant avec le VIH/Sida constituent l’un des groupes les plus vulnérables de notre société… Tout comportement discriminatoire à leur égard… est une atteinte à leur dignité. L’impact de la discrimination est dévastateur chez les séropositifs. Il l’est davantage lorsqu’il s’agit des questions d’emploi. Elle leur refuse le droit de gagner leur vie ».

Les nombreuses enquêtes réalisées sur le SIDA sont révélatrices de ce danger. Une étude américaine, réalisée en 1988, mentionne que 74% des personnes interrogées admettaient que l’identification de personnes contaminées pouvaient justifier des atteintes aux libertés privées, que 40% d’entre elles concevaient le licenciement d’un enseignant séropositif et que 30% des sujets se déclaraient prêts à retirer leurs enfants de l’école si un camarade séropositif s’y trouvait. De même, dans une enquête réalisée en 1995 par Madame Ndala Musuamba[11], magistrat, coordinatrice du REDS de la République Démocratique du Congo, auprès de 12 entreprises du pays, 80% d’employeurs consultés sont pour le dépistage systématique du VIH à l’embauche et le non engagement des personnes infectées ; et 60% d’entre eux sont pour l’écartement des lieux de travail des séropositifs lors des examens périodiques.

Les trois histoires précédentes nous introduisent au cœur de la problématique entre les droits de l’homme et le SIDA. Quel lien existe-t-il entre les deux concepts et comment peut-on les conjuguer ensemble pour promouvoir la lutte contre le SIDA ? Peut-il être permis de violer les droits de l’homme pour cause de santé publique ? Avant de répondre à ces questions, disons un mot sur ce que vise la lutte contre le VIH/SIDA au regard de la loi congolaise.

II. LES VISES DE LA LUTTE CONTRE LE VIH/SIDA EN R.D. CONGO

Conformément à la Constitution de la République Démocratique du Congo[12], la loi congolaise du 14 juillet 2008 détermine les principes fondamentaux relatifs à la protection des personnes vivant avec le VIH/Sida et des personnes affectées. Elle vise à[13] : - lutter contre l’expansion de la pandémie[14] du VIH/Sida ; - lutter contre toute forme de stigmatisation[15] ou discrimination[16] des personnes vivant avec le VIH/Sida ainsi que des personnes affectées[17] ; - garantir et protéger les droits des personnes vivant avec le VIH/Sida, des personnes affectées ainsi que d’autres groupes vulnérables[18] ; - réaffirmer les droits et libertés fondamentaux de ces catégories des personnes.

Ces personnes méritent cette protection parce que, selon l’article 7 de la loi n° 08/011 du 14 juillet 2008, elles ont pleine capacité juridique et jouissent de tous les droits reconnus par la Constitution, les lois et règlements de la République. Il y a-t-il un rapport entre les droits de l’homme et le SIDA ?

III. LE RAPPORT ENTRE LES DROITS  DE L’HOMME ET LE SIDA      

Il existe un lien incontestable entre les droits de la personne et la santé publique. Les droits de la personne et la santé publique visent tous deux la promotion et la protection des droits de la personne et du bien-être des individus. La santé publique est un des impératifs de sauvegarde des droits des individus. Dans cet ordre d’idées, le monde entier se mobilise et s’engage résolument à combattre le VIH/Sida qui se présente actuellement comme l’un des fléaux nuisibles à la santé, déstabilisateur et annihilateur des efforts humains dans les différents secteurs de la vie.

Dans le contexte de l’épidémie de VIH/Sida, la promotion et la protection des droits de la personne sont essentielles à l’atteinte des objectifs en matière de santé publique, soit :· réduire la vulnérabilité à l’infection à VIH[19] ;· réduire les méfaits du VIH/Sida sur les personnes atteintes ;· habiliter les personnes et les communautés à lutter contre le VIH/Sida. Pour mieux appréhender ces objectifs, revenons plus en détail sur les deux premiers aspects.

A- Réduire la vulnérabilité à contracter le VIH    

La prévention de la transmission du VIH se fonde sur l’accès à l’information et au soutien. Elle repose aussi sur le sens des responsabilités de chacun. La protection des droits de la personne favorise la création d’un environnement de soutien, nécessaire pour encourager les gens à se rapprocher, à bénéficier de l’éducation et des services en matière de VIH/Sida et pour les habiliter à changer leur comportement. Non seulement les mesures coercitives enfreignent les droits de la personne, mais elles nuisent aussi à ce processus : elles font fuir les PVVS et les autres personnes à risque. Les gens ne chercheront pas à obtenir des conseils, des tests, des traitements ni du soutien s’ils s’exposent ainsi à la discrimination, à la divulgation non souhaitée de leur état ou d’autres conséquences négatives. Les mesures de santé publique coercitives repoussent les gens qui ont le plus besoin de ces services ; par conséquent, elles n’atteignent pas les objectifs de prévention par le changement de comportement, les soins et le soutien à la santé. Plusieurs groupes de la société sont déjà victimes de la discrimination où sont désavantagés en raison de leur statut social ou légal, ou de leurs caractéristiques ethniques ou raciales. Cela se traduit souvent par un accès restreint à l’éducation et à l’information sur le VIH/Sida, ou aux soins de santé, conduisant à une plus grande vulnérabilité à contracter le VIH. Dans ces groupes, on peut inclure, entre autres, les femmes, les enfants, les travailleurs ou professionnels du sexe, les détenus, les réfugiés. Si nous prenons l’exemple des femmes, les obstacles sociaux et économiques les empêchent d’éviter le risque d’infection par le VIH. Leur position dans la famille et dans la société fait qu’elles sont souvent incapables de prendre les décisions qu’elles voudraient au sujet de leurs relations sexuelles ou d’insister sur des mesures de protection telles que l’emploi de préservatifs ou la fidélité du partenaire, ce qui réduirait le risque de contamination.

La protection des droits de la personne devrait donc être assurée à ces groupes, pour qu’ils aient un accès égal à l’information et à l’éducation sur la prévention du VIH, à des soins de santé, aux moyens de protection comme le condom, à des opportunités économiques et au soutien social. Cela les aiderait à éviter de contracter la maladie. La protection des droits de la personne devrait aussi habiliter les femmes, les enfants, les travailleurs ou les professionnels du sexe et les détenus, à éviter les relations sexuelles imposées. Enfin, ces groupes devraient être en mesure de participer, de façon équitable et significative, à la vie publique, y compris à l’élaboration et à la mise en œuvre de politiques qui touchent le VIH/Sida.

Pour protéger la dignité de ceux qui ont besoin d’informations sur le VIH et pour prévenir la propagation de l’infection, les droits suivant sont pertinents : - le droit à la non-discrimination (pour que les personnes soient protégées contre les mauvais traitements si elles sont séropositives ou soupçonnées de l’être, ou si elles sont associées à un groupe marginalisé) ; - le droit à la vie privéeet à la confidentialité(pour que les personnes soient protégées contre les tests obligatoires, et pour que leur statut sérologique demeure confidentiel) ; - le droit à l’éducation et à l’information (pour que les personnes aient accès à l’éducation et à l’information sur la prévention du VIH) ; - le droit à la santé(pour que les personnes aient accès à des services de soins de santé et de prévention, y compris les services pour les maladies sexuellement transmissibles, en sigle MST et l’accès à des condoms).

B- Réduire l’impact du VIH/SIDA

Plusieurs droits de la personne protègent la dignité des PVVS et de celles qui sont autrement affectées. Ces droits habilitent les PVVS et leurs familles à faire face au VIH/Sida en leur permettant de préserver leur santé, leur emploi, leur qualité de vie. Ces droits sont les suivants : - le droit à la non-discrimination et à l’égalité devant la loi(pour ne pas subir de mauvais traitements en raison de sa séropositivité) ; - le droit à la liberté (pour être protégée contre l’emprisonnement, la ségrégation ou l’isolement imposé uniquement en raison de sa séropositivité, et pour être protégée contre la torture, les peines ou les traitements cruels, inhumains ou dégradants imposés en raison de sa séropositivité) ; - le droit à la santé (pour ne pas se voir refuser les soins de santé ou de traitement en raison de sa séropositivité) ; - le droit à l’éducation (pour ne pas être renvoyé d’un établissement d’enseignement en raison de sa séropositivité) ; le droit au travail (pour ne pas être remercié ou écarté d’une possibilité d’emploi en raison de sa séropositivité) ; - le droit de se marier et de fonder une famille (pour ne pas se voir refuser le mariage et, chez les femmes enceintes et séropositives, pour ne pas être contraintes de se faire avorter ou stériliser) ; - le droit à la sécurité, à l’assistance et à l’aide sociale (pour ne pas se voir refuser ces bénéfices en raison de sa séropositivité) ; - le droit de circuler librement (pour ne pas être soumis à des restrictions de déplacement, droit d’aller et de venir, en raison de sa séropositivité) ; - le droit de chercher asileet de bénéficier de l’asile pour les personnes séropositives.

Ces droits, dans le cas d’une PVVS, s’appliquent non seulement aux mauvais traitements en raison de sa séropositivité, mais à la discrimination pour d’autres motifs, tels que son sexe, son orientation sexuelle, sa race et son occupation. Le respect des droits de l’homme exige aussi que nous évitions toute stigmatisation, tout avilissement et tout langage inapproprié, tel que « groupes à risque », « victimes du SIDA », « sidéen » ou tout marquage de groupes particuliers de l’étiquette « vecteurs de maladies ». Ces formes de langage ne font qu’alimenter les préjugés et la discrimination et incitent à la violence. Il en va également d’un nouvel usage qui est entrain de se répandre surtout dans les Eglises en RDC, celui consistant à conditionner le test du VIH/Sida comme préalable à la bénédiction nuptiale pour empêcher les personnes atteintes à ne pas contracter le mariage. Cette pratique, bien que préventive, viole le droit qu’a toute personne au mariage.

IV. STRATEGIES À METTRE EN ŒUVRE POUR LE RESPECT DES DROITS DE L’HOMME

Les PVVS et les ONG ou les Associations à l’échelle nationale et internationale sont entrain de démontrer que les stratégies de promotion de la santé peuvent aider à prévenir le non-respect des droits de l’homme en s’attaquant à l’ignorance et à la peur qui alimentent la discrimination. La mise en œuvre de programmes d’information et d’assistance psychosociale appropriés, englobant un enseignement public visant à combattre la stigmatisation, l’élaboration de chartes légales et d’un plaidoyer en faveur des PVVS, ainsi que la mise à disposition d’une assistance juridique sont autant d’instruments permettant de créer un environnement de soutien nécessaire à des programmes efficaces de lutte contre le VIH/Sida.

Les stratégies d’action des gouvernements devraient donc : - tenir compte des principes relatifs aux droits de l’homme dans l’élaboration et la mise en œuvre de politiques et programmes en matière de VIH/Sida, avec la participation active des PVVS ; - établir des cadres juridiques et administratifs nécessaires appropriés, prévoyant l’abrogation immédiate des lois et de pratiques coercitives ou inutilement restrictives ; - introduire ou renforcer des mesures visant à interdire la discrimination et les abus liés au VIH/Sida et à garantir la protection juridique de la vie privée ; - proposer des programmes d’enseignement et de formation aux fonctionnaires de l’administration, aux décideurs, aux employeurs, aux médias et au grand public, afin de souligner les dangers des préjugés et de la discrimination et de promouvoir le respect des droits de l’homme ; - œuvrer pour l’émancipation juridique et politique et le renforcement du pouvoir des groupes défavorisés (P. ex. femmes, prostituées, détenus…), y compris l’abrogation de lois empêchant la formation de groupes d’auto-assistance ; - légalisation et décriminalisation des activités homosexuelles en privé entre adultes consentants dans les pays où elles sont illégales ; - décriminalisation de la prostitution et autres activités des prostituées et légalisation des bordels ; - publicité concernant l’utilisation des condoms et distribution gratuite de condoms dans des lieux choisis ; - participation de représentants de groupes et de leaders communautaires à des programmes conçus pour appuyer les campagnes de modification des comportements ; - intensifier l’octroi de ressources en vue de la promotion des droits de l’homme en rapport avec le VIH/Sida, et renforcer l’engagement et l’action de la communauté internationale. - appuyer fortement les organismes qui ont pour objectif la lutte contre le VIH/Sida.

Le paradoxe du VIH enseigne donc, et c’est plutôt curieux, que l’une des stratégies de modification des comportements qui réussira vraiment le mieux à freiner la propagation du VIH, en favorisant l’auto-protection, réside dans les mesures qui protègent «positivement » les groupes défavorisés(prostitués, homosexuels, utilisateurs de drogues,détenus, professionnels de sexe…) et qui respectent les droits des individus qui en sont membres. De telles stratégies ont été adoptées dans les pays où on a connu certain succès sur le plan de la modification des comportements, et par conséquent de la réduction de la propagation du VIH.

CONCLUSION

La notion de respect de l’être humain est souvent liée à celle de dignité. Bien qu’étant étroitement liées, elles ne se confondent toutefois pas. Alors que la dignité est un attribut, une qualité de la personne et de ses dérivés (son corps, ses organes, l’embryon ou le foetus, le gène), le respect est une notion éthique qui traduit cette dignité. La dignité et le respect entretiennent donc des rapports de sujet à objet : chacun ayant l’obligation de respecter la dignité de l’autre. En d’autres termes, la dignité appelle le respect, qui est l’obligation d’avoir de la considération pour l’autre, de l’égard, de     «le regarder vraiment comme un autre, autre identique à moi, porteur de la même humanité, de la même dignité que moi»[20]. Les droits fondamentaux trouvent donc leur déclinaison dans la sauvegarde de la dignité de la personne présidant nécessairement aux pratiques soignantes.

Ainsi dégagé comme principe, on peut tirer de l’épidémie de VIH/Sida une leçon essentielle, à savoir que dans l’élaboration des politiques nationales de chaque Etat, lorsque les responsables de cette élaboration définissent l’orientation et le contenu des politiques liées au VIH, ils doivent être guidés par, d’une part, les valeurs fondamentales de l’homme précitées et, d’autre part, les normes universellement reconnues en matière de droits de l’homme et ces valeurs et normes devraient être partie intégrante des actions nationales et locales de lutte contre le VIH/Sida, sous tous leurs aspects. 

Comment pouvons-nous convaincre nos dirigeants et la société civile d’intégrer la composante droits de l’homme dans les programmes de lutte contre le VIH/Sida ? On peut faire valoir que le respect des droits de la personne humaine est une valeur en soi et on peut espérer que cet argument sera assez convaincant. Mais si par extraordinaire, cet argument ne suffisait pas à les convaincre, on pourrait faire valoir que le respect des droits de l’homme est en soi une mesure de prévention de l’épidémie.

La République Démocratique du Congo, en promulguant la loi du 14 juillet 2008 portant protection des personnes vivant avec le VIH et des personnes affectées, a pris ainsi la responsabilité de protéger tous les citoyens congolais et de garantir le droit à la santé pour tous. Elle vient certes d’intégrer les droits de l’homme dans la lutte contre le VIH/Sida mais il reste à former et à informer les citoyens à la connaissance desdits droits et à leur revendication toutes les fois qu’ils se sentiront lésés par un acte de violation.

Comme nous l’avons souligné ci-dessus, le VIH/Sida est aujourd’hui une pandémie et un véritable problème de santé publique. Selon le rapport annuel sur l’épidémiologie à VIH/Sida en 2006, la situation épidémiologique du VIH/Sida est catastrophique avec une prévalence nationale moyenne de 4,1 %. Depuis la notification des premiers cas de SIDA en 1980 aux Etats-Unis d’Amérique, le Gouvernement de la R.D.C a, pour sa part, procédé à l’installation des structures de lutte contre le VIH/Sida, à savoir : le Bureau Central de Coordination de lutte contre le SIDA, en sigle BCC/SIDA en 1987, le Programme National de lutte contre le SIDA, en sigle PNLS en 1995 et le Programme National Multisectoriel de Lutte contre le Sida, en sigle PNMLS en 2004. Au-delà de ces efforts remarqués, le Constituant congolais du 18 février 2006 engage désormais le pays à focaliser ses efforts sur la recherche des voies et moyens tendant à améliorer la jouissance du droit à la santé pour tous. Plusieurs Organismes non-gouvernementaux constituent également des structures indépendantes importantes de lutte contre le VIH/SIDA. Nous pouvons citer notamment l’Agence pour le Développement Intégré au Congo, en sigle ADIC, l’AMO-Congo, Protection Enfant Sida, en sigle P.E.S, etc.

En dépit des dispositions d’ordre général sur la protection humaine, la Loi de 2008 vient ainsi combler les préoccupations et le vide juridique en matière de législation spécifique anti-discriminatoire dans le domaine du VIH/Sida parce que les textes juridiques antérieurs ne permettaient pas de garantir effectivement les droits spécifiques des personnes vivant avec le VIH/Sida et leurs familles. Elle protège cette catégorie des personnes en milieu sanitaire, éducationnel, carcéral, religieux et professionnel. Elle adresse les questions de dépistage du VIH et de la confidentialité des résultats et prévoit en même temps des réparations pénales et civiles lorsqu’elles sont victimes de violation de leurs droits ainsi que ceux qui contreviennent à leurs obligations.

Deux ans avant cette loi, la RDC avait uniquement pensé aux devoirs ou obligations de toute personne atteinte de maladie sexuellement transmissible incurable comme le Sida. En effet, la loi n° 06-018 du 20 juillet 2006 modifiant et complétant le décret du 30 janvier 1940 portant Code pénal congolais, spécialement en son article 174.i stipule : « Sera puni d’une peine de servitude pénale à perpétuité et d’une amende de 200.000 francs congolais constants, quiconque aura délibérément contaminé une personne d’une infection sexuellement transmissible incurable »[21]. Tout en prévenant la personne atteinte de maladie sexuellement transmissible incurable de ne pas commettre l’acte sexuel lorsqu’elle connaît son état sérologique, la loi exclut de son champ d’applicable la transmission sexuelle même volontaire de toute infection non incurable.

De l’une ou l’autre de ces lois, il y a lieu de s’interroger si elle sera appliquée car, comme tous les pays africains, la RDC souffre du mal la non application stricte des textes de lois mis en vigueur.

Proposons-nous donc que les structures étatiques, les ONG luttant contre la propagation du VIH/Sida et la société civile toute entière utilisent tous les moyens nécessaires pour faire connaître ou former et informer les citoyens de tous les droits et obligations résultant de ces deux textes protecteurs ; nous pensons par là à l’exercice d’une pression sur le Gouvernement, couplée d’un véritable travail de plaidoyer et une sensibilisation accrue des personnes vivant avec le VIH/Sida sur leurs droits et devoirs. Une telle lutte permettra à coup sûr de faire échec aux violateurs des droits de l’homme en général et des droits des personnes vivant avec le VIH et celles affectées en particulier.

Nous ne pouvons terminer cette analyse sans nous rappeler la sagesse d’Emmanuel Kant qui, déjà au siècle des Lumières, dans sa morale déontologique, s’est exprimé pour différencier la valeur attribuée à l’être humain du respect que l’on peut accorder aux choses, objets d’appartenance. Il l’expose en affirmant qu’« il y a une loi morale universelle, et cette loi s’exprime dans la conscience de la dignité de la personne et du respect auquel, en tant qu’être humain, elle a droit. Toutes les choses qui peuvent être objets du besoin ou du désir ont un prix, mais tout ce qui a un prix peut être remplacé par autre chose, par une chose équivalente. Ce qui est seul irremplaçable, c’est la personne, et c’est pourquoi elle n’a pas de prix : elle a une dignité, et le respect de cette dignité, chacun en convient, est le signe de la véritable appartenance à l’humanité. Traiter une personne comme unechose est le signe de l’inhumanité même»[22]. L’on ne peut plus s’en douter, l’être humain, qu’il soit PVV ou non, doit bénéficier de la même dignité que l’être humain non malade.

Puisse cette pensée contribuer à l’effort de mettre en pratique une pareille vision.

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