La loi Dutreil du 1er août 2003 n°2003-721 est venue généraliser l'exigence d'une mention manuscrite au sein de l'ensemble des cautionnements garantissant une dette quelconque par une personne physique envers un créancier professionnel (art L341-2 c.consohttp://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006292690&cidTexte=LEGITEXT000006069565).
Cependant, si en théorie, ces mentions manuscrites instaurées par le législateur semblent protéger la caution, la mise en oeuvre concrète de ce formalisme rigide et quelque peu excessif met aujourd'hui en péril plus d'un contrat de cautionnement.
1) Le développement critiquable d'un formalisme protecteur ad validitatem en matière de cautionnement.
Selon l'adage In solemnibus forma dat esse rei, au sein des actes solennels, c'est la forme qui donne l'existence à l'acte : or, c'est dans l'objectif de rétablir un certain équilibre contractuel entre les parties, considérant que la caution personne physique, partie faible placée dans une situation inégalitaire vis-à-vis du créancier professionnel, méritait une protection élargie, que le législateur a fait de la mention manuscrite de l'art L341-2 c.conso une condition de validité du cautionnement (sauf pour les cautionnements passés par acte authentique, donc en présence d'un notaire ou contresigné par un avocat, puisque ces professionnels du droit sont censés avertir la caution des risques encourus : Avis Civ 1, 8 avril 2010 n°2010.010902).
Bien que le but de ce formalisme poussé à l'extrême soit louable, dans la mesure où ce dernier s'inscrit dans la directe lignée du code de la consommation : à savoir la protection et la responsabilisation de la caution face aux risques d'endettement, à cause du cautionnement, il n'en demeure pas moins que toutes ces obligations formalistes semblent faire de la caution personne physique une sorte "incapable" devant être assisté par le législateur face aux "vils" créanciers professionnels ! Alors que fort heureusement, la majorité des personnes se portant cautions ne sont pas les illettrées.
Et la critique ne s'arrête pas là : en effet, il est aisé de rester perplexe quant à l'effort de compréhension déployé par la caution afin de déchiffrer les formules sacramentelles du législateur. La caution pensant ne jamais avoir à payer la dette du débiteur principal, s'engagera à la va vite envers le créancier, ne cherchant pas à comprendre et recopiant tout bonnement les mentions imposées par le code de la consommation, trop épineuses pour le simple profane.
En conséquence de cette retranscription mécanique, le formalisme prescrit par la loi ne paraît pas remplir son rôle informatif et l'impact, la prise de conscience de la caution est encore moindre lorsqu'en pratique cette dernière doit retranscrire de manière répétitive ces formules obscures.
Nonobstant certains sites proposant en ligne des modèles-type de cautionnements, des documents normalisés pouvant concrètement aider les parties pour la rédaction d'un contrat de cautionnement, rendu ardu à cause de ces multiples formules sacramentelles; il n'en demeure pas moins que le même problème subisistera, car le travail d'assimilation des mentions manuscrites par la caution sera mâché, cette dernière sans réfléchir, n'aura plus qu'à imprimer le modèle - recopier les mentions indiquées - et signer pour finaliser son engagement.
2) Une interprétation libérale bienvenue des formules sacramentelles par le juge.
En théorie, la caution doit recopier à la virgule près la mention de l'art L341-2 c.conso, à peine de nullité et peu importe sa réelle intention : une vision en contradiction la plus totale avec l'adage In conventionibus contrahentium voluntias potius quam verba spectori placuit, selon lequel dans les conventions, la volonté l'emporte sur les mots.
Ainsi, le juge aurait dû systématiquement sanctionner toute insuffisance concernant la mention manuscrite obligatoire, par la nullité du cautionnement et ce, malgré l'absurdité de certaines situations, dans lesquelles par exemple, un cautionnement pouvait être frappé de nullité pour une signature mal placée (Com, 17 septembre 2013 n°12-13577http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000027981426&fastReqId=44605734&fastPos=5 )
Une sanction démesurée de ces exigences légales, permettant trop facilement à la caution de se désengager, afin de ne pas payer le créancier à la place du débiteur principal et encourage donc la mauvaise foi de cette dernière, ainsi que la suspicion du créancier à son égard, qui en plus de ses obligations d'information, de mise en garde assez conséquentes, devra rester aux abois pour surveiller scrupuleusement l'exercice de rédaction auquel doit s'adonner la caution : adieu joli principe de solidarisme contractuel !
En outre, de ce formalisme sur-protecteur des intérêts de la caution personne physique pourrait résulter l'abandon pur et simple du cautionnement par les créanciers, qui face au manque d'efficacité de cette sûreté, préféreront se tourner vers d'autres garanties ou multiplieront le nombre de garanties requises pour l'obtention d'un prêt ou d'un bail par exemple.
Aussi, malgré l'intitulé de la loi Dutreil dite "loi pour l'initiative économique", ce formalisme exacerbé est loin de favoriser l'accès à la propriété, au crédit et donc à relancer la consommation et l'économie.
Néanmoins, la Cour de cassation vient désormais freiner les ardeurs des juges du fond trop chicaneurs quant aux formules sacramentelles du code de la consommation : ainsi, par une jurisprudence récente : Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 4 novembre 2014, 13-24.706, Publié au bulletin, la Cour de cassation considère que l'oubli du terme "intérêts" dans la mention manuscrite de l'art L341-2 c.conso n'affecte pas la validité de l'engagement de la caution (mais limite seulement son étendue au principal).
Un arrêt étendant dans la conception libérale de l'art L341-2 c.conso par la jurisprudence, qui considérait déjà les contrats de cautionnement valables en cas d'omission malencontreuse d'une majuscule et d'une ponctuation ( Civ 1, 11 septembre 2013 n°12-19094http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000027949214&fastReqId=55945287&fastPos=2 ).
Une vision libérale, renforçant non seulement le caractère accessoire du cautionnement (la caution ne pouvant se désengager, devra payer la dette principale si le débiteur n'y satisfait pas lui-même) mais limitant par la même occasion les moyens de défense des cautions, ne pouvant plus anéantir leur engagement sur une simple faute de rédaction volontaire ou non.
Actus interpretandus est potuis ut valeat quam ut pereat : la jurisprudence interprète le contrat de cautionnement de manière à lui donner vie plutôt que de le laisser sans effet !
Seul petit bémol (qui n'est pas des moindres), le juge, déjà contraint à respecter une exigence de célérité dans le procès civil, va devoir, afin de tempérer ce formalisme légal, apprécier souverainement chaque situation au cas par cas, et par conséquent, les parties pourront se plaindre d'être soumises à l'arbitraire du juge, et elles auront raison ! Car il est impossible d'anticiper les décisions du juge, en présence d'une jurisprudence instable, débouchant sur une remise en cause imprévisible du contrat selon l'interprétation plus ou moins littérale de l'art L341-2 c.conso.
Vers une réforme raisonnée du cautionnement ?
Face, d'un côté à l'inégalité des justiciables devant le système judiciaire, et de l'autre des juges obligés de statuer dans des contentieux dépourvus de véritable problème de droit (comme s'il était normal de se pourvoir en cassation pour une virgule !), ne serait-il pas temps pour le législateur d'entamer les réformes nécessaires ?
Et pourquoi ne pas envisager la suppression radicale de ces mentions spéciales du code de la consommation ? Ainsi subsisterait seulement le droit commun et son formalisme probatoire (art 1315, 1326, 2292 c.civ), préconisant cette fois-ci un cautionnement beaucoup plus consensuel assorti d'une pointe de solennité concernant la preuve du contrat : une aide indéniable pour le créancier désireux de poursuivre la caution et sur qui repose la charge de la preuve de l'existence et de l'étendue du cautionnement.
A méditer.