On sait que les avocats sont les premiers à rappeler l’importance du secret professionnel. Toutefois, ce sont également les premiers à le violer en de multiples circonstances. Ainsi, nombre d’avocats continue d’utiliser des boites « gmail » ou place des pièces dans « Dropbox ». Peu d’avocats ont mis en place des systèmes de protection des données personnelles de leurs clients ou protègent leurs ordinateurs de façon efficace à une époque où la cyber sécurité devient un enjeu majeur.
Mais parfois, cela va plus loin. Ainsi, un avocat quitte une structure professionnelle pour s’installer à son compte. Une salariée le suit. Son ancienne structure dépose une requête auprès du Président du Tribunal de Grande Instance aux fins d’être autorisée à se rendre au cabinet du nouvel installé, y pénétrer, se faire assister par un expert informatique, vérifier dans le ou les ordinateurs utilisés par la salariée ou tous supports informatiques (disque dur, clé USB) si des données antérieures au départ dudit associé avaient été copiées et notamment des données relatives aux dossiers dont une liste était annexée à la requête.
On demandait donc au tribunal, et non au Bâtonnier, d’autoriser une pénétration dans un cabinet d’avocat pour examiner les disques durs et autres outils technologiques. Naturellement, les avocats qui avaient sollicité cette mesure indiquaient, avec beaucoup d’hypocrisie, qu’il ne s’agissait pas de contrôler l’avocat mais sa salariée !
L’affaire vient devant le Juge des référés aux fins de rétractation. A cette occasion, l’Ordre des Avocats compétent et la Conférence des Bâtonniers interviennent aux fins de faire valoir, d’une part, que le Bâtonnier de l’Ordre des avocats avait une compétence exclusive pour connaitre du litige entre avocats et, d’autre part, que les données dont on veut la saisie par l’intermédiaire d’un expert, sont couvertes par le secret professionnel et que la requête elle-même constituait une violation du secret professionnel puisqu’elle reprenait une liste de noms ou de clients.
Le Juge, saisi de cette difficulté, va prononcer la rétractation. Malheureusement, il n’entre pas dans le débat concernant la compétence exclusive du Bâtonnier pour trancher les litiges entre avocats ou la protection du secret professionnel. Il a trouvé un motif de forme. La requête déposée ne comportait pas la moindre précision quant à la nécessité de déroger au principe de la contradiction puisqu’elle se bornait à exposer les circonstances du départ de la salariée, son obligation de confidentialité, son embauche par l’associé partant et les indices démontrant qu’elle s’était emparée de données.
Le juge termine en indiquant que « quand bien même la Cour de Cassation s’est récemment prononcée sur les questions soulevées, relatives au secret professionnel et à l’absence de compétence du Bâtonnier pour ordonner, sur requête, une mesure d’instruction avant dire droit (Civile 1er chambre 5 juillet 2017, pourvoi n° 16-19.825 en cours de publication) il n’y a pas lieu de se prononcer ici sur les pouvoirs contestés du Président du Tribunal de Grande Instance, l’absence de justification de la nécessité de déroger au principe de la contradiction suffisant à l’annulation de l’ordonnance ».
Dès lors que l’ordonnance était frappée de nullité, la saisie des documents et fichiers devait être détruite sans délai et ne pouvait être utilisée. Ils ne pouvaient donc pas être remis au Bâtonniers comme l’Ordre le demandait.
Cette affaire pose, d’une part, la question des pouvoirs du Bâtonnier et, d’autre part, la question du secret professionnel. Il faudrait nous interroger concernant les pouvoirs du Bâtonnier dans ce type de dossier. Il faudrait obtenir l’extension des pouvoirs d’instruction du Bâtonnier et notamment la possibilité de désigner un expert pour se rendre au cabinet de l’un des protagonistes et effectuer des investigations sous contrôle d’un avocat délégué, membre du Conseil de l’Ordre. Ce serait une façon utile d’obtenir que les litiges soient réglés dans le cadre de l’Ordre sans que les magistrats ne soient saisis de ces difficultés.
En cette époque de « déjudiciarisation » cette mesure serait efficace.
Michel BENICHOU